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L'Option GKC 

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Education

"On n'éduque pas à force de principes, mais à force d'habitudes" a dit un grand homme un jour.

Souvent les principes constituent un rempart contre la réalité, une espèce de morale hors sol juste bonne à critiquer sans se mouiller. Les habitudes, en revanche, sont des piliers qui signifient bien davantage à l'enfant qu'un discours, aussi brillant soit-il.

 

Quelles habitudes prendre, et comment? Voilà ce qui va nous intéresser ici. Zou.

L'Etat, la famille et la protection de l'enfance

26/11/2023

Bonjour !

 

Toutes mes excuses pour ce retard matinal, avec un temps pareil l’option GKC a fait une grasse matinée…

 

La dernière fois dans cet article, nous avions parlé de la relation qui existe entre l’Etat et la famille, au travers notamment du régime de succession. Cela nous a permis de découvrir que la vérité fondamentale selon laquelle la famille est le socle fondamental de la société a été quelque peu malmenée lors de la Révolution, notamment à propos du droit de succession qui est passé du régime de conservation forcée au régime de partage forcé, ce qui a détruit les œuvres familiales et dispersé les familles elles-mêmes.

 

Cela nous a permis aussi de remarquer l’importance, pour le système juridique, de chercher à collaborer avec la loi naturelle plutôt que d’appliquer un ordre théorique, déconnecté de la réalité comme c’était le cas pour le gouvernement révolutionnaire... Et comme ça a été le cas pour tous les gouvernements qui ont suivi malheureusement.

 

Aujourd’hui, je vous propose d’aborder la relation entre l’Etat et la famille sous un nouvel angle : celui du droit social, et plus particulièrement de la protection de l’enfance. Il est très instructif de se pencher sur les motifs qu’avance une société pour justifier du placement d’un enfant, car comme quelqu’un a dû le dire un jour, on juge du degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses membres les plus faibles.

 

Actuellement, le rôle des services de protection de l’enfance est dans les grandes lignes d’extraire un enfant de sa famille lorsque le juge des enfants estime que le maintien de l’enfant chez lui l’expose à un danger sur le plan de sa sécurité, de sa santé ou de sa moralité. Comment le juge des enfants est-il informé de ce danger ? La plupart du temps par le biais d’une Information Préoccupante, un écrit adressé à la CRIP par un professionnel ou un particulier témoin de ce danger – ou du risque que ce danger n’apparaisse.

 

La question se pose de l’évaluation de ce fameux « danger » pour l’enfant, et du lien entre l’origine de ce danger et les parents de l’enfant. Car le but d’un placement c’est d’éloigner l’enfant de ses parents le temps d’aider ceux-ci à désamorcer les causes du danger qui menace leur enfant, mais encore faut-il avoir suffisamment démontré la responsabilité des parents dans cette situation, sans quoi le placement n’a pas lieu d’être. Enfin ça c’est ce que l’on imagine, en gens honnêtes et naïfs que nous sommes. Car la réalité est légèrement différente…

 

Lorsque les preuves tangibles de la responsabilité des parents s’avèrent insuffisantes, le juge des enfants peut en effet s’appuyer sur la notion de « principe de précaution » pour ordonner le placement de l’enfant. Or ce principe de précaution vient dans ce cas précis en opposition à la présomption d’innocence.

 

La présomption d’innocence

En France, lors d’un jugement aux assises, le président de la cour adresse aux jurés le discours suivant : « Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ».[1]

 

Par le contenu de ce serment, on comprend que la présomption d’innocence signifie, pour une personne amenée à juger d’une affaire, mettre de côté les passions qui l’animent tant que la raison n’a pas permis d’établir formellement la culpabilité de l’accusé. Il s’agit donc du socle fondateur du système juridique, de sa raison d’être : juger avec impartialité. En 1895, la cour suprême des Etats-Unis a déclaré : « Le principe de présomption d'innocence en faveur de l'accusé est une loi incontestable, axiomatique et élémentaire, et son application est à la base de l'application de notre droit pénal. »[2]

