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  • Photo du rédacteurRatatouille

L'Etat, la famille et la protection de l'enfance

Bonjour !

 

Toutes mes excuses pour ce retard matinal, avec un temps pareil l’option GKC a fait une grasse matinée…

 

La dernière fois dans cet article, nous avions parlé de la relation qui existe entre l’Etat et la famille, au travers notamment du régime de succession. Cela nous a permis de découvrir que la vérité fondamentale selon laquelle la famille est le socle fondamental de la société a été quelque peu malmenée lors de la Révolution, notamment à propos du droit de succession qui est passé du régime de conservation forcée au régime de partage forcé, ce qui a détruit les œuvres familiales et dispersé les familles elles-mêmes.

 

Cela nous a permis aussi de remarquer l’importance, pour le système juridique, de chercher à collaborer avec la loi naturelle plutôt que d’appliquer un ordre théorique, déconnecté de la réalité comme c’était le cas pour le gouvernement révolutionnaire... Et comme ça a été le cas pour tous les gouvernements qui ont suivi malheureusement.

 

Aujourd’hui, je vous propose d’aborder la relation entre l’Etat et la famille sous un nouvel angle : celui du droit social, et plus particulièrement de la protection de l’enfance. Il est très instructif de se pencher sur les motifs qu’avance une société pour justifier du placement d’un enfant, car comme quelqu’un a dû le dire un jour, on juge du degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses membres les plus faibles.

 

Actuellement, le rôle des services de protection de l’enfance est dans les grandes lignes d’extraire un enfant de sa famille lorsque le juge des enfants estime que le maintien de l’enfant chez lui l’expose à un danger sur le plan de sa sécurité, de sa santé ou de sa moralité. Comment le juge des enfants est-il informé de ce danger ? La plupart du temps par le biais d’une Information Préoccupante, un écrit adressé à la CRIP par un professionnel ou un particulier témoin de ce danger – ou du risque que ce danger n’apparaisse.

 

La question se pose de l’évaluation de ce fameux « danger » pour l’enfant, et du lien entre l’origine de ce danger et les parents de l’enfant. Car le but d’un placement c’est d’éloigner l’enfant de ses parents le temps d’aider ceux-ci à désamorcer les causes du danger qui menace leur enfant, mais encore faut-il avoir suffisamment démontré la responsabilité des parents dans cette situation, sans quoi le placement n’a pas lieu d’être. Enfin ça c’est ce que l’on imagine, en gens honnêtes et naïfs que nous sommes. Car la réalité est légèrement différente…

 

Lorsque les preuves tangibles de la responsabilité des parents s’avèrent insuffisantes, le juge des enfants peut en effet s’appuyer sur la notion de « principe de précaution » pour ordonner le placement de l’enfant. Or ce principe de précaution vient dans ce cas précis en opposition à la présomption d’innocence.

 

La présomption d’innocence

En France, lors d’un jugement aux assises, le président de la cour adresse aux jurés le discours suivant : « Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ».[1]

 

Par le contenu de ce serment, on comprend que la présomption d’innocence signifie, pour une personne amenée à juger d’une affaire, mettre de côté les passions qui l’animent tant que la raison n’a pas permis d’établir formellement la culpabilité de l’accusé. Il s’agit donc du socle fondateur du système juridique, de sa raison d’être : juger avec impartialité. En 1895, la cour suprême des Etats-Unis a déclaré : « Le principe de présomption d'innocence en faveur de l'accusé est une loi incontestable, axiomatique et élémentaire, et son application est à la base de l'application de notre droit pénal. »[2]

 

Nous avons donc affaire ici à un principe d’éthique élémentaire qui s’oppose en particulier à la diffamation ; principe valable non seulement dans le droit mais aussi, finalement, dans la vie quotidienne. Un seul domaine fait cependant exception, au sein duquel beaucoup de professionnels se permettent d’ignorer la présomption d’innocence : le journalisme. Jean Daujat critique vertement à ce sujet les médias modernes lorsqu’ils jugent d’une affaire avant (ou même pendant) le procès, et brisent la réputation des accusés, laissant ceux-ci marqués du sceau de l’infamie – indépendamment de leur culpabilité réelle.[3]

 

Dans la protection de l’enfance, comme on l’a dit, la présomption d’innocence vient se heurter au principe de précaution. Penchons-nous donc à présent sur ce principe.

