Bonjour !
Aujourd’hui, accrochez-vous : on va parler de psychanalyse ! Pour ça il nous faut de bons repères. Nous allons donc nous appuyer de tout notre poids sur le travail capital du philosophe thomiste Roland Dalbiez. Ce monsieur, encouragé par Maritain, a publié en 1947 une thèse en deux tomes unique en son genre : La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne. Dans cet ouvrage, le philosophe effectue une opération chirurgicale digne d’un virtuose, en séparant ce qui tient la route dans la psychanalyse de Freud, et ce qui relève de l’insanité du docteur viennois. Comme la plupart des plus importantes publications du XXème siècle, ce travail a été méticuleusement passé sous silence par le monde scientifique. Pour vous dire, les deux tomes que j’ai reçus étaient encore non coupés.
C’est l’occasion d’un petit aparté : saviez-vous que jusqu’aux années 70 environ, beaucoup de livres étaient vendus non coupés ? Cela veut dire que vous sortez joyeusement le livre de son écrin de carton emberlificoté de chatterton, vous l’ouvrez et vous vous rendez compte que toutes les deux pages environs il est impossible d’accéder au texte parce que les deux feuillets se présentent comme une seule page, pliée à l’envers. En fait il parait qu’avant les livres de poche, les vendeurs partaient du principe que si l’acquéreur achetait un livre broché c’était pour le confier ensuite à un relieur, qui bénéficierait de la marge laissée par l’absence de découpe du livre pour faire sa reliure. C’est d’ailleurs pour ça que les coupe-papiers ont eu autant de succès dans les années 50.
N’étant pas crésus, je n’ai pas sollicité de relieur… J’en ai été quitte pour lire mon livre un cran d’arrêt à la main, et trancher une à une les pages non coupées. Je n’ai jamais été si tranquille dans le train ! D’un autre côté, je me suis rendu compte que le livre avait attendu 75 ans avant d’être lu par quelqu’un. Ça donne un côté un peu solennel que n’effaçait pas totalement le cran d’arrêt…
Bref, revenons à nos moutons. Pour commencer, je vous propose d’essayer de cerner la raison pour laquelle la psychanalyse a une place si particulière parmi les autres courants de la psychologie. Ensuite, on verra les risques que ça implique, puis l’intérêt de cette science. Enfin, on parlera de l’utilité du travail de monsieur Dalbiez pour la psychanalyse.
On ne va pas y aller par quatre chemins : la psychanalyse, c’est bizarre. Il y a quelque chose à la fois d’étrange, peut-être fascinant, et de certainement dangereux dans ce domaine. D’aucuns diraient même que cette science a tendance à corrompre les esprits, comme si elle contenait quelque chose de corrosif... D’ailleurs on peut lire dans l’ouvrage de monsieur Dalbiez que « La thérapie freudienne […] n’a d’autre ambition que de détruire. »[1]
Voilà qui donne le ton. Pour savoir ce que l’auteur veut dire par là, il faut bien comprendre le rôle de la psychanalyse. Monsieur Dalbiez propose, dans ce but, de diviser en deux grands groupes les façons de venir en aide aux personnes qui souffrent : d’un côté les méthodes qui construisent (qui procèdent par synthèse), et de l’autre les méthodes qui détruisent (qui procèdent par analyse).
Pour aider quelqu’un qui est atteint d’un trouble, on a en effet deux possibilités : soit on développe les tendances utiles, tournées vers la construction de l’avenir, soit on cherche à dissoudre les causes de trouble, en liquidant le passé. Pas tout le passé, hein ! Je vous rassure : juste certains complexes qui enferment l’esprit dans des automatismes embêtants.
