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Le péché originel dans le couple (2/3)

Photo du rédacteur: RatatouilleRatatouille

Aujourd’hui, je vous propose de reprendre notre trilogie sur la concupiscence dans le couple, commencée avec cet article. Pour rappel, la concupiscence vient du péché et incline au péché, elle a été « laissée pour être combattue »[1]. Concrètement, la concupiscence est « un certain mouvement, un certain désir ardent, qui par sa nature répugne à la raison. »[2] Nous avons choisi d’aborder ce sujet car c’est un sujet central, qui concerne directement la relation entre l’homme et la femme dans le plan de Dieu. En abordant la concupiscence, nous espérons donc mettre en lumière à la fois notre vocation naturelle et nos axes d’effort[3].

 

Selon Saint Jean (1 Jn 2, 16), cette concupiscence a trois facettes : la convoitise de la chair, qui se définit par l’« appétit déréglé et sans frein des jouissances de la sensualité et de la sentimentalité », la convoitise des yeux qui est l’« appétit déréglé et sans frein de la possession des choses extérieures » et l’orgueil de la vie, qui est la « complaisance déréglée et sans frein en nous-mêmes »[4]. Après avoir parlé de la convoitise de la chair dans le couple, je vous propose aujourd’hui d’aborder la convoitise des yeux.

 

De prime abord, on peut s’étonner : pourquoi parler des yeux quand on médite sur la concupiscence ? Qu’on évoque la chair et l’orgueil, ça se conçoit, on a un peu l’habitude. Mais les yeux, ça semble un peu trop anatomique non ? Et puis, pourquoi avoir distingué les « yeux » de la « chair » ?

 

Quand saint Jean traduit la convoitise des yeux par l’appétit déréglé et sans frein de la possession des choses extérieures, il associe les yeux à la captation de ce qui est hors de nous-même. Remarquez que tant la convoitise de la chair que l’orgueil de la vie sont en rapport direct avec notre nombril, notre petite bulle. La convoitise des yeux, en revanche, associe notre jouissance avec un objet extérieur en tant qu’objet extérieur. Il ne s’agit donc pas, comme on pourrait assez spontanément le croire, de la sensualité liée au sens de la vue, mais du regard d’un point de vue symbolique, de notre façon d’appréhender et de gérer ce qui n’est pas nous. Si la convoitise de la chair désigne la tentation d’une jouissance excessive et sans frein, la convoitise des yeux désigne donc la tentation d’avoir, de façon excessive et sans frein.

 

La frontière entre les deux n’est pas si hermétique que cela, mais il semble important de montrer que la barre est un peu plus « spirituelle » que pour la convoitise de la chair. C’est important parce que si je ne fais pas trop de bêtises, on va voir dans cette série d’articles sur la concupiscence que la tentation commence par l’extérieur pour se rapprocher de notre âme. Notre aumônier scout nous expliquait que c’est une stratégie typique du malin : la chair, l’esprit, puis l’âme. Ainsi il avait pu constater que certaines personnes qui avaient « plongé » moralement pour des péchés liés à la chair en étaient venues à trouver une sorte de jouissance dans le blasphème. Ça commence par une jouissance sensible excessive, puis on se décourage pour enfin se perdre dans la perversion. Alors qu’au départ il semble que la tentation corresponde à un élan « naturel », à l’arrivée on se retrouve dans une jouissance foncièrement contre-nature. C’est d’ailleurs l’intérêt de la formulation « appétit déréglé et sans frein » de saint Jean, ça donne une bonne idée du toboggan qui nous attend lorsqu’on néglige les vertus et la grâce.  Nous ne sommes pas si compliqués que notre orgueil aimerait nous le faire croire…

 

L’idée donc aujourd’hui c’est - entre guillemets - d’élever le débat, et d’aborder un thème paradoxalement plus sensible que la chair. On a fait tellement de progrès ces dernières années dans l’Eglise pour parler du corps et du désir que l’on passe parfois un peu trop à côté du reste. C’est vrai, la chair est une excellente porte d’entrée pour apprécier l’équilibre de la personne et du couple, m’enfin il n’y a pas que ça. Et souvent, nous voilà si obsédés par notre combat contre la convoitise de la chair que nous laissons passer au fond de nous-mêmes d’immenses trains de marchandise remplis de petites habitudes qui nous éloignent de la vie en Dieu, et qui produisent à la fin cette sorte de mélancolie qu’évoque le duc de Guise dans Cyrano :