 

Nous avons donc affaire ici à un principe d’éthique élémentaire qui s’oppose en particulier à la diffamation ; principe valable non seulement dans le droit mais aussi, finalement, dans la vie quotidienne. Un seul domaine fait cependant exception, au sein duquel beaucoup de professionnels se permettent d’ignorer la présomption d’innocence : le journalisme. Jean Daujat critique vertement à ce sujet les média modernes lorsqu’ils jugent d’une affaire avant (ou même pendant) le procès, et brisent la réputation des accusés, laissant ceux-ci marqués du sceau de l’infamie – indépendamment de leur culpabilité réelle.[3]

 

Dans la protection de l’enfance, comme on l’a dit, la présomption d’innocence vient se heurter au principe de précaution. Penchons-nous donc à présent sur ce principe.

 

Le principe de précaution

Le principe de précaution vient des mouvements de protection de l’environnement, l’idée étant que si l’on a très envie d’allumer un pétard et de le lancer dans un baril de pétrole pour voir ce que ça donne, il faut s’abstenir – et ce même en l’absence de certitudes scientifiques que ça risque d’engendrer des dommages « graves et irréversibles ». A tout le moins, ce principe impose de chercher à neutraliser les risques éventuels que pourraient causer cet acte incertain.

 

C’est une première étape, au passage très intéressante, pour associer à l’étendard du progrès à tout va que brandissent les libéraux le fanion de la responsabilité que tentent d’agiter timidement les scientifiques (qui ont tout de même envie que quelqu’un finance leurs recherches).

 

Il se trouve que, d’une façon ou d’une autre, ce principe a sauté sans transition du domaine de la protection de l’environnement à celui de la protection de l’enfance, où il est utilisé pour justifier du placement d’un enfant malgré l’absence de preuve incriminant ses parents de maltraitance.

 

Le souci, vous l’aurez compris, est que ce principe constitue une porte ouverte à toutes les fenêtres, et qu’une fois admis il est difficile de faire machine arrière. On se retrouve donc devant des situations où le juge des enfants peut ordonner le placement d’un enfant « dans le doute ».

 

Faute de clarté dans les critères de son application, ce principe tend à déséquilibrer la balance au détriment des familles. Christophe Daadouch, docteur en droit et formateur auprès des travailleurs sociaux, a déclaré dans une interview en août dernier : « Dans le domaine de la protection de l’enfance, le principe de précaution est supérieur au principe de présomption d’innocence… On peut retirer un enfant à ses parents sur la seule base d’un signalement et découvrir plusieurs mois après qu’il n’y avait pas lieu. »[4]

 

Le néo-collectivisme de l’Etat

Au-delà des abus que l’application de ce principe peut provoquer, je pense qu’il faut insister sur la relation entre l’Etat et la famille que ce genre de situation révèle. Si, à partir d’un simple doute[5], l’Etat s’arroge le droit de rompre le lien entre un enfant et ses parents, alors on peut imaginer que l’Etat « confie » les enfants à leurs parents, et que dès que ceux-ci ne remplissent pas leur devoirs, l’Etat reprend « ses » enfants.

 

Nous parlions dans le dernier article de la tendance de l’Etat à infantiliser les citoyens, à les déresponsabiliser du bien commun en cloisonnant la propriété individuelle au sein même des familles. Ici, c’est une autre responsabilité qui est retirée aux parents. Car en faisant si peu de cas du caractère indissoluble des liens intra familiaux, en violant les foyers, l’Etat ne respecte pas la légitimité naturelle des époux à l’égard de leurs enfants.