Synthèse
Dans la catégorie « synthèse », on trouve trois leviers d’action :
1. La volonté
La volonté, bien sûr, est le niveau d’action le plus évident. En suivant volontairement les principes de la morale naturelle, l’esprit de l’homme grandit en force et en équilibre. La logothérapie de Viktor Frankle, qui amène le patient à découvrir le sens de sa vie pour dépasser ses difficultés, est un exemple thérapeutique s’appuyant sur ce levier. De façon plus vaste, toute forme d’influence éducative et morale entre dans ce domaine. Ici l’homme est plutôt libre (en tous cas il est volontaire), et c’est par la raison qu’il déploie sa liberté. Pour Roland Dalbiez, ce domaine ne relève pas de la psychothérapie car le thérapeute, comme un mécanicien qui répare une machine, ne doit pas se soucier de savoir où se rendra la machine en question - son rôle est juste de la réparer. Autrement dit, il aurait refusé de considérer la logothérapie comme une thérapie. Il l’aurait plutôt considéré comme une philosophie pratique.[2]
2. L’affectivité
L’affectivité est un puissant moteur d’amélioration psychique. Certains patients guérissent de leurs petits troubles uniquement grâce à la présence bienveillante et à la disponibilité du thérapeute. Ça fait le gagne-pain des calinothérapies, ou de la psychologie positive. C’est l’avantage de la psycho : le thérapeute a beau être nul, s’il est gentil ça peut suffire à soigner certains patients. C’est l’occasion de remarquer qu’il arrive parfois que la personne connaisse ses difficultés et ce qu’elle doit faire pour se sortir de là, mais se trouve empêchée parce qu’elle n’a pas suffisamment de ressources affectives, d’énergie pour franchir le pas. L’homme est un animal social, faut pas l’oublier. Un peu besoin d’amour dans ce monde de brutes, ça fait pas de mal.
3. La suggestion
La suggestion, c’est ce qui arrive quand l’attention d’un individu est captée par quelque chose d’extérieur, au point que cet individu n’a presque plus conscience de lui-même. Lorsque l’individu en question est dans un tel état il n’a quasiment plus de contenance, il est désinhibé et baisse ses remparts, il est influençable au maximum. C’est un peu l’état mental dans lequel se trouvent certaines personnes qui sont sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, ou encore les personnes qui sont dans un demi-sommeil. Le terme d’emprise est révélateur ici, car on peut être tout aussi bien sous l’emprise de quelqu’un que sous l’emprise de l’alcool, au point de n’avoir plus de volonté propre. Maurice Leblanc connait bien ce mécanisme psychique, que son héros Arsène Lupin ne cesse d’utiliser sur toutes sortes de personnes.
Concrètement, la suggestion désigne le fait que dans certaines situations on peut amener un individu à faire sans qu’il s’en aperçoive et sans qu’il le veuille spécialement quelque chose qu’il avait en tête, comme d’arrêter de fumer. C’est un levier beaucoup utilisé par Freud à ses débuts en thérapie, mais qui pose l’inconvénient de ne s’adresser qu’à une partie de l’esprit du malade. Or, on ne peut soigner complètement l’esprit d’un homme en mettant de côté sa conscience. Petite remarque : dans la vie courante les femmes semblent davantage sujettes à la suggestion que les hommes. Cela est probablement dû à leur affectivité, naturellement plus sophistiquée que celle de l’homme. Cela dit, si la suggestion est plus facile chez la femme, il semble que lorsqu’elle fonctionne avec l’homme ce ne soit pas à moitié.
Voilà pour la catégorie « synthèse », celle où on cherche à développer dans la personne des tendances utiles. Passons maintenant à la catégorie « analyse », qui pour le coup n’a qu’un levier[3] : la psychanalyse.
La psychanalyse
La psychanalyse consiste à trouver les résistances affectives qui sont à l’origine des difficultés rencontrées par le patient dans sa vie quotidienne, et à les détruire par la prise de conscience. D’où « l’ambition unique » de la psychanalyse, qui est de « détruire ». Au passage, remarquez que cette thérapie repose sur une idée capitale : il suffit au patient de se rendre compte du problème pour que celui-ci se désintègre. Autrement dit, lorsque que le patient a fait consciemment le lien entre ses problèmes et les épisodes de son histoire personnelle qui en sont à l’origine, ses symptômes ont toutes les chances de s’évaporer, un peu comme une plaie qui ne peut cicatriser correctement parce qu’elle n’a pas été bien lavée : après avoir été soignée, c’est le corps lui-même qui se répare tout seul. Attention : il faut avoir pris conscience du problème en tant que problème à l’origine des troubles actuels pour que ce problème s’efface. Certains patients ont parfois conscience d’un événement traumatique, mais le lien entre cet événement et leur symptôme ne s’impose pas à eux. Tant qu’ils n’ont pas réalisé ce lien, ils ne peuvent guérir. Ou bien ils guériront superficiellement. Parfois le thérapeute tente vainement de faire une relecture au patient, et ce n’est qu’après un certain temps que celui-ci finit par l’admettre. Il y a aussi des patients qui ne semblent pas capables de se rendre compte du problème : ce sont les patients psychotiques. Voilà pourquoi la cure psychanalytique ne peut pas aider ce genre de patient.
