Bonjour !
Aujourd’hui, Paul va nous parler de la morale, en organisant un duel épique entre Kant et Thomas d’Aquin. Bonne lecture!
Dans son roman Les Illusions Perdues, Balzac nous raconte l'histoire de Lucien Chardon, un jeune poète qui se rend à Paris pour être publié. À cause de ses choix, il va sans cesse réclamer de l'argent à sa sœur Eve et à son beau-frère David. David et Eve vont toujours accéder à ses demandes et, malgré tous les sacrifices qu'ils devront faire au-delà du raisonnable, ils finiront par s'en sortir in extremis et aller vivre à la campagne simplement. Lucien, quant à lui va avoir un destin tragique que je laisserai découvrir à ceux qui veulent lire le roman.
Le dénouement du livre laisse un goût d'amertume. Le problème ne vient pas tellement du fait que le personnage principal est immoral, mais plutôt qu'on n'a pas d'alternative édifiante. Les personnages qui servent de contradicteurs moraux ne sont pas convaincants et semblent bien malheureux. Qu'est-ce qui ne va pas chez Balzac ? Pourquoi, quand on compare ses romans à ceux de Tolstoï (comme Anna Karénine dont nous avons parlé ici), ceux de Balzac semblent ils mener à une impasse ?
Le problème vient peut-être de la vision que Balzac avait de la morale. Cherchons à comprendre ça.
La folle idée du professeur Kant
Comme la plupart des gens depuis le XIXe siècle, Balzac a une vision kantienne de la morale. La morale du devoir (aussi appelée éthique déontologique, déon= devoir en grec), de l'impératif catégorique. Sans s'en rendre compte, c'est souvent à cette morale qu'on fait référence quand on utilise le mot "morale" sans précision. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il suffit de remonter en 1770 et de se rendre dans la jolie ville prussienne de Königsberg.
Le professeur Kant est un très bon pédagogue qui passionne ses étudiants mais il commence à sentir qu'il manque quelque chose dans la philosophie qu'il enseigne. Il a une furieuse envie de tout remettre à plat. On est dans le siècle des lumières, la philosophie ne doit s'appuyer que sur la raison, ce sera donc le point de départ de tout son travail.
Emmanuel Kant passe dix ans à parfaire son système est publie en 1781 une première étape de son travail : La Critique de la Raison Pure, où il explore les limites de la raison humaine. Il publie quatre ans après ses Fondements de la Métaphysique des Mœurs, une introduction à La Critique de la Raison Pratique, qu'il publiera en 1788. Il y expose sa nouvelle éthique.
Dans la nouvelle philosophie éthique de Kant, il n'y a plus besoin de Dieu ni de religion, la raison humaine seule peut fonder une philosophie morale solide et qui parle à tous les hommes. Si on arrive à comprendre ce qui fonde la valeur morale de telle ou telle action, il y aura un accord universel sur ce qui est bon ou non.
À la recherche d'un fondement moral objectif
Pour construire une morale objective, qui ne dépend pas du sujet (sujet = la personne qui cherche à se conduire moralement), on peut partir de la règle suivante :
"Agis de telle sorte que tu puisses aussi vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle."[1]
Et c'est à peu près tout. Car on peut en tirer beaucoup de choses. Par exemple le vol est-il moral ? Examinons avec notre règle. La permission du vol devient une loi universelle. Alors la propriété n'a plus de sens puisqu'on peut librement voler, alors la notion de vol ne tient pas la route non plus, bref ça devient contradictoire, le vol ne peut être une bonne chose. Pareil, dire qu'on peut mentir dans certain cas revient à dire que la parole n'a plus de valeur de vérité que quand ça nous arrange, autant dire qu'elle n'a plus de valeur de vérité. Vous comprenez l'idée, les actions immorales sont des actions qui viennent contredire le cadre qui autorise leur existence, elles n'ont pas lieu d'être.
