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L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de Mr. Hyde

Aujourd’hui, je vous propose de nous intéresser à un roman court de R-L. Stevenson, L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, publié en 1886.


C’est une histoire à suspens, donc si vous préférez garder celui-ci croustillant comme il faut, il vaut mieux ne pas lire ce qui va suivre.


Pour faire simple, le docteur Jekyll est un illustre scientifique. Il n’a pas un mauvais fond mais il sent des pulsions mauvaises de plus en plus impérieuses, tout à fait inconciliables avec son existence d’honorable érudit. Passionné d’alchimie, il entreprend donc de dissocier physiquement son identité mondaine, celle de l’éminent chercheur, honnête et généreux, et son identité déplorable, cet homme imbu de vices et assoiffé de violence.

Il y parvient…


…A moitié. En fait il remarque qu’en buvant un élixir il se transforme en un être rabougri, laid au possible, et surtout fait de la malveillance la plus pure. Il décide de l’appeler Mr. Hyde, et jouit sous ces traits de l’impunité de conscience la plus totale. Une fois qu’il s’est bien défoulé, il reprend l’élixir et redevient le Dr Jekyll, personnalité estimée.


Là où le bât blesse, c’est que la dose à prendre pour se transformer doit être de plus en plus forte, jusqu’à ce que l’équilibre s’inverse : le Dr Jekyll devient le fantôme, et Mr Hyde la réalité. L’élixir sert alors à retrouver les traits du Dr Jekyll, qui est de plus en plus faible… Je ne vous raconte pas la fin, vous en savez déjà trop. Et puis on n’a pas besoin de connaitre la fin pour discuter de l’erreur que dénonce Stevenson.


Etudions donc le cas du docteur. Celui-ci sent deux hommes en lui : l’un aspiré vers le bien, l’autre vers le mal. Seulement il croit ces deux hommes équivalents, deux forces égales, un ying et un yang. Un seigneur sith et un chevalier jedi. Erreur. Grosse erreur.


Le docteur Jekyll se trompe parce qu’il considère que le mal en lui est une force autonome, inéluctable, comme si le vieil homme était une personne à part entière. En fait le vieil homme est une vieillesse, une corruption de l’âme - tout comme le monde est une corruption du jardin d’Eden, un avilissement. Retenez bien ça : le mal est une absence de bien, ce n’est pas l’équivalent du bien en négatif. Satan n’est en rien l’égal du Christ, ce n’est qu’un ange, une créature déchue de sa vocation. Vénère, mais déchu quand même. Cela signifie que la seule force créatrice est celle du bien, le mal n’est que l’altération de cette force créatrice, sa déviance ou sa corruption. Le mal n’est pas une nature, c’est simplement l’altération de cette nature.


Ça parait bien subtil tout ça. Pourquoi cette distinction est-elle importante dans nos vies ? En quoi nous concerne-t-elle ?


Précisément à cause du docteur Jekyll. Selon la logique de l’éminent docteur, si le mal était une puissance symétrique à celle du bien, il aurait effectivement suffi de séparer ces deux puissances du bien et du mal pour libérer à la fois le docteur Jekyll et Mr Hyde, tous deux grandissant alors selon leur nature. Rien de plus faux, comme le montre la suite de l’histoire… Et, il faut bien l’avouer, nous aussi avons tendance à croire que le mal fait en quelque sorte partie de nous, qu’il y a comme une zone du mal incontrôlable en nous qui est irréductible et qu’il suffirait, en fait, de laisser tranquille pour retrouver la sérénité.


Allons encore un peu plus loin : à force de croire que le mal est équivalent au bien, on se met à croire que l’expérience du mal est une source de connaissance similaire à l’expérience du bien, voire même qu’en ne pratiquant « que » le bien et la vertu, en renonçant au mal, on renoncerait à une partie de la sagesse humaine en s’enfermant dans une sorte de snobisme, de scrupule ou de pudibonderie. Or, c’est exactement l’inverse qui se passe : la pratique du mal ne conduit qu’à faire croître la confusion et l’ignorance du bien, tandis que la pratique du bien amène à saisir avec de plus en plus de finesse le mal. Concrètement, en s’enfonçant dans le péché, on émousse notre sens moral et on use notre contrition (capacité vitale qui nous permet d’accueillir au mieux Dieu). On se coupe de la grâce sanctifiante, de la connaissance du bien et du mal, on rejette l’Esprit de vie, enfin c’est le bazar quoi. En revanche, quand on s’attelle à la pratique du bien et à l’exercice des vertus, on affine nos repères pour grandir en sagesse.


Ça le roman de Stevenson nous le montre merveilleusement bien, quand il décrit la confusion où mène l’expérience du docteur Jekyll : celui-ci s’aperçoit rapidement que Mr Hyde ne réagit pas comme un gentil cobaye, mais comme un virus : donnez-lui la main et il vous prend la tête, le bras, enfin tout, quoi. C’est un virus parce qu’il ne vit pas tout seul, il ne vit qu’en mangeant le bien, autrement dit le docteur Jekyll.


En somme, le mal n’a rien de légitime. Dans l’ordre de l’univers c’est lui qui se tape l’incruste, lui qui ne comprend pas bien l’essence des choses, lui qui brouille tout. Alors, pourquoi ne le détecte-t-on pas directement ? Pourquoi avons-nous tendance à le sentir en nous comme une force autonome et sauvage ? En raison du péché originel. C’est à cause du péché originel que le bien ne semble pas aller de soi, c’est à cause de lui que nous avons besoin de la grâce pour être rétablis dans l’ordre des choses.


En fait, ce dont a besoin le docteur Jekyll pour retrouver sa liberté c’est la grâce de Dieu, obtenue par le baptême et entretenue par les sacrements et la vie de prière. Dans ce cas, Jekyll est-il donc condamné à être un assisté de Dieu ? Oui et non. Ça reste logique, honorable et exaltant d’être élevé par Dieu, mais rappelez-vous l’article être homme, être chrétien : sans la grâce nous ne pouvons rien faire, mais il nous appartient d’entretenir le terreau dans lequel se plante cette grâce.


Quand elle sort de confession, une âme à la dérive qui baigne dans les mauvaises habitudes retrouve la grâce. En revanche, la pluie de grâce va ruisseler sur son âme sans pouvoir pleinement la pénétrer. Quelle tristesse ! Quel dépit ! Tandis qu’une âme en laquelle l’exercice des vertus est familier va offrir à la grâce une terre meuble, féconde, et portera bien plus de fruits. Notre liberté n’est rien comparée la puissance de Dieu, mais à notre échelle elle fait toute la différence entre une larve et un papillon.


Bref, lisez L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde.


Bonne journée, et bonne semaine !




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