Le patient va donc être amené à livrer ses pensées au psychanalyste. Mais il ne s’agit pas d’une recherche consciente et volontaire, d’une sorte de brainstorming animé par l’analyste, parce que le monde des émotions et des pulsions n’est pas un monde rationnel, c’est un monde qui obéit à la logique du désir. Il faut donc que le patient se laisse guider par ses émotions. Pour l’aider à faire ça, Freud a trouvé la technique idéale : l’association-libre.
L’association-libre, c’est le train de la pensée du côté de l’affect : le train des émotions. Nous avons deux façons d’associer les informations entre elles : par un biais rationnel, ou par un biais émotionnel. Le lien rationnel est nécessairement volontaire, c’est un travail d’interconnexion logique, de classement et de catégorisation grâce auquel l’individu développe sa connaissance et sa compréhension des choses et de lui-même. Le lien émotionnel est spontané, instinctif, parfois absurde. Il n’est pas dénué de toute logique – ce qui serait impossible – mais il s’agit d’une logique subjective, un peu comme la logique d’un enfant qui n’a aucun mal à mettre dans le même panier une chaussure et une voiture, sous prétexte que les deux objets sont rouges.
Le danger de la psychanalyse
Pourquoi entrer dans ce monde imaginaire peuplé de symboles et d’émotions ? C’est ici l’une des principales objections contre la psychanalyse : le jardin secret du patient est un royaume de subjectivité. Si l’on prétend en franchir le seuil avec lui on risque de perdre tout repère. Plus encore, ce jardin est un domaine intime, nourri par le cœur du patient. Celui qui y pénètre risque de violer un territoire sacré, dont la frontière avec la vie intérieure est rarement claire. Pour ces raisons, l’analyse thérapeutique est un acte grave et périlleux où le patient remet son esprit entre les mains de l’analyste.
Très tôt, Bernanos a senti la menace que représente cette science. Dans son roman la joie dont on a déjà parlé ici, il provoque la rencontre entre son héroïne, Chantal, une âme limpide, alliage édifiant de maturité et de simplicité, et le célèbre docteur Lapérouse, intellectuel tortueux et féru de psychanalyse. Quand Chantal constate que le docteur fait mine de l’analyser, elle braque sa lumière sur les stratagèmes du médecin :
« Aujourd’hui, vous en êtes encore à tâcher de surprendre un fait caractéristique, n’importe quoi qui vous permette de me classer. Je vous vois tendre de ces pauvres petits pièges innocents, avec la candeur du bonhomme entomologiste qui mettra vingt fois de suite sur le dos un malheureux scarabée. Il s’agit de savoir d’où je viens, où je vais... […] Supposez qu’il me plaise de rester là, moi, et de n’aller nulle part ? Je suis née pour vivre au jour le jour, comme un vieux corbeau sous la neige, qui lisse ses plumes et attend le printemps. Oui, un vieux corbeau ! Ne me croyez pas tellement jeune... Je voudrais que vous ne vous affoliez pas plus que moi ; je perds rarement la tête, j’appartiens à une espèce très commune, très résistante, mûre avant l’âge, qui prend le bon de l’air en toute saison. […] Il y a très peu de choses dans ma vie, entendez-vous ! Elle ressemble à une chambre d’étudiante, – le lit, la table, les deux chaises, – je puis la tenir propre et claire... De quel droit en ferait-on un bric-à-brac, un de ces magasins de curiosités que je déteste ? Hé bien, je fermerai ma porte, voilà tout... On devra dire son nom, son vrai nom, montrer son visage... Désormais, n’entrera pas qui voudra. »[4].