C'est très brillant et la démonstration de Kant est assez géniale. Ce n'est pas pour rien que c'est un des philosophes les plus influents de l'histoire de la philosophie. Avec ce principe, il reconstruit toute la morale. En fin de compte, c'est assez proche de la morale protestante qu'il avait reçu lors de son éducation.
Une vision de la morale finalement très kantienne
Nous allons laisser à Kant le soin de nous démontrer dans ses exemples à quel point ça marche bien, et de notre côté nous allons essayer de comprendre les conséquences qu'une telle philosophie a sur la vision de la morale.
Nous l'avons vu, la morale de Kant s'est débarrassée de Dieu, de la révélation, etc. C'est d'ailleurs très important pour lui, parce que cela fait que les choix moraux sont libres de toute intention cachée, comme notamment l'intérêt personnel déguisé en altruiste, et donc c'est vraiment des actions qui sont faites par abnégation. Pour lui par exemple, une action ne peut pas être complètement morale si elle est faite par désir d'une récompense après la mort.
Qu'est-ce qui doit motiver une action morale donc ? Eh bien, toujours selon Kant, pour les êtres raisonnables, le devoir s'impose de lui-même, puisqu'on a pu démontrer son évidence rationnelle. Ne pas agir moralement, c'est agir contre la raison. Immoral devient synonyme d'insensé. L'homme raisonnable ne peut que vouloir agir moralement, même s'il a malheureusement des passions et toute sorte d'obstacles qui, comme des sortes d'instincts animaux, se placent entre nous et l'acte moral.
Le comportement moral s'impose comme un devoir, on agit par devoir et non en vue d'une quelconque fin, selon ce que Kant appelle l'impératif catégorique. On ne doit pas voler, c'est un impératif catégorique, ce n'est ni à justifier par le contexte ou la finalité de notre acte, c'est empêché par le sens même du vol.
Une morale qui va faire consensus mais pas trop
Le XIXème siècle a été très kantien, on a vu que Balzac avait apparemment la même conception que Kant, ses personnages bons agissent moralement, mais il ne semble pas que ça leur fasse ni du tort, ni du bien. Ils sont bons, et c'est en soi admirable.
Ainsi, la morale est petit à petit devenu synonyme de morale kantienne. Certaines conclusions de Kant sont devenues des évidences : le devoir moral s'impose à nous, un acte est d'autant plus moral qu'il est altruiste, il va contre notre penchant naturel au bonheur personnel, etc.
Cette vision de la morale va être adoptée par les différents courants de pensée sur un éventail très large. À la fin du XIXème siècle, on le retrouve aussi bien dans le républicanisme (comme on peut le voir dans certains auteurs athées de la IIIe République, ou dans les cours de morale que nos arrières grands parents pouvaient avoir à l'école), que du côté des royalistes avec la coalition de l'"Ordre moral" menée par Albert de Broglie. La morale kantienne semblait être assez consensuelle.
Pourtant ça n'était pas le cas. Cette vision kantienne de la morale (qui du coup était associée de plus en plus à l'idée même de morale) a fait l'objet d'un violent rejet dans de nombreux courants de pensées dès la fin du XIXe (Nietzsche, Freud ...) et puis au XXème siècle où ce rejet va prendre une ampleur politique importante, on pense par exemple au fameux "il est interdit d'interdire" de mai 68.
Pourquoi est-ce que ça n'a pas plu à tout le monde ? Est-ce qu’il n’y aurait pas effectivement quelque chose qui cloche dans la morale déontologique de notre cher Emmanuel ?
Ce qui ne va pas dans la tête de monsieur Kant
On sent qu'une philosophie morale qui refuse Dieu au profit de la raison seule risque de poser quelques problèmes, nous allons essayer de comprendre comment.
