Bonjour !
Aujourd’hui, je vous dois des excuses. Je n’ai pas été aussi loin que d’habitude dans mes tiroirs, et le grimoire dont nous allons discuter n’est pas très vieux. Pourtant le terme de grimoire est adapté, car il s’agit de sorcellerie, de baguettes magiques et de chapeaux pointus : il s’agit de la série des Harry Potter.
J’aimerais qu’on en discute parce qu’une question flotte au-dessus de ces livres : est-il bon de lire les Harry Potter ? Et surtout : est-il avisé de les faire lire à nos enfants ? Deux camps s’opposent sur la question, qui n’a pas l’air vraiment tranchée.
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas l’histoire, Harry est un garçon qui découvre à ses onze ans l’existence d’un monde magique caché dans le monde réel : toute une partie de la population dispose de pouvoirs magiques : ce sont des sorciers. Chaque sorcier dispose d’une baguette magique, et utilise ses pouvoirs en brandissant sa baguette tout en énonçant une formule. Il y a une école très ancienne, Poudlard, où les enfants apprennent la magie de onze à dix-sept ans, avec des diplômes, des professeurs etc. Il y a aussi un gouvernement, le ministère de la magie. Tout un monde, quoi.
Les sorciers se cachent des hommes qui n’ont pas de pouvoirs magiques (et qu’on appelle les « moldus »), ils utilisent donc toutes sortes d’astuces magiques pour se rendre invisibles à leurs yeux. Certains sorciers voient cette situation d’un mauvais œil, et considèrent que les moldus sont inférieurs aux sorciers, qu’ils devraient être à leur service. Ces méchants sorciers sont obsédés par la pureté du sang, ils luttent pour que les sorciers ne se mêlent pas aux moldus, et affirment que les enfants nés de parents moldus qui se découvrent des pouvoirs magiques (et qui deviennent donc des sorciers) sont des imposteurs.
L’un de ces méchants sorciers a fait des siennes dix ans avant que ne commence l’histoire. Très puissant, très méchant et très intelligent, il a rassemblé des disciples et a terrorisé son monde. Il s’est fait appeler Lord Voldemort, mais il a si bien collé les miquettes que les gens n’ont plus osé l’appeler par son nom, le désignant comme « celui dont on ne doit pas prononcer le nom », ou encore « vous savez qui ». Et puis un jour, sans que personne ne sache trop pourquoi, il est entré dans la maison des parents de Harry, pour assassiner le bout-de-chou qui avait un an. Il a tué le père de Harry, puis sa mère et au moment où il s’est attaqué à Harry, le sort a rebondi pour lui revenir en pleine poire. Plus personne n’a jamais revu le grand méchant loup…
Harry a alors été envoyé par Albus Dumbledore (le grand sage de l’histoire, directeur de l’école, puissant magicien et défenseur des faibles) chez son oncle et sa tante, des moldus sans histoire vivant dans un quartier résidentiel loin du monde des sorciers. Il y est resté jusqu’à ses onze ans, sans rien connaitre de son histoire ni du monde magique, et découvre donc toute cette féérie en même temps que le lecteur. Il va rester six ans à l’école des sorciers, et chaque année il sera confronté au vilain Voldemort qui cherche à retrouver ses pouvoirs et à zigouiller Harry. Un vrai méchant quoi.
En plus de détester les moldus et de vouloir les asservir, Voldemort désire par-dessus tout devenir immortel. Par des stratagèmes magiques il tente donc de neutraliser la mort. Or, une prophétie lui a appris que l’obstacle entre lui et la vie éternelle était Harry, d’où l’acharnement maléfique qu’il dépense à l’endroit de notre héros. Harry, de son côté, va découvrir au fil des confrontations avec Voldemort quels sont les principes qui régulent la magie.
La magie dans Harry Potter
Dans le monde d’Harry Potter, la magie est une force qui s’exprime par le biais d’une baguette magique. Cette force semble dépendre en bonne partie de l’énergie affective du sorcier. Il y a des émotions positives (l’amour, la joie) et des émotions négatives (la haine, la colère). Dans le roman, la magie est donc un outil d’expression et de compréhension de l’affectivité des personnages. Ainsi, il arrive qu’un personnage en colère fasse par inadvertance surgir de petites étincelles au bout de sa baguette. La magie existe donc indépendamment de l’utilisation qu’en font les sorciers, et progressivement Harry découvre que la magie est permanente, qu’elle agit même en dehors de la volonté consciente des personnages. En particulier, il apprend qu’en donnant sa vie pour sauver la sienne sa mère l’a protégé par son amour, ce qui lui a permis de résister au sort que lui a lancé Voldemort.
