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La naissance de l'Option Chesterton

L’article suivant est un extrait du discours d’introduction donné par Dale Ahlquist, président de l’Américan Chesterton Society, au Collège des Arts Libéraux Thomas More (Thomas More College of Liberal Arts), le samedi 20 mai 2017. Il vient du blog les amis de Chesterton .


"L’Incarnation est le centre de la réalité. C’est cette vérité qui est à la source de toutes les autres vérités. Et il ne faut pas avoir peur de dire cette vérité. Elle mérite qu’on meurt pour elle. Mais plus important encore, elle mérite que l’on vive pour elle.


Dans son livre L’Homme éternel (The Everlasting Man), G.K. Chesterton utilise une grille de lecture bien différente de celles utilisées traditionnellement dans l’approche comparée entre religions et étapes de développement des civilisations. Il définit quant à lui quatre catégories qui traversent le temps, qui sont parfois présentes simultanément dans une époque donnée, parfois même aussi au sein de chaque individu. Il nomme ces catégories : “Dieu”, “les dieux”, “les démons” et “les philosophes”. Pour Chesterton, “Dieu” est cette force ultime sous-tendant tout l’univers. Mais pas seulement. C’est cette force, cette personnalité, qui donne sens, car rien ne peut avoir de sens sans personne pour le donner. Quand Dieu est oublié, ce qui arrive si souvent, les “dieux” paraissent. Avec ces “dieux” viennent les mythologies, toutes ces tentatives fantaisistes de donner un sens, de raconter l’histoire de l’humanité, l’histoire de l’homme à sa façon, avec ses héros et ses espoirs, ses aventures, ses amours, ses batailles, sa vie et sa mort et son désir d’éternité. Ensuite, il y a les démons. Ils représentent le plaisir immédiat, le déclin de la vertu et la fascination pour le mal. Ce mal que font les hommes quand ils se lassent de faire le bien. Quand ils agissent non pas parce qu’ils pensent, à tort, que ce qu’ils font est bon mais parce qu’ils savent qu’ils font le mal. Enfin, il y a les philosophes, qui essaient de soumettre la réalité à l’aide du don sublime de la raison. Ces quatre catégories que définit Chesterton pourraient suffirent. Mais en réalité elles ne suffisent pas.


En effet, Chesterton explique que la venue du Christ a bouleversé l’histoire de façon radicale. Le Christ vint dans un monde peuplé de nombreuses divinités. Mais le Christ était un personnage bien différent de tous les autres personnages de la mythologie. Seule l’Evangile « répond à cette quête mythologique romanesque, en racontant l’histoire d’une recherche philosophique de la vérité tout en étant une histoire vraie. » Quand le Christ fonda son Eglise, il unit, pour la première fois dans l’histoire, la théologie et la philosophie. Il vint également dans un monde rempli de démons. Il les expulsa, et même, en une notable occasion, il les expulsa dans un troupeau de nombreux porcs.


Le paganisme se termina avec le christianisme. Mais alors que l’ancienne civilisation païenne s’écroulait, avant que ne soit établie une nouvelle civilisation chrétienne, le monde a traversé une période où il n’y eut presque plus de civilisation. Ce temps qu’on appelle les Âges Sombres. C’est le temps où les tribus barbares se répandaient sur les continents, ce temps où les hommes, soumis à leurs seuls appétits, ne bâtirent rien de nouveau mais détruisirent ce qui était ancien.


Mais les barbares ont été vaincus. Ils l’ont été par des figures légendaires comme le Roi Arthur. Ils l’ont été par des figures historiques comme le Roi Alfred le Grand. Et quand la civilisation chrétienne a jailli des ruines des Âges Sombres, elle a bâti de grandes cités. Elle a construit des universités, des hôpitaux, des cathédrales. Elle a donné au monde un art, une musique et une littérature magnifiques.


Pourtant, depuis quelques siècles, nous constatons le déclin de cette civilisation chrétienne. Et déjà, il y a une centaine d’années, G.K. Chesterton prédisait l’arrivée de Nouveaux Âges Sombres.


Dans son poème épique La Ballade du Cheval Blanc, Chesterton donne la parole au Roi Alfred le Grand, qui prophétise sur le retour des barbares. Mais il s’agit de barbares d’un nouveau genre, qui détruiront notre civilisation, non pas par la force brutale mais par le vandalisme intellectuel, un vandalisme qui « ordonne toutes choses avec des mots morts » :


By this sign you shall know them,


That they ruin and make dark…


By all men bound to Nothing,


Being slaves without a lord,


By one blind idiot world obeyed,


Too blind to be abhorred;


By terror and the cruel tales


Of course in bone and kin,


By weird and weakness winning,


Accursed from the beginning,


By detail of the sinning,


And denial of the sin.


Nous sommes, en effet, arrivés au point où nous connaissons en détail et avec précision comment commettre le mal, tout en niant complètement le mal. Nous attribuons des noms doux ou cliniques à une multiplicité d’actes pervers, dont nous nions qu’ils soient des péchés. Les péchés de luxure que nous savons décrire avec force détails et publicité, sont les moins considérés comme des péchés. Nos péchés d’avarice, de gourmandise, d’envie, de paresse et particulièrement d’orgueil, eux, sont tout autant niés puisque justifiés par cette culture commerciale grossière que nous avons érigée, fondée sur la convoitise, l’auto-complaisance et la satisfaction immédiate de nos désirs. De nouveaux temples ont été construits, habités par de nouvelles prostituées sacrées. Nous avons bâti de nouveaux colisées où se combattent les nouveaux gladiateurs. Nous avons créé de nouvelles mythologies avec les héros de bandes dessinées et toute une foule de personnages de science fiction qui évoluent dans le ciel d’une nuit étrange. Les “dieux” sont revenus. Et nos imaginations s’égarent dans des réalités alternatives.