Le premier souci que pose la philosophie morale de Kant est d'ordre pratique. Il semble que l'idéal kantien ne soit pas applicable. Kant lui-même se posait la question de savoir si un acte véritablement bon moralement avait été posé déjà dans l'histoire de l'humanité : il faudrait pour cela qu'il ne soit posé ni par désir du ciel, ni par affection pour l'autre parce qu'on chercherait alors la joie de lui avoir fait du bien, ni par désir d'avoir bonne conscience, etc. Bref, on peut toujours chercher la petite bête et il semble qu'aucun acte moral ne soit pur en soi.
Le deuxième souci c'est que Kant va parfois à l'encontre de l'intuition que l'on a de l'acte moral. Par exemple si on considère qu'il n'existe pas de contexte dans lequel un mensonge soit justifiable, si un SS vous demande s'il y a des juifs cachés dans votre cave, il est immoral de mentir pour sauver ces juifs en question. Et on peut trouver mille autres exemples comme ça qui montrent les limites des principes universels de la morale kantienne. Mais il faut noter que Kant assumait complètement ça (comme d'ailleurs des personnes recommandables tel Saint Augustin).
Cela fait paraître la morale comme irréaliste et complètement hors sol. C'est pour ça que les personnages vertueux chez Balzac, qui se veut "réaliste", sont si peu convaincants.
Charles Péguy disait des moralistes kantiens : "Ils ont les mains pures, mais ils n'ont pas de main."
Et la morale utilitariste
Très vite les philosophes ont cherché une réponse à la philosophie kantienne. Pour les tenants de la philosophie utilitariste par exemple, il n'y a pas de problème en soi dans le raisonnement de Kant, mais elle semble concrètement inadaptée. Un peu comme si on aurait aimé que ça marche mais en fait non.
La morale utilitariste propose d'étudier le résultat des actions posées, plutôt que l'acte en lui-même : elle est conséquentialiste là où celle de Kant est déontologique. Notamment défendu par Bentham au XIXe siècle, elle suppose qu'un acte est d'autant plus moral qu'il maximise la quantité de bonheur totale de l'humanité. Sachant que par bonheur il faut entendre en fait plaisir. Étudier scientifiquement l'impact global de nos actions permet alors de déterminer entre tel ou tel choix quel est le bon. Comme la morale théorique de Kant ne parvient pas à s'appliquer à la réalité, il faut partir de la réalité, des conséquences des actions posées pour remonter grâce à notre raison jusqu'aux actions qu'on pourra définir comme bonnes.
Cette philosophie est très bien expliquée par Mr Phi sur sa chaîne Youtube, il s'y pose plein de paradoxes qui pourront paraître vains, mais qui sont assez existentiels pour des tenants d'une morale utilitariste.
L'homme éclaté
Nous n'allons pas pouvoir détailler plus la morale utilitariste ici, mais nous en parlons pour réaliser que ce n'est pas l'aspect irréalisable de la morale kantienne qui pose le plus problème, même si c'est souvent dans ce sens-là qu'on interprète la citation de Péguy. Nous ne pouvons pas nous dire comme certains utilitaristes "le système de Kant marche très bien mais malheureusement la réalité ne va pas avec ce que dit Kant". C'est comme si on se disait, c'est beau la morale kantienne mais c'est malheureusement trop beau pour être vrai. Alors que non, au contraire, la bonne nouvelle c'est que ça n'est pas assez beau pour être vrai.
Il y a un problème de fond dans ces propositions éthiques et ce problème est facile à identifier pour ceux qui lisent les articles de Pierre depuis longtemps. Kant comme Bentham ne prennent en compte qu'une dimension de l'homme, sa dimension raisonnable[2]. Bentham avait sans doute une forme d'autisme (Asperger), et ce qui est étonnant c'est que les défenseurs de la morale utilitariste s'en servent comme argument de validité de ses théories, en expliquant qu'il n'a pas pu être influencé par son empathie pour les êtres.