 

« — Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,

On sent, — n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! —

Mille petits dégoûts de soi, dont le total

Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;

Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,

Pendant que des grandeurs on monte les degrés,

Un bruit d’illusions sèches et de regrets,

Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,

Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes. »[5]

 

On n’a rien fait de vraiment mal, et pourtant… Il ne faut pas oublier que notre objectif n’est pas d’éviter de pécher, mais de porter du fruit, en Dieu[6]. D’où l’intérêt d’étudier la concupiscence sous ces trois facettes : si le but est de connaître notre ennemi pour mieux nous battre, il ne s’agit en rien de chercher à ne pas se prendre de coups. Notre quête est la liberté en Dieu, le choix libre et délibéré chaque jour du Bien le plus total. Et nous ne pouvons être libres tant que nous ignorons le danger qui nous guette.

 

Quel danger pour le couple se cache donc derrière cet appétit déréglé et sans frein de la possession des choses extérieures, de ce qu’on nomme la cupidité ?

 

Nous avons évoqué la dernière fois ce pari anachronique du couple, où l’homme et la femme acceptent de dépendre l’un de l’autre, contractant ce qu’on pourrait qualifier de façon volontairement provocatrice une dette mutuelle. Le mariage est l’épicentre du lieu où chacun nous touchons les limites de notre être, où nous réalisons que nous ne sommes pas - et nous ne pouvons pas être - tout. De façon assez sommaire et sociologique on pourrait dire que l’homme apprend à s’attacher dans la durée, à s’enraciner, à être ; et la femme apprend à se détacher au quotidien, à laisser être. Dans cette mesure la tentation de la cupidité correspond pour les époux à chercher à masquer sa différence.

 

La cupidité chez la femme

 

L’attribut exclusif et exceptionnel de la femme réside dans sa maternité. Il ne s’agit pas de prétendre que la femme n’est bonne qu’à « faire la mère », et que tout ce qu’on lui demande c’est de produire des enfants comme une machine. Le sacrilège commis par les communistes et après eux les féministes est d’avoir profané le mystère de la maternité en sa beauté, de l’avoir caricaturé – et par là d’avoir fait le jeu des capitalistes en prétendant que c’était la liberté de la femme de se faire exploiter à l’usine plutôt que de gouverner son foyer.

 

L’Eglise, dans sa méditation sur la maternité, nous apprend que l’enfantement ne se résume pas au temps de la grossesse jusqu’à l’accouchement. L’enfantement a lieu depuis la conception jusqu’à l’entrée dans l’âge adulte du fils ou de la fille. Bien entendu, le père a une place de plus en plus importante dans cette aventure, mais comment peut-on croire que celle qui a été la plus proche du mystère originel, qui a abrité en son sein le miracle où une vie a été tirée du néant pour se former dans l’obscurité et le secret ne reçoit par là qu’un rôle mineur, ingrat ? Quel égoïsme, quelle cruauté faut-il pour ne voir dans cette vocation qu’un défaut de la nature, une injustice ! Et quel courage faut-il de nos jours pour défendre ce privilège face aux perversions et aux tentations du monde…

 

La lutte mortifère qui s’est engagée entre le monde et la maternité des femmes semble finalement opposer la femme à son propre corps. Il s’agit véritablement d’une intrusion sacrilège dans l’intimité féminine pour y semer le poison païen du scepticisme. Ce poison attaque le cœur, et conduit la femme à douter de la légitimité de son statut de mère. En faisant croire à la femme qu’elle doit pour exister revendiquer un statut identique en tous points à celui de l’homme dans le monde d’aujourd’hui, en éliminant peu à peu toutes les traces de son statut de mère – qui équivaut finalement à celui d’un chômeur -, le monde lui offre comme seule opportunité de crédibilité sociale d’être l’ombre d’Adam et transforme tous les attributs de la maternité en autant de défauts de la nature. La grossesse est associée à un arrêt maladie, à une pause, alors même qu’elle désigne le moment de vie par excellence. Combien de femmes se voient obligées de mettre en place une organisation d’une complexité incroyable pour goûter une petite part de ce gâteau appétissant de la vie active ! Quel tour de force du monde de nous avoir fait croire que là était réellement votre vocation, votre épanouissement, votre statut légitime : assise derrière un bureau. Critiquons à loisir le régime communiste, apitoyons-nous devant tous ces régimes collectivistes, alors que nos enfants sont parmi d’autres, aux mains de professionnels. Non, en effet, ni la crèche ni l’école ne portent à nos yeux l’étiquette du collectivisme. Et puis, grands dieux ! Qu’il est sain et bon d’apprendre dès que possible à nos chérubins la vie en collectivité… Comme si nos cœurs de parents étaient moins bons, moins créatifs, moins aimants que ceux des professionnels.