La réponse de Chantal aux avances du médecin est particulièrement édifiante. Elle clame son droit de n’être pas décortiquée, elle exprime l’importance de la simplicité. C’est véritablement, semble-t-il, la réponse du pauvre et du petit aux sages et aux savants (Mt 11, 25-27). Mais qui défendra la sobriété des humbles ? A l’heure où l’on provoque sans cesse la curiosité des gens, où l’on sature jusqu’à la nausée l’attention jusqu’à créer des hordes d’hyperactifs incapables de supporter le moindre silence ? Le pape Pie XII nous avait averti sur les dangers de la curiosité, en particulier du côté des complexes sexuels. Voici l’extrait de l’un de ses discours, adressé aux savants de son temps :
«…Pour se délivrer de refoulements, d'inhibitions, de complexes psychiques, l'homme n'est pas libre de réveiller en lui, à des fins thérapeutiques, tous et chacun de ces appétits de la sphère sexuelle, qui s'agitent ou se sont agités en son être, et roulent leurs flots impurs dans son inconscient ou son subconscient. Il ne peut en faire l'objet de ses représentations et de ses désirs pleinement conscients, avec tous les ébranlements et les répercussions qu'entraîne un tel procédé. Pour l'homme et le chrétien existe une loi d'intégrité et de pureté personnelle, d'estime personnelle de soi, qui interdit de se plonger aussi totalement dans le monde des représentations et des tendances sexuelles. L'« intérêt médical et psychothérapeutique du patient » trouve ici une limite morale. Il n'est pas prouvé, il est même inexact, que la méthode pansexuelle d'une certaine école de psychanalyse soit une partie intégrante indispensable de toute psychothérapie sérieuse et digne de ce nom ; que le fait d'avoir dans le passé négligé cette méthode ait causé de graves dommages psychiques, des erreurs dans la doctrine et dans les applications en éducation, en psychothérapie et non moins encore dans la pastorale; qu'il soit urgent de combler cette lacune, et d'initier tous ceux, qui s'occupent de questions psychiques, aux idées directrices, et même, s'il le faut, au maniement pratique de cette technique de la sexualité. »[5]
On pourrait faire le lien ici avec la réflexion suivante du cardinal Antoniano, dans son traité d’éducation :
« Notre misère est si grande, nous avons une telle inclination au péché, que les discours même destinés à le combattre n'ont souvent d'autre résultat que de le faire naître ou de l'exciter. En traitant avec ses enfants d'un sujet si scabreux [la chasteté, ndlr], le père de famille aura le plus grand soin de ne pas entrer dans trop de détails, et de ne pas montrer comment l'hydre infernale de l'impureté communique son venin à la plupart des hommes. Les prédicateurs, les confesseurs, ne sauraient non plus être trop circonspects sur ce point. »[6]
Roland Dalbiez, pour sa part, réfute le pan-sexualisme de la psychanalyse, la thèse selon laquelle Freud rapporterait tout au sexuel. Ceci étant, à partir du moment où Freud affirme qu’il peut y avoir des « émotions sexuelles » distinctes des sensations génitales[7], il généralise la sexualité à une grande majorité de liens sociaux et apporte tout de même une sacré confusion, ce qui n’est pas pour encourager la préservation de la pudeur en psychanalyse.
Au-delà de la question de l’impudicité sexuelle, et il me semble que Bernanos avait bien vu ce point, la psychanalyse excite ce que saint Jean appelait la convoitise des yeux : l’« appétit déréglé et sans frein de la possession des choses extérieures »[8] ; ce que Chantal critique si bien chez le docteur Lapérouse. L’attitude de certains psychanalystes se rapproche en effet dangereusement d’un voyeurisme maquillé par les atours abscons d’une technique érigée en art hermétique.
Dès lors, pourquoi s’intéresser à la psychanalyse ?
L’intérêt de la psychanalyse
Parce que, comme on l’a dit, la psychanalyse est une science unique, qui permet lorsqu’elle est bien menée – ce qui, j’en conviens, est assez rare – de comprendre et de venir en aide à des patients qui sans ça seraient condamnés, relégués au rang de débiles mentaux incurables. Dans beaucoup de situations, la psychanalyse permet d’échapper à des diagnostics médicaux qui semblaient de prime abord sans appel. Quand on voit le poids colossal de la médecine « classique » et de la science rationnelle dans le traitement de la souffrance en général, on se dit qu’une petite soupape d’humanité est toujours bonne à prendre.