Mais revenons à Kant. Chez Kant, la raison mène un combat permanent avec les autres dimensions de l'être humain. Il y a une grande noblesse et une grande pureté dans la morale kantienne. Mais je pense que paradoxalement elle est un peu trop égocentrée. Elle vise une forme de perfection morale, mais cette perfection morale est dictée par une raison repliée sur elle-même.
Quand la réponse précédait la question
L'Église ne s'est pas trompée et elle a vite pris ses distances vis à de la morale kantienne, comme elle l'a toujours fait vis-à-vis des courants religieux prônant un trop grand rigorisme moral (les cathares, les jansénistes etc.). Comme Freud et Nietzsche, elle trouve cette vision de la morale réductrice, oppressive ; et au XIXème siècle, face à la philosophie Kantienne, elle a réaffirmé la primauté de la philosophie thomiste.
Mais qu'est-ce qui différencie l'éthique de Saint Thomas d'Aquin de celle de Kant ?
L'éthique thomiste est eudémonique, c'est-à-dire que la finalité de l'éthique selon saint Thomas c'est le bonheur. Il reprend en cela la vision aristotélicienne de la morale. Tout homme cherche à être heureux, la morale aide l'homme à trouver le chemin du bonheur. Du coup, ça n'est pas une espèce de guide qui nous permet de vivre ensemble en limitant notre liberté. C'est la sagesse humaine, éclairée par la révélation divine qui nous aide à atteindre la félicité à laquelle nous sommes promis. C'est le "Heureux les ..." des béatitudes, la loi morale et divine que le Christ non seulement nous transmet, mais qu'il est aussi venu vivre avec nous. C'est un chemin d'épanouissement indépassable. Alors comme le monde est bien fait, il se trouve que ça nous aide aussi drôlement à vivre ensemble. À croire que c'est Le Même qui a établi cette loi et qui a créé le monde.
C'est en ça que la morale chrétienne est profondément unificatrice. Thomas nous dit Dieu est simple, mais il ne parle pas de "simple" comme contraire de "complexe", mais comme contraire de "pluriel". La création est orientée vers Dieu et Dieu est l'unique. Nous ne sommes pas dans du manichéisme où nous devrions lutter contre deux forces qui s'opposent. Ce n'est pas soit la morale, soit le bonheur ; c'est soit la morale et le bonheur soit rien du tout. La morale ne réduit pas l'homme, elle participe à son épanouissement.
Le principe le plus condamnable
Kant connaissait la position de Saint Thomas, d'ailleurs, il argumente contre l'éthique eudémonique. Selon lui, le principe du bonheur personnel est "impropre à servir de fondement à des lois morales". C'est même le pire principe pour ça :
"le principe du bonheur personnel est le plus condamnable, non pas seulement parce qu'il est faux et que l'expérience contredit la supposition que le bien-être se règle toujours sur le bien-faire ; non pas même seulement parce qu'il ne contribue pas le moins du monde à fonder la moralité, car c'est tout autre chose de rendre un homme heureux que de le rendre bon, de le rendre prudent et perspicace pour son intérêt que de le rendre vertueux ; mais parce qu'il suppose sous la moralité des mobiles qui plutôt la minent et en ruinent toute la grandeur ; ils comprennent en effet dans une même classe les motifs qui poussent à la vertu et ceux qui poussent au vice ; ils enseignent seulement à mieux calculer ; mais ils effacent absolument la différence spécifique qu'il y a entre les deux."[3]
Comme on l'a vu, l'anthropologie de Kant décrit un homme tiraillé entre ce qu'il doit faire et ce qu'il désire. C'est malheureusement une vision très restrictive à la fois de la morale et du bonheur. De la même manière, Kant refuse qu'on ait un "sentiment moral" qui nous permettrait de connaître ce qui est bon ou mauvais. Seule la raison est capable de nous indiquer le comportement à avoir. Et d'ailleurs c'est sa finalité même : comme la raison, selon Kant, n'est pas capable de nous rendre heureux, elle doit avoir une finalité plus grande, qui est la liberté et le devoir moral. Pourquoi la liberté ? Nous allons le voir dans le paragraphe suivant.