 

Le principe de précaution

Le principe de précaution vient des mouvements de protection de l’environnement, l’idée étant que si l’on a très envie d’allumer un pétard et de le lancer dans un baril de pétrole pour voir ce que ça donne, il faut s’abstenir – et ce même en l’absence de certitudes scientifiques que ça risque d’engendrer des dommages « graves et irréversibles ». A tout le moins, ce principe impose de chercher à neutraliser les risques éventuels que pourraient causer cet acte incertain.

 

C’est une première étape, au passage très intéressante, pour associer à l’étendard du progrès à tout va que brandissent les libéraux le fanion de la responsabilité que tentent d’agiter timidement les scientifiques (qui ont tout de même envie que quelqu’un finance leurs recherches).

 

Il se trouve que, d’une façon ou d’une autre, ce principe a sauté sans transition du domaine de la protection de l’environnement à celui de la protection de l’enfance, où il est utilisé pour justifier du placement d’un enfant malgré l’absence de preuve incriminant ses parents de maltraitance.

 

Le souci, vous l’aurez compris, est que ce principe constitue une porte ouverte à toutes les fenêtres, et qu’une fois admis il est difficile de faire machine arrière. On se retrouve donc devant des situations où le juge des enfants peut ordonner le placement d’un enfant « dans le doute ».

 

Faute de clarté dans les critères de son application, ce principe tend à déséquilibrer la balance au détriment des familles. Christophe Daadouch, docteur en droit et formateur auprès des travailleurs sociaux, a déclaré dans une interview en août dernier : « Dans le domaine de la protection de l’enfance, le principe de précaution est supérieur au principe de présomption d’innocence… On peut retirer un enfant à ses parents sur la seule base d’un signalement et découvrir plusieurs mois après qu’il n’y avait pas lieu. »[4]

 

Le néo-collectivisme de l’Etat

Au-delà des abus que l’application de ce principe peut provoquer, je pense qu’il faut insister sur la relation entre l’Etat et la famille que ce genre de situation révèle. Si, à partir d’un simple doute[5], l’Etat s’arroge le droit de rompre le lien entre un enfant et ses parents, alors on peut imaginer que l’Etat « confie » les enfants à leurs parents, et que dès que ceux-ci ne remplissent pas leur devoirs, l’Etat reprend « ses » enfants.

 

Nous parlions dans le dernier article de la tendance de l’Etat à infantiliser les citoyens, à les déresponsabiliser du bien commun en cloisonnant la propriété individuelle au sein même des familles. Ici, c’est une autre responsabilité qui est retirée aux parents. Car en faisant si peu de cas du caractère indissoluble des liens intra familiaux, en violant les foyers, l’Etat ne respecte pas la légitimité naturelle des époux à l’égard de leurs enfants.

Attention, il ne faudrait pas aller dans l’excès inverse et affirmer que le droit des parents doit être absolu à l’égard de leurs enfants, comme ça a pu l’être par exemple dans la Rome antique, où le pater familias avait droit de vie et de mort sur ses rejetons. Le droit des parents est devant Dieu, car c’est Lui en définitive qui leur a confié la vie de leur enfant, et c’est devant Lui qu’ils devront rendre des comptes. Il y a là une exigence autrement plus forte que toute responsabilité à l’égard des hommes et des institutions.

 

Tout en admettant que dans certains cas extrêmes il est préférable que l’enfant soit extrait du domicile le temps de stabiliser ou de désamorcer les tensions familiales, on constate malheureusement qu’il y a de plus en plus de placements dits « abusifs », autrement dit que l’Etat peine à consentir au caractère primordial et exclusif des liens familiaux, à voir le placement comme une ingérence exceptionnelle et temporaire plutôt que comme une alternative valable et non préjudiciable aux familles.