Attention, il ne faudrait pas aller dans l’excès inverse et affirmer que le droit des parents doit être absolu à l’égard de leurs enfants, comme ça a pu l’être par exemple dans la Rome antique, où le pater familias avait droit de vie et de mort sur ses rejetons. Le droit des parents est devant Dieu, car c’est Lui en définitive qui leur a confié la vie de leur enfant, et c’est devant Lui qu’ils devront rendre des comptes. Il y a là une exigence autrement plus forte que toute responsabilité à l’égard des hommes et des institutions.

 

Tout en admettant que dans certains cas extrêmes il est préférable que l’enfant soit extrait du domicile le temps de stabiliser ou de désamorcer les tensions familiales, on constate malheureusement qu’il y a de plus en plus de placements dits « abusifs », autrement dit que l’Etat peine à consentir au caractère primordial et exclusif des liens familiaux, à voir le placement comme une ingérence exceptionnelle et temporaire plutôt que comme une alternative valable et non préjudiciable aux familles.

 

Lorsqu’on lit dans le rapport d’information des sénatrices madame Dini et madame Meunier que le « dogme » de « l’idéologie familialiste », qui désigne le « primat du lien avec les parents biologiques »[6] est suivi de façon arbitraire par les professionnels, on se questionne sur la vision qu’a l’Etat de la famille et de sa légitimité.

 

On retrouve cette méfiance de l’Etat à l’égard des familles au sujet de l’école à la maison. L’inspection académique prend trop souvent la place d’une police républicaine qui se soucie bien moins de l’éducation des enfants, de leur esprit critique et de leur moralité que de leur adhésion à la république et aux normes sociales actuelles, dans un rejet total du droit fondamental – et de la responsabilité primordiale ! – des parents à l’égard de leurs enfants, et du rôle essentiel de la famille[7].

 

Tout se passe comme si la société, depuis le XVIIIème siècle, se faisait un devoir d’élever les familles quand en réalité ce sont les familles qui la composent qui l’aident à grandir.[8] Bien entendu, la famille a aussi besoin d’une communauté, mais depuis la Révolution avec la destruction des échelons intermédiaires la famille a été « libérée », autrement dit déracinée, et avec la normalisation de ses droits et de ses devoirs à l’échelle nationale on l’a fait dépendre non plus des coutumes et des traditions mais du droit écrit, impartial, anonyme, et infantilisant.

 

Il serait très intéressant de se pencher sur l’importance que cette situation confère aux communautés paroissiales, et peut-être trouve-t-on ici l’une des causes de l’engouement moderne de l’Eglise pour les discours pastoraux depuis la seconde moitié du XXème siècle. A creuser.

 

Lisez, méditez, agissez, et belle entrée dans ce temps de l’Avent les amis!

 

[1] Article 304 du code de procédure pénal, accessible ici.

[2] Coffin v. United States, 156 U.S. 432 (1895), p.156 : « The principle that there is a presumption of innocence in favor of the accused is the undoubted law, axiomatic and elementary, and its enforcement lies at the foundation of the administration of our criminal law. »

[3] Il serait intéressant d’approfondir les biais liés à la présomption d’innocence qui, tout bénéfique qu’il soit aux innocents, profite aussi aux coupables en l’absence de preuves objectives - et c’est alors que le quatrième pouvoir, les média, peut légitimement outrepasser la présomption d’innocence. Mais ce sera pour une prochaine fois.

[4] Christophe Daadouch, « Une audience en assistance éducative est un procès qui ne dit pas son nom » ! interview du 16/08/2023 recueillie par Sophie Tardy-Joubert, publiée sur le site Actu-juridique.fr

[5] Rappelons tout de même que ce « doute », avant de provoquer un placement judiciaire, doit avoir fait l’objet d’une évaluation des services sociaux avant d’être discuté en audience, puis éventuellement conduire à un placement. Sauf dans le cas d’un « 72 heures », où le procureur demande immédiatement un placement puis une évaluation, ce qui correspond généralement à un danger grave et immédiat pour le jeune. Toutefois, puisqu’on est dans le domaine du social, il y a beaucoup de « biais humains » dans l’évaluation, et les arguments des rapports sociaux sont rarement dépourvus de jugement personnel – voire même d’à priori.