Que de bêtises on dit en ton nom
Parce qu'elle unifie l'homme, la morale thomiste est profondément libératrice. Elle peut l'être parce qu'elle ne considère pas la liberté comme une fin, mais comme un moyen. La liberté est un moyen parce qu'elle nous permet d'accéder à ce pour quoi nous sommes faits, le bonheur.
Kant nous parle bien de la liberté, et défend aussi que sa morale est libératrice. Il nous dit même que le seul comportement libre est le comportement moral. Là-dessus il a l'air d'accord avec la tradition chrétienne, mais voyons comment il justifie ça avec la morale déontologique. Comme Kant réduit l'homme à sa composante raisonnable, celui-ci n'est libre que s'il arrive à se libérer de tout ce qui n'est pas sa raison (ses sentiments, ses désirs, etc.). Une fois libre, la raison[4] seule ne peut que suivre la loi morale parce qu'elle indique le seul comportement raisonnable.
On découvre les deux erreurs dont on vient de parler :
Non seulement la liberté est vue comme une fin. Ce qui va paradoxalement pousser Kant à définir la liberté en négatif : l'homme est libre parce qu'il n'est pas soumis à tel ou tel contrainte, et non pas parce qu'il peut atteindre telle ou telle fin (puisque la fin est la liberté elle-même). C'est une idée que l'on trouvera chez Sartre notamment, où l'homme est libre s'il est capable de dire non à ce pour quoi il est fait : il est donc libre parce qu'il refuse quelque chose et non parce qu'il peut accéder à quelque chose.
Mais en plus, par liberté, il entend liberté de la raison seule. Ainsi, bien loin de le libérer, il enferme l'homme dans sa dimension raisonnable. Et face à cette morale enfermante, on ne peut que comprendre les différents courants de pensées qui ont voulu s'en libérer.
Aime, et fais ce que tu veux
En fait, comme le bonheur et désirable, l'éthique chrétienne consiste à rechercher ce qu'on désire, à "faire ce qu'on veut". Mais "faire ce qu'on veut", n'est-ce pas la définition de l'égoïsme ? Dans le langage courant, on utilise "faire ce qu'on veut" pour dire "tout est permis", mais ce n'est pas porter bien loin la question du désir. Nous parlons là de ce qu'on désire ultimement. Non pas de la recherche de biens, mais de la recherche du bien, de la béatitude, du bonheur[5]. Et des chemins vers le bonheur il n'y en a pas trente-six. Comme on l'a vu précédemment, Dieu nous a sans cesse révélé et rappelé le chemin vers ce souverain bien. Et ce chemin nous le connaissons, c'est le chemin de l'amour.
"Aime ton prochain comme toi-même" voilà en quoi le chemin du bonheur est le contraire d'égoïste, c'est qu'il n'existe que par l'autre, et l'Autre ultime qui est Dieu bien sûr. Les deux ne sont pas opposées comme ils peuvent l'être dans les étiques déontologiques ou utilitaristes, ça n'est pas "aime-toi toi-même mais pas trop pour pouvoir aussi aimer ton prochain". Saint Augustin, qui est prudent, nous dit ainsi : "Aime, et fais ce que tu veux". Fais ce que tu veux mais n'oublie pas que le chemin de ce que tu veux c'est celui de l'Amour.
Des morales sans amour
Le problème des éthiques utilitaristes et déontologiques est que ce sont des morales sans amour. Et pour cause, on ne peut pas aimer avec sa seule intelligence. C'est pour cela qu'on se retrouve avec des éthiques où la morale devient une limitation de mon désir et des conclusions comme : "il fait ce qu'il veut du moment que ça ne me gêne pas", "ma liberté s'arrête là où celle de l'autre commence". Les désirs et les libertés de chacun viennent ainsi se mettre en compétition alors qu'elles devraient se diriger vers un but commun.