 

Cette illusion magistrale, ce tour de force s’appuie en bonne partie sur l’angoisse de la femme d’être invisible, mise de côté, laissée pour rien. Nous les hommes pouvons faire autant d’effort que possible, nous serons toujours incapables de ressentir au fond de nous-mêmes ce lien originel qui lie la femme à ses proches. C’est qu’apparemment la modalité relationnelle fondamentale de la femme se trouve précisément dans le mystère de la maternité, qui -même de façon strictement potentielle – l’amène à sentir l’autre d’abord en elle, avant de le concevoir en tant qu’individu distinct. On a parlé de l’instinct maternel, il faut comprendre en fait que cet instinct – même s’il n’est pas toujours d’ordre empathique – désigne la façon d’être de la femme. Voilà pourquoi il lui est souvent si difficile d’avoir de l’assurance dans la solitude ou du détachement dans l’amour : elle est liée avant même de vouloir. Que signifie alors pour la femme d’avoir confiance en elle ? Elle a certainement confiance en d’autres, mais justement, à cause de – ou grâce à – ces liens, le sens même de la distinction entre avoir confiance en soi et faire confiance à un autre n’est pas aussi pertinent que pour l’homme. Voilà pourquoi notre société individualiste se heurte avant tout au paradoxe de la femme : l’individualisme lui est contre nature.

 

Pour cette raison, la convoitise des yeux peut pousser la femme de façon perverse à chercher à posséder l’autre. A travers une posture enfantine, maternante ou séductrice, la femme est tentée de nier l’altérité en refusant la différence qui la sépare de l’autre. Cette tentation semble faire écho à la maternité, dans le sens où étant à l’origine elle ne se voit pas, et oscille entre être tout ou n’être rien.

 

Bien sûr, à partir de là on peut s’émouvoir de cette vocation foncièrement altruiste : quelle injustice ! La femme ne pourrait donc pas faire cavalier seul ? Mais comment peut-elle s’adapter à notre société alors ? Et rebelotte, on tente par des opérations chirurgicales et sociales de travestir la nature en mettant la maternité entre parenthèse, comme une anomalie gênante et, au fond, hors sujet.

 

La paix et la fécondité de la femme semblent donc au prix d’une libération intérieure de ces idéologies qui prétendent l’éloigner de son corps et de sa vocation. Les liens qui attachent malgré elle la femme à ses proches ne sont pas des entraves, ce sont des amarres. Or c’est justement d’amarres que manque notre monde, exténué de ruptures. A l’échelle du couple, cela nous montre aussi combien la femme a besoin d’avoir de quoi être.

 

Avoir de quoi être

On a parlé du statut de la femme, déformé par le monde actuel. Il ne faudrait pas en conclure que la quête de reconnaissance sociale de la femme est mauvaise en elle-même. Par ailleurs, l’Eglise n’a jamais prétendu cloîtrer les femmes en leur refusant toute légitimité dans le monde, à l’instar des musulmans. Au cœur du Moyen-Âge les femmes travaillaient aussi dans la société[7]. Il serait d’ailleurs complètement injuste d’accuser les femmes qui travaillent aujourd’hui, compte tenu de la pression sociale -et financière, il faut bien l’admettre – qu’elles subissent. La femme a besoin, un besoin essentiel, d’avoir de quoi être. Il serait rien de moins que criminel de l’en priver.

 

On ne peut pas être sans entretenir notre capacité à la distinction et à la communion. C’est vrai même pour Dieu, qui dans le mystère de la Trinité nous présente à la fois une distinction infinie des trois personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et une communion intime elle aussi infinie de ces trois personnes en un seul Dieu. C’est la circumincession, qui concerne tout particulièrement le genre humain car il s’agit de notre vocation exceptionnelle à rejoindre la Trinité dans cette perfection d’Amour. Nous sentons concrètement cette vocation à travers notre désir de ne faire qu’un avec l’autre tout en affirmant notre identité. Du point de vue du thérapeute, la connaissance de ce mystère est sans prix parce qu’elle résume à elle seule l’origine de l’ensemble des pathologies qui existent : le désir de se dissoudre en l’autre ou de se fermer sur soi. On peut dire sans se tromper que toutes les psychopathologies résultent d’un déséquilibre dans la dynamique de ces deux désirs viscéraux.[8]