[6] Muguette Dini et Michelle Meunier, Rapport d´information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la protection de l’enfance, Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2014, p .63

[7] Rappelons cet extrait de l’encyclique de Paul VI, gravissimum educationis, §6 : « Les droit et devoir, premiers et inaliénables, d’éduquer leurs enfants reviennent aux parents. Ils doivent donc jouir d’une liberté véritable dans le choix de l’école. Les pouvoirs publics, dont le rôle est de protéger et de défendre les libertés des citoyens, doivent veiller à la justice distributive en répartissant l’aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d’une authentique liberté dans le choix de l’école de leurs enfants selon leur conscience.

[8] 

Internet et pornographie : abstraction moderne et réalisme chrétien

19/03/2023

Bonjour !

 

Aujourd’hui, je vous propose de parler d’un point que nous avons déjà effleuré dans plusieurs articles : internet, la pornographie et l'homme.

 

Les chiffres clés

Commençons par quelques chiffres : 49% de la population adulte du Royaume-Uni avait visité un site pornographique en septembre 2020, soit un peu moins qu’Instagram mais un peu plus que Twitter.[1]

 

Il s’agit d’une étude anglo-saxonne, me direz-vous. Concentrons-nous donc sur les chiffres de notre cher pays. Selon le rapport d’information du sénat « porno : l’enfer du décor » du 21 septembre 2022[2] : On compte 19 millions de visiteurs uniques de sites pornographiques chaque mois en France (17 millions d’adultes, 1,1 million d’adolescents de 15 à 18 ans et 1,2 millions d’enfants de moins de 15 ans).

 

Il s’agit du commun des mortels, me direz-vous. Fort heureusement, nous catholiques sommes largement épargnés par ces déviances. Hum. Sur le site internet En sortir.fr, animé par la fraternité saint Pierre, on peut trouver un document très intéressant intitulé statistiques du porno chez les catholiques[3], qui nous apprend que parmi les 15/17 ans « catholiques pratiquants réguliers », 52% ont déjà surfé sur un site porno - soit 1% de plus que les jeunes de cet âge, que l’addiction au porno touche aussi les adultes et ne fait qu’augmenter. Comme disait mon aumônier scout, l’abbé Jouachim : « le porno, c’est la drogue des cathos… »

 

Si enfin vous pensez que les prêtres ou les séminaristes sont à l’abris, lisez l’audience du pape François du 24 octobre 2022 auprès des séminaristes et des prêtres[4]. D’ailleurs, l’étude d’Ofcom nous apprend que les hommes sont majoritaires dans ce sport : 4/5ème des utilisateurs sont des hommes[5], ce qui ne veut pourtant pas dire que les femmes sont épargnées, je vous renvoie à ce sujet sur le papier de la fraternité saint Pierre.

 

Alors voilà, on en est là. Si vous avez lu l’article L’apocalypse cognitive, ou Le numérique et les enfants, vous savez qu’on a déjà un peu parlé de tout ça. Michel Desmurget, chercheur en neurosciences cognitives, a publié un certain nombre d’ouvrages sur la consommation numérique. Vous trouverez un récapitulatif de ses découvertes en vidéo ici.

 

Toutes ces informations nous submergent, nous déstabilisent et nous imposent de trouver une réponse. Il y a plusieurs niveaux de réponse possible : la réponse matérielle, la réponse éducative et la réponse philosophique. Nous allons maintenant passer chacune de ces réponses en revue :

 

1)     La réponse matérielle

Le papier de la fraternité saint Pierre résume très bien les règles d’or à appliquer :

-        Mettre les lieux d’accès à internet dans un lieu de passage (salon, etc…) où tout le monde peut voir ce qui se fait sur l’écran. Eviter de prêter la tablette ou le smartphone qui peut être emmené dans la chambre.