Par la même, on en revient à la fameuse opposition entre intérêt individuel et intérêt général. Notre sainte Église nous propose de comprendre que les deux ne s'opposent pas mais doivent être orientés dans le même sens : si le but est le bonheur de chaque personne humaine, il doit s'accomplir dans la communauté. C'est le fameux bien commun dont nous parlait Pierre dans cet article.
Voilà pourquoi je pense qu'aujourd'hui où il y a ce paradoxe qui fait qu'à la fois la morale semble être un gros mot, et qu'en même temps elle est exacerbée de partout au point que tout le monde veut nous imposer de nouveaux préceptes moraux, nous devons réaffirmer nous chrétiens la dimension eudémonique de notre système moral, qui est le seul à pouvoir apaiser nos tiraillements et ceux de nos contemporains.
Qu'est-ce qu'on peut en tirer ?
Bon, à force de faire de la "méta-éthique", la fameuse Métaphysique des Mœurs dont nous parle Kant, on risque d'oublier que la morale est une science pratique. Elle se vit au quotidien. Et je pense que c'est au quotidien qu'on peut avoir à cœur de vivre cette morale eudémonique. Sommes-nous convaincus que notre application à suivre la morale divine nous rend heureux ? Je pense qu'il est important de prendre le temps de se dire : "c'est ma pratique de la religion chrétienne qui me fait vivre aujourd'hui". Peut-être que pour s'en convaincre on peut s'imaginer avoir choisi un autre chemin, retirer tel ou tel précepte ; si vous faites la même expérience que moi, vous verrez que tout se casse la figure.
Et puis bien sûr, j'ai envie de vous encourager à lire ce que nous enseigne l'Eglise sur les sujets moraux. L’auteur de cet article n’est pas du tout expert en philosophie ou en morale, donc n’hésitez pas à aller lire vous-même ce que nous enseigne notre Eglise qui elle est experte en humanité comme l’a dit Saint Paul VI. Car cet enseignement moral est avant tout source de joie. C'est des lectures où l'on se dit "mais oui bien sûr, c'est si cohérent". Aujourd'hui on a de la chance d'avoir des papes très bavards, et donc plein de choses à lire : De Rerum Novarum, Humanae vitae, Laudato Si ... Puis, si on a un doute, on peut toujours lire saint Thomas d'Aquin qui a réponse à tout. Et, bien sûr, lire et relire Chesterton (Orthodoxie par exemple).
[1] Emmanuel Kant, Fondements de la Métaphysique des Mœurs, 1785, traduction de V Delbos, Éditions Les Échos du Maquis, juin 2013. Consultable en ligne ici : https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Fondements-de-la[1]M%C3%A9taphysique-des-moeurs.pdf [2] Pierre m'a fait une remarque en relisant que je trouve très intéressante et que je vous partage : "Ce qui est délicat ici, c’est que la raison humaine est foncièrement équilibrée et intégrative, et que la raison de Kant ou Bentham ne l’est pas du coup ça porte à confusion. C’est vraiment pas évident parce que les mêmes mots signifient des choses complètement différentes, voilà pourquoi dans ce genre de situation je préfère m’appuyer sur les degrés du savoir de Maritain qui désigne le plan mathématique comme un aspect de la raison, une portion qui ne doit pas prétendre gouverner toute l’intelligence. Pas simple…" [3] Emmanuel Kant, Fondements de la Métaphysique des Mœurs, 1785, traduction de V Delbos, Éditions Les Échos du Maquis, juin 2013. Consultable en ligne ici : https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Fondements-de-la[3]M%C3%A9taphysique-des-moeurs.pdf [4] Cf note 2 [5] La question de la manière dont on passe de la recherche de biens à la recherche du bien est développée par Saint Thomas d'Aquin dans sa Somme Théologique, en introduction de la partie consacrée à la morale. Avant de détailler la morale chrétienne, il s'interroge sur la question du bonheur.
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