De fait, la psychanalyse s’est érigée dès son origine en butte à l’excessive rationalité du domaine médical. Le concept d’inconscient représente à cet égard un refus de limiter l’esprit humain. Cette posture est à double tranchant, car si elle permet de pointer les limites de la rationalisation abusive de l’homme en montrant qu’il y a plus en lui que de la chair et des os, elle relègue néanmoins la vie intérieure à une lubie superficielle, n’offrant pour tout horizon à l’âme qu’un territoire sauvage, peuplé d’ombres et de pulsions. Pour reprendre la citation du père Marie-Dominique Molinié que nous avons mentionné dans l’article Le psychique et le spirituel : « En psychanalyse, on ne contredit jamais rien, on explique tout, et on l'explique par des mécanismes inconscients : que voulez-vous répondre à cela ? »[9]
La psychanalyse a donc réponse à tout. Il suffit de fréquenter des psychanalystes purs et durs, vous comprendrez vite de quoi je parle. Impossible de les faire taire, et si leur verve fait parfois mouche, reconnaissons que souvent elle ressemble davantage à de la poésie ou de la philosophie de bas étage qu’à autre chose. Mais c’est là que Roland Dalbiez entre en scène. Et son exposé est tout simplement un chef d’œuvre de clarté, de discernement et de raison.
L’intérêt de l’ouvrage La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne
Bon, je ne vais pas vous cacher qu’il s’agit d’un ouvrage spécialisé. Je me permets tout de même de le mentionner parce qu’il m’a été très utile, et qu’il serait vraiment dommage de le laisser tomber dans l’oubli. Si vous avez affaire à la psychanalyse, si vous êtes en formation ou si le sujet vous passionne, il faut absolument que vous vous penchiez sur ce travail.
Dans son ouvrage, monsieur Dalbiez présente la psychanalyse de Freud. Mais attention, il ne la présente pas à la façon d’un écolier ou d’un bloggeur, en répétant sans réfléchir les élucubrations du maître. La présentation de la psychanalyse qu’il propose est objective, plus objective que Freud lui-même. C’est l’un des apports les plus importants de l’auteur que de distinguer la psychanalyse de la doctrine freudienne. Il faut entendre ici doctrine dans un sens péjoratif, c’est-à-dire que la doctrine freudienne désigne pour l’auteur tout cet imbroglio sulfureux de pseudo-philosophie qui environne et pollue l’apport que représente la psychanalyse pour la science.
De fait, Freud se targuait de n’avoir jamais fait de philosophie. Se croyant très malin et au-dessus de tout ça, il n’a en réalité, à cause de son manque de formation dans le domaine, fait que contaminer ses trouvailles de valeur avec des élucubrations prétentieuses et farfelues. Patiemment, minutieusement, Roland Dalbiez s’efforce de rattacher la psychanalyse à la réalité. Il s’enfonce dans les théories les plus obscures pour en tirer des perles, et étaye chaque étape de sa présentation par des commentaires de philosophie. Au fil de la lecture, on a l’impression qu’un socle indestructible se forme, que la fumée s’évapore et que tout devient clair. Ça n’a l’air de rien, mais quand vous avez passé six ans à l’université à baigner dans cette ambiance trouble sans parvenir réellement à distinguer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas dans l’enseignement de professeurs dévots au grand Lacan, des professeurs capables de passer quatre heures entières à faire l’exégèse d’une parole que leur maitre a lâché entre la poire et le fromage, je peux vous dire que l’exposé de monsieur Dalbiez fait l’effet d’une révélation. Nous n’étions pas fous, tout compte fait !
L’un des éclairages les plus édifiants que l’auteur jette sur l’empirisme freudien tourne autour de la notion du libre-arbitre : selon Freud, la volonté de l’homme est complètement réduite au désir sensible prédominant[10], ce qui amène Roland Dalbiez à constater : « Il n’est pas de faculté psychique qui soit plus maltraitée dans l’œuvre de Freud que la volonté »[11]. Par une démonstration on ne peut plus claire, l’auteur montre que Freud - et beaucoup de psychanalystes après lui – contourne avec dédain les notions de morale, de volonté, et de religion sans jamais vraiment les considérer en elles-mêmes. Vous noterez au passage que l’on retrouve une nouvelle fois la tendance du sensualisme à travers le refus des définitions au profit de l’expérience sensible immédiate.