C’est ici l’un des grands enseignements qu’apprend Harry : la magie la plus invisible, la plus insignifiante est parfois plus puissante que la magie la plus impressionnante et la plus visible. En particulier, l’amour est plus fort que la haine. Cette réalité est rendue très concrète dans le roman par le biais de la magie, car la confrontation entre le bien et le mal est alors visible.
Un deuxième enseignement qui n’est pas anodin dans le roman se situe dans le rapport à la mort des personnages. Tandis que le méchant s’agrippe à la vie et commet les pires crimes pour ne pas mourir physiquement, le gentil découvre que pour vivre vraiment il faut accepter de mourir. L’auteur de Harry Potter insiste sur l’importance de ne pas chercher à fuir les épreuves qui nous attendent mais au contraire à les choisir comme un moyen de se donner. J. K. Rowling compare pour expliquer cela la situation d’un homme trainé dans l’arène pour y mourir et d’un homme qui entre dans cette même arène la tête haute, et explique que la différence entre ces deux attitudes peut sembler minime, mais qu’en réalité cela change tout.
Par son principe de fonctionnement, la magie du monde de Harry Potter dessine donc une morale très proche de la morale chrétienne : il faut apprendre à maitriser ses instincts pour faire de notre désir de vie une puissance de fécondité, il faut choisir le bien plutôt que la facilité, il ne faut pas s’arrêter au monde visible…
Dans ce cas, me direz-vous, que peut-on reprocher à ces romans ? De ce que j’ai vu, les accusations sont diverses. Il y a bien évidemment la présence de la magie blanche et de la magie noire dans le roman, qui perturbe la compréhension que nous avons de ces forces spirituelles dans la réalité en nous donnant une vision faussement neutre de ces puissances. Rappelons ici que même la magie blanche, l’utilisation de capacités extra-sensorielles pour faire le bien (soigner des verrues, passer le feu etc…) n’est pas souhaitable tant qu’elle n’a pas été explicitement déposée aux pieds de Dieu. Qu’on se rappelle ici les paroles du Christ (Mat. 12, 30) : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. » Dans un domaine que nous ne maitrisons pas, il est d’autant plus nécessaire de demander l’aval du Big Boss et de l’impliquer dans le processus. Pour plus de détails référez-vous au livre Délié de Neal Lozano.
A la lecture des romans, j’ai pu identifier trois autres motifs de précaution. Le premier concerne le rapport des personnages à la réalité, le deuxième concerne leur rapport à l’autorité et le troisième concerne la distinction entre le matériel et le spirituel.
Le rapport des personnages à la réalité
La magie, même lorsqu’elle suit certaines règles, reste un contournement de la réalité, une sorte de raccourci. On pourrait dire qu’un miracle ou un prodige « empêche », en quelque sorte, la nature de suivre son cours. Or, dans le monde de Harry Potter, la magie est permanente et son utilisation est facile. La réalité est donc biaisée, car l’action des personnages est grandement facilitée. Cela signifie que les personnages ont moins le sens de l’effort au quotidien.
D’ailleurs, l’auteur valorise beaucoup le confort (l’école de Poudlard est, au quotidien, un vrai hôtel trois étoiles si on met de côté le chien à trois têtes, le serpent géant et autre festivité). Cela ne signifie pas que tout est facile pour les personnages – loin s’en faut -, mais on peut se demander si l’idéal tacite de confort, de satiété et de profusion matérielle qui sous-tend l’univers de Harry Potter n’excite pas nos pulsions consommatrices.
Le rapport des personnages à l’autorité
A la lecture des romans, on ne peut s’empêcher de remarquer que l’autorité officielle est peu crédible dans l’univers magique de Harry Potter. Il y a bien un gouvernement, mais il n’a que peu de poids dans la protection des sorciers et le ministre de la magie est très souvent dépassé par les événements. La loi ou les règlements sont souvent abusifs, ils ne protègent pas et les protagonistes cherchent souvent à contourner l’autorité plus qu’à la respecter. Ceci étant, il faut reconnaitre que la figure d’Albus Dumbledore contrebalance ces insuffisances - dans une certaine mesure.