-        Par un mot de passe, rendre l’accès aux écrans impossible aux personnes fragiles quand elles ne sont pas accompagnées.

-        Lorsque l’adolescent a réellement besoin d’un téléphone, lui fournir un téléphone à touches (ou un « dumbphone »), et non un smartphone (même avec un abonnement sans internet le téléphone pourra se brancher sur les réseaux wifi)

-        Si, pour un motif mûrement réfléchi, une personne vulnérable est contrainte d’avoir accès à internet, ses proches ont un « devoir grave » d’installer un contrôle parental.

 

Notons au passage que le terme de contrôle parental est trompeur, dans le sens où il peut tout à fait s’appliquer à un adulte. A ce sujet ne tombons pas dans le panneau : si tant d'hommes sont touchés, c'est aussi que la tentation ne s’arrête pas à la fin de l’adolescence. Je vous renvoie aux articles Le premier couple béatifié de l’histoire et Le péché originel dans le couple, dans lesquels nous avons parlé de l’importance pour la femme de comprendre ce que représente le combat pour la chasteté chez l’homme. Répétons cela ici : la communication sur ces points est essentielle, il est absolument indispensable que la femme mariée (et même fiancée) comprenne ce que les écrans provoquent de si particulier chez l’homme. On ferait sans trop de risque le parallèle avec Jean-Paul II lorsqu’il secoue vigoureusement les prêtres qui font mine de ne pas s’intéresser à la sexualité conjugale par pudibonderie : lorsque la femme banalise ou se met des œillères sur ces sujets, il y a littéralement non-assistance à personne en danger. En revanche, cela ne signifie pas que l’homme doive se reposer sur la prudence de son épouse. Bref, il faut une authentique communication où chacun dévoile son être, sa vocation et ses difficultés à l’autre.

 

D’autre part, il faut mentionner ici les propositions telles qu’exodus 90 ou libre pour aimer, etc… qui permettent de reprendre les choses en main. Vous pouvez vous reporter aussi aux conseils contenus à la fin de l’article Le péché originel dans le couple.

 

2)     La réponse éducative

C’est ce point-là qui m’a amené à écrire cet article. Je ne suis pas peu fier de vous avoir dégoté deux conférences tout à fait remarquables sur ce sujet. Figurez-vous que du 6 au 9 février 2012 a eu lieu à l’université pontificale grégorienne de Rome un symposium intitulé « Toward Healing and Renewal ». Ce symposium rassemblait les évêques et les supérieurs ecclésiastiques venant des quatre coins du monde pour aborder la question des abus sexuels sur mineurs commis dans l’Eglise. Les conférences qui ont été données sont accessibles ici.

 

Ce qui m’a le plus frappé à la lecture de ces conférences c’est la finesse, l’équilibre et la puissance de pensée développée par les auteurs. J’ai du mal à trouver des études en sciences sociales qui atteignent le quart de la moitié du cinquième de ce niveau de rigueur. C’est dans ce genre de situation que je comprends à quel point, en tant que catholiques, nous avons (pour peu que nous puisions dans notre trésor doctrinal) un niveau de réalisme sans égal, et ce d’où que nous venions sur la planète.

 

La deuxième chose qui m’a frappé c’est de voir à quel point la richesse des réflexions présentées est intéressante pour nous laïcs. La question des abus dans l’Eglise est une question repoussante : personne ne veut entendre parler de pédophilie. Il est donc difficile, à mon sens, de s’intéresser à ce sujet comme s’il nous concernait. Ceci étant, les conférences dont je vais vous parler ne s’appesantissent pas tellement sur les faits mais sur leurs causes, et sur la posture éducative que l’on peut adopter pour limiter les risques de déviance. Elles sont donc instructives bien au-delà de la question de la pédophilie.