En fait, plus on avance dans la lecture de la thèse de monsieur Dalbiez, et plus on réalise que sa critique du freudisme se transpose sans aucune difficulté au relativisme moderne. L’argumentation rigoureuse de l’auteur est un appel au bon sens, à la simplicité et à la sobriété. C’est la réponse exacte aux accusations de Canguilhem que nous avions évoquées dans l’article Le psychique et le spirituel, la bannière que les chrétiens attendaient dans ce domaine si périlleux de la psychologie. Il faut imaginer l’aura invraisemblable des maîtres de la psychanalyse, il faut voir quelle dévotion tant de gens vouent encore à ces gourous pour comprendre à quel point nous avons besoin de remettre les pieds sur terre dans ce domaine.
Mais personne n’a lu monsieur Dalbiez. Selon Agnès Desmazières[12], presque la totalité des catholiques s’intéressant à la psychanalyse vont prendre pour maitre Lacan à partir de 1963. Pourquoi donc ?
Il semble que Dalbiez se soit positionné, pour réaliser sa thèse, au milieu d’un carrefour de courants philosophiques, scientifiques et cliniques et que son refus de suivre le mouvement dans un sens ou dans l’autre l’ait isolé, ce qui a nui à la diffusion de son travail. J’ai déniché un morceau de conférence de Lacan dans laquelle le grand maître évoque la thèse de Dalbiez avec un dédain insupportable, sans même avoir la décence d’expliquer son mépris.
La vanité et la condescendance dont fait preuve Lacan vis-à-vis de Dalbiez sont très exactement la raison pour laquelle il nous faut travailler, fouiller, fouiner sans relâche pour décrotter la vérité du vernis de la mode et des convenances. On retrouve d’une certaine façon la confrontation entre Chantal et le docteur Lapérouse, ce combat de David contre Goliath, le choix courageux de la simplicité et de la vérité contre la gloire mondaine.
Bref, je ne vous en dis pas plus : si le sujet vous intéresse, achetez la thèse ! Faites vivre ces mots qui vous attendent désespérément dans l’obscurité d’un carton, poursuivez l’œuvre méconnue d’un philosophe courageux. Et partagez vos découvertes !
Lisez, méditez, agissez , et bonne année les amis !
[1] R. Dalbiez, La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne, Bibliothèque psychiatrique de langue française, DDB & Cie, tome 1, 1947, p. 247 [2] L’une des seules critiques valables - à mon humble avis – qu’on peut faire à monsieur Dalbiez concerne son refus de mêler la morale avec la thérapie. [3] A l’époque de monsieur Dalbiez, il n’y avait qu’un levier dans ce domaine. Il serait intéressant de creuser du côté de l’EMDR, de l’ICV et de la « pleine conscience » pour discerner ce qui relève de l’analyse et de la synthèse dans ces méthodes qui se disent « innovantes ». Je ne m’attarde pas sur le sujet parce qu’à priori tout ce qui tient de près ou de loin à l’analyse semble avoir un lien (avoué ou non) avec la psychanalyse. [4] Georges Bernanos, La joie, pp. 293-295 [5] Discours du pape Pie XII aux participants au congrès international d'histopathologie du système nerveux, dimanche 14 septembre 1952. C’est bibi qui a souligné. [6] Silvio Antoniano, Traité de l'éducation chrétienne des enfants, éditions Troyes-Guignard, 1856, p.272. [7] R. Dalbiez, Ibid, tome 1, p 258. [8] Jean Daujat, psychologie contemporaine et pensée chrétienne, Pierre Téqui, 1996. p. 254 [9] Fr. M-D Molinié, lettre aux amis n°12 (noël 1971) p.4 [10] R. Dalbiez, Ibid, tome 2 p. 67 [11] R. Dalbiez, Ibid, tome 2 p. 334 [12] Agnès Desmazières, L’Inconscient au paradis. Comment les catholiques ont reçu la psychanalyse. Payot, 2011.
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