 

Lorsqu’on lit dans le rapport d’information des sénatrices madame Dini et madame Meunier que le « dogme » de « l’idéologie familialiste », qui désigne le « primat du lien avec les parents biologiques »[6] est suivi de façon arbitraire par les professionnels, on se questionne sur la vision qu’a l’Etat de la famille et de sa légitimité.

 

On retrouve cette méfiance de l’Etat à l’égard des familles au sujet de l’école à la maison. L’inspection académique prend trop souvent la place d’une police républicaine qui se soucie bien moins de l’éducation des enfants, de leur esprit critique et de leur moralité que de leur adhésion à la république et aux normes sociales actuelles, dans un rejet total du droit fondamental – et de la responsabilité primordiale ! – des parents à l’égard de leurs enfants, et du rôle essentiel de la famille[7].

 

Tout se passe comme si la société, depuis le XVIIIème siècle, se faisait un devoir d’élever les familles quand en réalité ce sont les familles qui la composent qui l’aident à grandir.[8] Bien entendu, la famille a aussi besoin d’une communauté, mais depuis la Révolution avec la destruction des échelons intermédiaires la famille a été « libérée », autrement dit déracinée, et avec la normalisation de ses droits et de ses devoirs à l’échelle nationale on l’a fait dépendre non plus des coutumes et des traditions mais du droit écrit, impartial, anonyme, et infantilisant.

 

Il serait très intéressant de se pencher sur l’importance que cette situation confère aux communautés paroissiales, et peut-être trouve-t-on ici l’une des causes de l’engouement moderne de l’Eglise pour les discours pastoraux depuis la seconde moitié du XXème siècle. A creuser.

 

Lisez, méditez, agissez, et belle entrée dans ce temps de l’Avent les amis!


[1] Article 304 du code de procédure pénal, accessible ici.

[2] Coffin v. United States, 156 U.S. 432 (1895), p.156 : « The principle that there is a presumption of innocence in favor of the accused is the undoubted law, axiomatic and elementary, and its enforcement lies at the foundation of the administration of our criminal law. »

[3] Il serait intéressant d’approfondir les biais liés à la présomption d’innocence qui, tout bénéfique qu’il soit aux innocents, profite aussi aux coupables en l’absence de preuves objectives - et c’est alors que le quatrième pouvoir, les médias, peut légitimement outrepasser la présomption d’innocence. Mais ce sera pour une prochaine fois.

[4] Christophe Daadouch, « Une audience en assistance éducative est un procès qui ne dit pas son nom » ! interview du 16/08/2023 recueillie par Sophie Tardy-Joubert, publiée sur le site Actu-juridique.fr

[5] Rappelons tout de même que ce « doute », avant de provoquer un placement judiciaire, doit avoir fait l’objet d’une évaluation des services sociaux avant d’être discuté en audience, puis éventuellement conduire à un placement. Sauf dans le cas d’un « 72 heures », où le procureur demande immédiatement un placement puis une évaluation, ce qui correspond généralement à un danger grave et immédiat pour le jeune. Toutefois, puisqu’on est dans le domaine du social, il y a beaucoup de « biais humains » dans l’évaluation, et les arguments des rapports sociaux sont rarement dépourvus de jugement personnel – voire même d’à priori.

[6] Muguette Dini et Michelle Meunier, Rapport d´information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la protection de l’enfance, Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2014, p .63

[7] Rappelons cet extrait de l’encyclique de Paul VI, gravissimum educationis, §6 : « Les droit et devoir, premiers et inaliénables, d’éduquer leurs enfants reviennent aux parents. Ils doivent donc jouir d’une liberté véritable dans le choix de l’école. Les pouvoirs publics, dont le rôle est de protéger et de défendre les libertés des citoyens, doivent veiller à la justice distributive en répartissant l’aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d’une authentique liberté dans le choix de l’école de leurs enfants selon leur conscience.

[8] 

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