 

Avant de poursuivre, il faut que je vous dise que malheureusement ces conférences sont en anglais. Pire encore, j’ai tenté d’en traduire des parties, j’espère que vous parviendrez malgré cela à comprendre ce que le conférencier veut dire et que les tournures de phrase ne vous arrêteront pas. Je vous mets mes tentatives de traduction pour la seconde conférence en pièce jointe.

 

La première conférence qui m’a interpelée s’intitule The internet and Pornography, elle est présentée par l’équipe VIRTUS. La première chose sur laquelle le conférencier insiste, c’est que les média doivent faire l’objet d’un apprentissage dans leur utilisation car les nouvelles technologies sont extrêmement rapides. Il est donc indispensable que les prêtres et les laïcs qui ont une responsabilité dans l’éducation pastorale donnent « l'exemple du discernement dans l'usage des média écrits ou audio-visuels »[6]. Ce qui est cocasse c’est que le conférencier ne fait ici que citer un document datant de… 1989. Comme quoi un petit rappel est toujours bon à prendre.

 

La seconde remarque est à mon avis extrêmement importante : « Un point central dans l'usage et l'abus d'Internet est le fait que, la plupart du temps, l’ancrage dans la réalité peut vite se dégrader. »[7] Ce point me parait absolument capital. Le conférencier poursuit :

 

« Voici plusieurs critères d’ancrage dans la réalité:

 

1.      Connaissance du temps et de l'espace présent

2.      Regard social sur soi-même

3.      Regard lucide sur soi-même

4.      Capacité à interpréter avec justesse ceux qui nous entourent

5.      Capacité à anticiper les conséquences des actions et des comportements

6.      Réfléchir et se comporter de manière appropriée selon les situations

 

« L'Internet - l'utilisation excessive et constante de celui-ci – remet en question bon nombre de ces manières de se repérer dans la réalité vis-à-vis de soi, des autres et de l'environnement : “j'ai souvent l'impression d'être seul au monde”. 

 

« […] De plus, les addicts à Internet semblent incapables de surfer sans se mettre en péril, sans glisser insensiblement dans un gouffre. Ils ne parviennent pas à prendre clairement conscience de ce qui les attend. Internet devient littéralement, pour ceux qui en sont addict, un gouffre soigneusement camouflé pour faire prisonnier les hommes. Il peut être, il est souvent un piège, un leurre ou un danger dont il n’est pas simple de prendre conscience.

 

« Pourquoi internet pose tant de problèmes (Delmonico and Griffin) ?

1.      Internet est interactif – il donne l’impression d’une relation

2.      Internet est gratuit – rien de pire qu’un divertissement apparemment gratuit

3.      Internet s’impose de lui-même – Il nous propose tant de choses

4.      Internet est intégral – Il semble faire partie du quotidien

5.      Internet isole – Il entrave les interactions réelles

6.      Internet asphyxie – Il semble altérer les neurones et le corps de la même façon qu’une drogue

 

« Plusieurs appellent cela l’effet de désinhibition en ligne (ODE)

-        Tu ne me connais pas

-        Tu ne peux pas me voir

-        Tout ça n’existe que dans ma tête (fantasme, rupture avec la réalité)

-        Ce n’est qu’un jeu, une façon de s’amuser

-        Nous sommes tous égaux »

 

Et le conférencier nous donne des pistes pour identifier ce glissement : « Les signes les plus prégnants de cette vulnérabilité sont des difficultés en lien avec le sentiment de solitude, l’isolement, le manque d’hygiène personnelle, une haute opinion de soi, le statut, l’absence d’éducation concernant cet aspect d’internet, et une capacité prononcée à compartimenter son propre fonctionnement – une séparation nette entre l’image de soi et l’image de Dieu, un sentiment de honte, d’hypocrisie et d’indignité. »[8]

 

Donc internet, lorsque nous n’y sommes pas convenablement préparés, nous fait perdre le sens de la réalité et peut exciter notre tendance à compartimenter notre propre fonctionnement. Ce point semble davantage nous concerner, nous les hommes. Il n’y a pas de statistiques sur la proportion d’hommes et de femmes qui mènent une double vie mais on peut dire – et d’ailleurs la psychologie comparée des sexes nous le confirme – que l’homme a une sorte de prédisposition au clivage, aux tiroirs, à mettre un aspect de son identité sous clé. Cette prédisposition, très utile dans la vie courante lorsqu’il s’agit de faire la part des choses face à un problème, peut devenir franchement pathologique lorsqu’elle est utilisée comme un bouclier contre l’unité ou la cohérence de vie.