 

Il ne faut pas voir dans notre vocation un péril, mais une tension sanctifiante entre deux élans vitaux. Si je refuse de me connaître, je néglige ma vocation et je foule tous ces talents que le maître m’a donné. Si je refuse de m’ouvrir à mon prochain, je néglige de connaître Dieu et ses œuvres ; j’aurais peut-être des talents mais ils seront stériles. On le voit, l’enjeu n’est autre que notre fécondité – ou plutôt notre participation active à la fécondité de Dieu. Pour la femme, on comprend quelle fécondité l’attend en assumant pleinement sa maternité vocationnelle : à l’image de Marie elle peut devenir pour tous le signe de notre appel à la communion universelle.

 

Dans son désir légitime d’avoir de quoi être, autrement dit d’obtenir les conditions qu’il lui faut pour se donner à ses proches sans se dissoudre elle-même, la femme peut être tentée de verrouiller les choses, de se saisir elle-même des moyens qui lui permettent d’être. C’est la fille qui refuse de quitter ses parents alors qu’elle s’est donnée dans le mariage, c’est la mère qui refuse de laisser grandir ses enfants, c’est l’épouse qui ne respecte pas l’autorité (et donc la différence) de son époux.

 

Or l’homme a un rôle décisif pour permettre à la femme d’avoir de quoi être. Il est si facile de se ranger discrètement du côté du monde en considérant que ces attributs de la maternité ne concernent que les femmes… Pourtant personne n’est plus à même de protéger la femme que l’homme. Car si la femme est liée avant de vouloir, l’homme veut avant d’être lié, il est donc mieux placé pour juger, pour discerner et pour trancher. Laisser croire à la femme que la question de la maternité est subsidiaire, la laisser imaginer qu’elle peut éviter sa vocation est dramatique. De ce point de vue, il est indispensable que l’homme défende bec et poings le statut de sa femme, et qu’il lui donne toutes les occasions de nourrir ce statut en le comprenant comme un besoin nécessaire. Au-delà de la lutte intellectuelle contre tous les préjugés et les tentatives de culpabilisation de la femme au foyer dans les discussions avec les amis et la famille, cela passe par le souci de permettre à sa femme de développer ses compétences en aplanissant les obstacles, et en l’aidant à se maintenir par tous les moyens possibles sur « ce siège vraiment royal où elle a été élevée par l'Evangile dans l'intérieur des murs domestiques »[9].

 

La cupidité de l’homme

Chez l’homme, la cupidité est plus littérale. Si la femme est poussée dans son être à la communion, l’homme est poussé à l’identité, à la connaissance de lui-même. Il n’a aucun mal en général à percevoir les limites de son être. En revanche, la nécessité d’entrer en communion ne tombe pas sous le sens pour lui. Si la femme à peur d’être comptée pour rien, l’homme a souvent peur qu’on compte trop sur lui, les attentes des autres sont à ses yeux autant de chaînes qui risquent de l’empêcher d’être qui il est.

 

Ainsi, l’appétit déréglé et sans frein de la possession des choses extérieures pousse l’homme à ériger des barrières de protection pour s’épargner la souffrance de se sentir arraché à lui-même par la communion. L’objet prend alors la place de l’autre, et la communion laisse place à une caricature ridicule. C’est l’avare dans toute sa splendeur :

 

« Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami ! on m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait ; je n’en puis plus ; je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? »[10]

 

Pour un peu on croirait entendre la plainte de Marie-Magdeleine devant le tombeau vide du Seigneur. Il y a là une symétrie troublante entre d’une part la femme qui peine à se voir à la lumière de sa vocation, et d’autre part l’homme qui peine à discerner son prochain à la lumière de sa vocation, au point de s’ériger des pantins à partir de ses possessions. L’une s’idolâtre et l’autre idolâtre, chacun pour éviter de faire confiance.

 

De ce point de vue, la pornographie, les jeux vidéo et le virtuel en général constituent un risque particulier pour l’homme. L’illusion de plus en plus poussée de la relation à l’objet – et encore on n’est qu’au début de l’intelligence artificielle – réduisent l’effort que l’homme est tenté de faire pour imiter la communion sans la vivre de façon authentique et intégrale.