La distinction entre le matériel et le spirituel
De façon générale, il faut remarquer aussi que J. K. Rowling sépare nettement le monde physique du monde spirituel. A première vue c’est une excellente chose car ça permet de donner de la visibilité à des idées intéressantes -d’autant que comme on l’a dit la cohérence philosophique du roman est plutôt solide, mais concrètement il y a un hic. L’unité entre l’âme et le corps, cette unité qui réfute la vision d’un corps simplement habité par une âme, est mise à mal quand on apprend que Voldemort a séparé son âme en huit morceaux répartis dans des objets, pour pouvoir survivre si une partie de lui est attaquée. Voici un extrait de l’article chats, crapauds et croquemitaines où l’on avait déjà parlé de ça :
« Il est très important de comprendre que l'âme n'est pas un esprit immatériel indépendant du corps, qui l'animerait comme une marionnette (ça c'est l'erreur de Platon et de Descartes). Elle ne fait qu'un avec ce corps. Elle naît avec la matière, elle lui est immanente et lorsque le corps meurt, l'âme humaine est profondément mutilée - jusqu'à la résurrection de ce même corps avec lequel elle ne faisait qu'un auparavant, qui marquera la réunion des deux. Pour les végétaux et les animaux, comme l'âme ne possède pas ce principe intelligible et immatériel, privilège de l'âme humaine, l'âme meurt avec la matière. On voit ainsi que l'âme est singularisée par la matière, autrement dit que le corps n'est pas un simple vêtement interchangeable mais qu'il constitue l'identité de la personne humaine. »
Voilà. Ceci étant, c’est l’occasion de remarquer un détail très intéressant : pour séparer son âme Voldemort doit commettre un crime, il doit tuer quelqu’un, et s’il voulait retrouver l’unité de son âme il lui faudrait ressentir un remord authentique, atrocement douloureux. C’est ici une allégorie très intéressante de l’état de grâce : le péché nous sépare de Dieu, il nous éparpille et nous morcèle, nous le commettons souvent dans l’illusion que nous parviendrons à obtenir notre bonheur par nos propres forces et dans le refus de recevoir notre bonheur de Dieu. Seule la confession peut alors nous permettre de retrouver l’union à Dieu. D’ailleurs le concile de Trente dit que la contrition est notamment une « douleur de l’âme ». Cette allégorie que l’on trouve dans le roman nous permet de comprendre à quel point la contrition est importante face au péché, à quel point nous devons la rechercher pour nous disposer à accueillir la miséricorde. Une sainte disait qu’il fallait dans son examen de conscience passer plus de temps à s’exciter à la contrition qu’à répertorier tous ses péchés.
Vous l’aurez compris, ces réserves sont relatives, vous allez pouvoir exercer votre jugement en toute autonomie. D’autre part, reconnaissons que les livres sont bien écrits, très bien construits et parfaitement rythmés, et que l’auteur fait preuve d’une connaissance de la nature humaine très impressionnante pour notre époque.
Toutefois, il faut insister sur un point : Harry Potter n’est pas une série de romans pour enfants. Les premiers livres conviennent peut-être à de jeunes adolescents, mais il n’est pas bon de laisser des enfants de moins de 14 ans lire les tomes 4, 5, 6 et 7. Comme on l’a dit, l’auteur a très bien construit l’histoire, et plus l’intrigue avance plus les thèmes et les événements sont graves, profonds et demandent de la maturité au lecteur. Ici comme ailleurs, gare aux étiquettes ! Ce n’est pas parce que tout le monde laisse faire qu’il faut suivre le mouvement. Rappelez-vous les conseils du cardinal Antoniano, dans son traité d’éducation : les parents (et plus particulièrement le père) doivent être au courant de ce qui se trame sous leur toit, pour juger des choses en connaissance de cause. La lecture, les films, la musique, sont des aliments qui nourrissent l’âme, et doivent être filtrés.
Et dans le doute, abstenez-vous !
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