 

C’est pour cela que la deuxième conférence est si passionnante. Prononcée par monseigneur Jorge Carlos Patrón Wong, alors évêque coadjuteur de Papantla au Mexique, elle s’intitule Candidates for the Priesthood and Religious Life. Selection, Screening and Formation[9]. 

 

Ce qu’il faut retenir dans cette conférence, c’est que l’orateur a une sacrée compétence dans la sélection et la formation des séminaristes. Et il nous parle du meilleur moyen pour accompagner les candidats au sacerdoce, pour juger de leur unité intérieure et pour accompagner la cohérence de vie des jeunes. Son discours est extrêmement instructif et il me semble qu’il peut être utile à toutes les personnes ayant un rôle éducatif, à commencer par les parents.

 

Tout d’abord, l’orateur nous prévient contre deux attitudes éducatives délétères : la figure d’autorité qui est uniquement préoccupée par la docilité extérieure aux règles, et la posture naïve de l’éducateur qui s’appuie sans jugement sur la prétendue liberté intérieure ou la prétendue maturité du jeune. Bien que le conférencier parle de l’accompagnement du séminariste et du discernement de la vocation, nous pouvons tout à fait prendre à notre compte ces conseils pour l’éducation des enfants, leur accompagnement dans les choix de vie qu’ils sont amenés à poser. 

 

Ainsi, en forçant à peine le trait il peut être tentant pour certains parents de s’en tenir au maintien d’une discipline extérieure de ses enfants - ce qui flatte son orgueil social -, et pour d’autres parents de laisser à son enfant une trop grande liberté tout en se flattant de sa propre magnanimité. Si l’on reprend la thématique de la pornographie et d’internet en général, cela donne le parent qui prive ses enfants de tout accès à internet sans se soucier le moins du monde de leur développement affectif et sexuel, ou alors le parent qui donne un accès libre à internet à ses enfants sans davantage se soucier de leur vie intérieure. L’évêque nous encourage à aller plus loin que cela, il nous encourage à être présents et disponibles au quotidien auprès du jeune, à comprendre les motifs profonds qui l’animent tout en le confrontant à la réalité de l’évangile. 

 

Ensuite, monseigneur Wong nous explique qu’une personne au développement normal « possède la double capacité de se différencier et de s’intégrer. Cette capacité permet à l’individu d’établir ses propres limites par rapport aux autres (différenciation) et, en même temps, d’assumer sa propre réalité, complexe et ambivalente, en unissant le passé et le présent autour d’un idéal qu’il projette dans l’avenir (intégration). Ces deux mouvements sont liés et c’est précisément l’harmonie de ce lien qui permet d’attester de la bonne volonté subjective et de la personnalité stable et saine de la personne. »[10]

 

Pour se faire une idée de la stabilité de la personne sur ces aspects, il faut observer comment elle se justifie en cas de conflit. Si elle ne prend en compte que les causes extérieures et se montre incapable d’évoquer les motifs intérieurs qui l’ont poussé au conflit, c’est un warning – d’autant plus lorsque le conflit est lié à de la jalousie ou à du mensonge. De même, si la personne reporte sans cesse la responsabilité de ses propres difficultés relationnelles sur les autres, si elle est incapable de se remettre en question, alors il faut craindre que sa véritable priorité soit de satisfaire ses besoins d’affection, de jouissance ou de pouvoir et non d’être un saint. D’ailleurs Mgr Wong donne en dernier indicateur lorsque la personne ne met pas à profit la prière, la vie fraternelle, le sport ou le devoir d’état pour avancer.