 

L’esprit de pauvreté

La réponse que nous offre le Christ à cette facette de la concupiscence en nous qu’est la cupidité s’appelle l’esprit de pauvreté. Avec la chasteté et l’obéissance, ce conseil évangélique nous aide à lutter contre la concupiscence et nous dispose spécialement à grandir sous le regard de Dieu.

 

Dans le mariage, l’esprit de pauvreté revêt un caractère particulier car il ne peut s’exprimer de façon aussi radicale que dans certains ordres religieux, du moins d’un point de vue matériel. Cela ne signifie pas que le Christ ne nous encourage pas à la pauvreté matérielle – son message vis-à-vis des riches est des plus explicites, mais nous ne pouvons faire abstraction du bien-être de nos enfants.

 

L’esprit de pauvreté, particulièrement bien décrit dans l’œuvre d’Eloi Leclerc, est un appel au dépouillement, le refus quotidien de protéger notre amour-propre par des stratagèmes d’esquive de l’autre et de nous-mêmes en ce que nous avons de plus vil. Mais ce dépouillement de ses artifices serait cruel si l’esprit de pauvreté n’était pas d’abord le choix de la confiance et de l’abandon en Dieu. On a pu le voir, la cupidité dans le couple représente pour l’homme comme pour la femme le refus de faire confiance, le refus d’espérer que l’autre nous protégera en ce que nous avons de plus faible. C’est, en définitive, le refus de se dénuder l’un devant l’autre, alors même que nous ne sommes à l’image de Dieu que lorsque nous ne faisons qu’une seule chair. C’est donc le refus de Dieu en nous. « Bannis l’envie, disait saint Augustin, et ce qui est mien sera tien, et si je bannis l’envie ce que tu possèdes sera mien. »[11]

 

Dans la méditation du rosaire, le troisième mystère joyeux dont le fruit est « l’esprit de pauvreté » n’est autre que le mystère de la nativité du Seigneur. Le premier à s’être fait pauvre, nu dans la crèche comme sur la croix, c’est le Christ. Et si le message n’est pas assez clair, Il nous demande de le voir dans chaque pauvre que nous croisons. Il nous demande de le rencontrer et de l’aider à travers les pauvres, en faisant d’eux les réceptacles de sa présence « réelle »[12]. Voilà un bon chemin à parcourir… Bonne route !


[1] Concile de Trente, 5ème session, décret 1515.5, 17 juin 1546.

[2] Cardinal Silvio Antoniano, Traité de l’éducation chrétienne des enfants, éd. A. Guignard, Troyes, 1856, p. 65

[3] « La description biblique du Livre de la Genèse précise les conséquences du péché humain, comme elle montre aussi le déséquilibre introduit dans les rapports originels entre l'homme et la femme qui répondaient à la dignité de personne qu'avait chacun d'eux. » Saint Jean-Paul II, encyclique Mulieris Dignitatem du 15 août 1988, §10.

[4] Jean Daujat, psychologie contemporaine et pensée chrétienne, Pierre Téqui, 1996. p. 254

[5] Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, E. Fasquelle, 1926, p197.

[6] Qu’on pense à la réponse sévère du Seigneur à tous ceux qui, bien qu’ils ont été jusqu’à accomplir des miracles, n’ont pas suivi la volonté du Père : « je ne vous ai jamais connus. Ecartez-vous de moi, vous qui commettez le mal ! » (Mt 7, 23)

[7] Remarquons cependant que l’activité des femmes au Moyen-Âge ne se présentait jamais comme la négation de la place de la femme au foyer. Cette opposition idéologique se déchaîne réellement au XIXème, ayant largement été préparée dans les salons de pensée du XVIIIème.

[8] Notons que ce déséquilibre psychologique ne relève pas forcément de l’ordre de la responsabilité de la personne. On en parlera plus loin.

[9] Pie XI, Casti Conubii, op. cit

[10] Molière, L’avare, Œuvres complètes de Molière, 1910, tome III, p.80 (Extrait de la plainte d’Harpagon ayant perdu sa cassette)

[11] Saint Augustin, Commentaire sur Jean, 32, 8 (CCL 36, p.304). Cité par R. Cantalamessa, Aimer autrement, EdB, p.168.

[12] Attention il s’agit d’une présence réelle « passive » et non « active » car le pauvre n’est pas un signe efficace de la grâce, il ne la produit pas par lui-même comme le font les sacrements (cf. Raniero Cantalamessa, Aimer autrement, EdB, p.150-151)

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