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Comprendre les médias

  • Photo du rédacteur: Ratatouille
    Ratatouille
  • 31 mars
  • 5 min de lecture

Aujourd’hui, je vous propose un petit exercice de métacognition sociologique. Qu’est-ce donc que la métacognition ? Me direz-vous. La métacognition c’est en psychologie le fait de prendre conscience de notre pensée, c’est ce moment où l’élève sidéré s’aperçoit qu’il sait sa leçon et décide de pister ses idées pour comprendre comment elles se forment et s’organisent pour parvenir à la connaissance. Domaine franchement passionnant, qui gagnerait énormément à s’intéresser à la philosophie naturelle – et en particulier aux écrits de Jacques Maritain sur l’épistémologie, l’étude de la connaissance. Au risque de choquer Karadoc, il faut le dire : la connaissance, c’est la vie. C’est semble-t-il ce moment où nous nous laissons édifier par la Création, ce moment où à la fois nous grandissons dans notre être et où nous percevons davantage la grandeur de la Création – et finalement du Créateur. Certains ont prétendu que chacun avait sa connaissance, qu’il s’agissait d’un processus complètement subjectif. D’autre ont prétendu qu’en fait la connaissance ne nous permettait pas d’atteindre vraiment la vérité des choses dans leur essence même, que c’était une sorte d’illusion. Maritain, en s’appuyant bien sûr sur saint Thomas d’Aquin, s’est chargé de remettre les choses à leur place, et de lever un peu plus le voile sur ce mystère si beau du moment où l’homme rencontre la Création, et croît. Car pour peu que l’on apprenne à connaître bien, notre coeur grandira comme notre intelligence.


Bon, par contre je vais vous décevoir – ou vous rassurer, c’est selon ! -, nous n’allons pas nous épancher sur la métacognition ou l’épistémologie aujourd’hui. Aujourd’hui, nous allons parler de la métacognition sociologique, association farfelue de mots qu’il m’a plu de vous concocter pour désigner notre accès à la connaissance des actualités à l’échelle de notre société. On a déjà pu le constater notamment avec l’article sur l’apocalypse cognitive de Gérald Bronner, Nous croulons sous une montagne d’information quotidienne. Et nous entrons dans ce que certains appellent l’ère de post-vérité. Les fausse informations, fake news, se multiplient et beaucoup de monde critique le nombre et l’importance de théories du complot qui rendent l’accès à la vérité des informations terriblement périlleuse pour les pauvres et honnêtes citoyens que nous sommes. Bigre.


Je me suis dit que ça ne serait peut-être pas du luxe d’étudier un peu cet imbroglio vu notre contexte socio-politique actuel, spécialement parce que d’un coup la plupart des médias les plus importants se font le relais un élan phénoménal : les États-Unis nous lâchent, l’Europe est seule face à la Russie, il nous faut une armée Européenne. En gros. Au-delà de ça, on ne peut pas nier une escalade très rapide dans les relations internationales qui sont de plus en plus tendues. Voilà pourquoi il paraît non seulement nécessaire mais urgent de nous informer sur les réseaux d’information dont nous bénéficions au quotidien, afin de pouvoir prendre l’information qu’ils nous servent avec le recul nécessaire pour choisir et discerner au mieux. Rappelons combien est indispensable la vertu cardinale de prudence, qui ne nous empêche jamais d’agir mais nous pousse à agir au bon moment.


Donc. Pour commencer, ouvrons le livre manufacturing Consent (Fabriquer un Consentement) de Edward Herman et Noam Chomsky. Publié en 1988, réédité en 2002, l’édition française de 2018 mentionne une « traduction rétablie » pour le public francophone. Le traducteur, Dominique Arias, explique avant la préface que les éditions françaises précédentes étaient une mutilation de l’œuvre originale, qui ont étés publiées contre l’accord des auteurs. Il faut le faire. En même temps, les auteurs consacrent 743 pages à pointer du doigt les médias de masse, en les accusant preuve à l’appui d’être de mèche avec les politiciens et les industriels.