Avec la perte de la foi vient celle de la raison. La philosophie s’est de nouveau séparée de la théologie. Chaque philosophie moderne est devenu folle, enfermée dans la prison propre et lumineuse d’une seule idée : que toutes les actions humaines peuvent être attribuées à la biologie, l’économie ou l’environnement, ou à tout autre déterminisme à la mode qui nous dépouille de notre dignité et de notre libre arbitre.


Les démons aussi ont été déchainés, en même temps que les actions des hommes étaient de plus en plus sombres et perturbatrices. Et que ce soit sombre et perturbant ne dérange personne, quelqu’un étant toujours prêt à en faire un film. Comme le dit Chesterton : dans la nouvelle version de l’épisode du possédé gérasénien, nous avons abandonné le Rédempteur et gardé uniquement les démons et les porcs.


Peut-être avez-vous entendu parler de « l’Option Benoît ». Dans ce livre, Rod Dreher donne une brillante analyse des Nouveaux Âges Sombres. Il montre de façon fascinante comment s’engager dans la formation de communautés chrétiennes. Je suis d’accord avec lui sur la plupart de ses développements. Pourtant, il me semble que sa stratégie s’appuie trop sur une “mentalité d’assiégé”, plutôt que sur une volonté d’engagement. Or nous ne pouvons pas rester en dehors du monde. Nous ne pouvons pas fuir le monde. Nous sommes là pour transformer le monde. C’est notre devoir.


Et, avec tout le respect dû à « l’Option Benoît », je voudrais proposer « l’Option Chesterton ». Ce n’est pas complètement différent. C’est tout simplement différent.


Qu’est-ce que « l’Option Chesterton» ? Cela commence en étant fidèle à la Foi. Saint Benoît ne s’était pas proposé de sauver la culture ou la civilisation qu’il voyait disparaitre. Avant toute autre chose, il cherchait Dieu. L’Incarnation est le centre de la réalité. C’est cette vérité qui est à la source de toutes les autres vérités. Et il ne faut pas avoir peur de dire cette vérité. Elle mérite qu’on meurt pour elle. Mais plus important encore, elle mérite que l’on vive pour elle.


En partant de là, la première chose à faire est de commencer à reprendre le contrôle de nos propres vies. Et non d’attendre d’un gouvernement qu’il trouve des solutions à nos problèmes. Ou qu’une nouvelle découverte, un nouveau traitement, un nouvel outil technologique les trouvent. Chesterton dit que le signe de la décadence, c’est ce moment où nous payons d’autres personnes pour se battre à notre place, d’autres pour danser à notre place, ou d’autres pour nous gouverner. Faire les choses pour nous-mêmes serait déjà révolutionnaire. Chesterton dit aussi que c’est dégradant de posséder un esclave. Mais que c’est encore bien moins dégradant que de devenir un esclave soi-même. Il nous faut nous libérer de tout ce qui nous asservit, qu’il s’agisse d’objets électroniques, de produits chimiques ou de divertissement. Libre signifie être aussi bien libre d’utiliser quelque chose que de ne pas l’utiliser.


Et que pouvons-nous faire d’autre pour changer le monde de fond en comble ?


Travaillez pour devenir son propre employeur plutôt que l’employé de quelqu’un d’autre. Chaque fois que cela est possible, achetez local. Créez votre propre école en collaboration avec des parents qui pensent comme vous, qui comprennent qu’il n’y a rien de plus important que l’âme de nos enfants. Devenez membres d’une coopérative de partage des frais de santé plutôt que de donner votre argent à une société d’assurance gérée depuis un gratte-ciel de verre. Rejoignez une coopérative de crédit local plutôt que d’aller à la banque. Donnez de votre argent aux pauvres et accordez leur la dignité de le dépenser eux-mêmes plutôt que de le dépenser pour eux.


Créez vos propres divertissements plutôt que de payer pour les productions minables de l’industrie du divertissement. Créez votre propre art. Ecrivez des poèmes, des poèmes qui riment. Lisez des livres, lisez de vieux livres. Lisez Chesterton.


Cultivez votre jardin. Et si vous ne pouvez pas faire pousser des légumes ou des fleurs, faites grandir des enfants.


Chaque jour, partagez un repas en famille pendant lequel on s’attarde autour de la table. Chaque jour, consacrez un temps à la prière en famille. Chaque jour, réservez-vous un temps de silence personnel. Souvenez-vous du jour du Sabbat et sanctifiez-le. Sanctifiez-vous. Cassez les conventions, gardez les commandements.


Regardez chaque chose comme si vous la voyiez pour la première fois. Soyez toujours pleins de gratitude. Pensez toujours à Dieu. Et si vous êtes toujours pleins de gratitude, vous voudrez toujours penser à Dieu. Et vous serez heureux.


Chesterton dit que le but de l’Homme est le bonheur de l’Homme… Rien ne nous oblige à être plus riche, plus affairé, plus efficace, plus productif, plus innovant ou d’une quelconque façon plus matérialiste ou plus prospère, si tout cela ne nous rend pas plus heureux.


Et n’oubliez pas : Lisez Chesterton."

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