Pour des sujets brûlants comme la guerre du Viet Nam ou les élections au Nicaragua, les auteurs montrent comment les journalistes des plus grands journaux évoquent (ou passent sous silence) les actualités. Ils observent une proportion particulièrement déséquilibrée d’accusations de génocide pour certains chefs politiques plutôt que d’autre (alors que les faits sont similaires), parfois même ces accusations varient pour la même personne (Pol Pot) selon que les intérêts des USA coïncident avec elle ou non.


On comprend vite que les auteurs pointent surtout l’hégémonie américaine sur les canaux d’information occidentaux. La leçon reste valable, et une question demeure : nos médias sont-ils fiables ?


Dans la compréhension des causes, l’analyse de Dominique Arias est très éclairante. Le traducteur remarque en effet un passage de Manufacturing Consent : « Les mass-médias [...] ont vitalement besoin d’un flux continu et stable d’information brute et ne peuvent se soustraire ni à la demande d’information quotidienne ni à la grille horaire qui lui est impartie. Pour autant, ils ne peuvent pas se permettre de maintenir des reporters et des caméras partout où un événement important est susceptible de se produire. » Qui a les moyens logistiques ? Les plus grand groupes , qui alimentent donc les autres médias. Selon monsieur Arias, cela force la grande majorité des journalistes à faire du rewriting, à broder comme ils peuvent à partir de cette information reçue d’ailleurs.


Il semble opportun donc d’en savoir un peu plus sur la hiérarchie de l’information. Je vous propose de faire un petit tour sur le site acrimed, qui a effectué un gros travail pour rendre lisible cette hiérarchie. C’est ici.


Marquons tout de même une petite pause, car il y a ici un schéma bien connu qui semble se répéter. Au-delà de la dépendance des groupes médiatiques vis-à-vis de leurs propriétaires, la cadence de production de l’information implique nécessairement un écueil de taille dans la qualité de l’information que nous recevons. On ne parle pas d’un grand méchant loup qui aurait élaboré un système aussi complexe pour nous intoxiquer, mais d’une machine aux dimensions colossales, une machine qui semble surhumaine et qui produit sans relâche, amoncelant des tonnes et des tonnes d’informations. Ce système n’a en lui-même aucune intention, il n’adresse aucune nouvelle à personne. Il produit aveuglément. On retrouve ici le caractère foncièrement impersonnel de l’idéologie libérale : il faut produire pour produire, car c’est là notre salut.


Alors, bien sûr, certains en profitent. Les exemples d’Edward Herman et de Noam Chomsky sont sans appel. Mais – et c’est là le comble – les auteurs ont basé toute leur étude sur les informations des médias. Ils n’ont pas travaillé sur d’autres supports. Ce qui signifie qu’ils ont accédé aussi aux informations « authentiques » par le biais des même médias qui racontent souvent des carabistouilles. Car il s’agit en fait d’une question de proportion. Si les journaux les plus importants passent telle nouvelle sous silence, ou s’ils la balaient du revers de la main et la minimisent, l’information reste accessible – ou du moins elle existe, sous un tas d’autres nouvelles de moindre importance.


C’est là que je suis tombé sur le livre de David Colon, Propagande, La manipulation de masse dans le monde contemporain (Belin, 2019). Ce livre présente deux avantages sur Manufacturing Consent, qui reste un monument en son genre : il est récent, donc il parle des réseaux sociaux et de la situation géopolitique actuelle, et il est concis. Enfin, il fait quand même 430 pages mais son ouvrage est divisé en plein de chapitres différents alternant théorie (notamment la psychologie sociale, toujours aussi divertissante, utilisée dans le marketing) et pratique (propagande américaine, propagande russe). Petite cerise sur le gâteau, l’auteur apprécie Jacques Ellul. Bon il reste très pudique et aborde les thématiques un peu à la parisienne, mais ça reste très respectable – et surtout passionnant.


Bonne lecture, et bonne semaine les amis !

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