 

Ces points semblent bien éloignés de la lutte contre la pornographie. En réalité, ils sont très importants, parce que tout dérèglement de vie comme la pornographie n’est en fin de compte que le manque d’un bien, ce n’est qu’un déséquilibre. Il ne sert absolument à rien d’appliquer les réponses matérielles dont on a parlé si on ne se préoccupe pas de l’hygiène et de l’équilibre de vie du jeune (ou du moins jeune). Nous-mêmes n’avons pas besoin de souffrir d’une addiction à la pornographie pour bénéficier de ces conseils. Le conférencier poursuit : « Ces éléments sont vitaux […], car ils stabilisent l’identité et garantissent une unité de vie capable d’intégrer les multiples et diverses expériences propres à faire grandir les traits essentiels de la personnalité du bon pasteur : l’amour de la vérité, la loyauté, le respect humain, le sens de la justice, l’équilibre et la constance dans l’attitude et le jugement. » Autant de bonnes choses qui ne sont pas réservées qu’aux prêtres !

 

On le voit bien : ce dont il est question c’est la construction identitaire, c’est d’avoir une personnalité stable et forte capable de choisir Dieu au milieu du brouhaha du monde. L’auteur reconnait que ce n’est pas évident : « Il faut garder à l’esprit que, sur un plan sociologique, il n’est pas simple pour les jeunes d’aujourd’hui d’être assurés de leur identité sexuelle car ils doivent la définir au milieu d’une société « liquide » […] qui ouvre apparemment toutes les possibilités, partout et tout le temps, y compris les illusions d’Internet. Voilà pourquoi il est si important d’avoir au séminaire un environnement sain, avec des attitudes et un langage qui favorisent sans ambiguïté la construction identitaire. »

 

Par ailleurs, Mgr Wong explique que l’affectivité et la sexualité ne sont pas systématiquement liées, et que l’affectivité peut se libérer de la sexualité. « Ce point de vue est confirmé par la recherche en psychologie développementale : « Le réflexe sexuel de l’homme peut être indéfiniment différé ou aboli de façon fonctionnelle tout au long de la vie. Aucun autre réflexe physiologique n’a une telle souplesse dans son expression physique […]. Bien qu’il s’agisse d’une fonction physiologique naturelle, le réflexe sexuel peut être sublimé, limité, déplacé ou transformé au travers de l’inhibition de ses caractéristiques naturelles et/ou la modification de l’environnement au sein duquel il s’exerce. Ainsi, le reflexe sexuel en tant que fonction naturelle peut être sublimé, pour des raisons valables, lorsqu’un haut niveau de tolérance à la tension sexuelle est atteint. »[11] Voilà une excellente nouvelle à rappeler à tous les jeunes, tous les célibataires et tous les couples aussi d’ailleurs : contrairement à ce que nous avait fait croire Freud, la sexualité n’est qu’une partie de l’affectivité. Nous sommes libres de sublimer nos pulsions sexuelles de telle sorte que notre épanouissement affectif n’en dépende pas fatalement.

 

C’est là une excellente nouvelle, et il faudrait crier « aux captifs la libération ! » car malheureusement beaucoup trop d’hommes - même catholiques - se croient condamnés à suivre leur besoin sexuel, ils ne voient pas d’issue autre que de libérer cette pulsion. La sublimation dont il est question ici c’est le report de l’énergie qu’il y a dans le besoin sexuel sur une œuvre, sur un travail, un service ou un effort. Il s’agit d’une sorte de traduction de notre fécondité primaire vers une autre fécondité, plus opportune à ce moment-là. Un homme qui n’a pas appris à sublimer son besoin sexuel ne peut pas prétendre à la liberté.

 

Et la meilleure des bonnes nouvelles c’est que l’épanouissement affectif n’est pas foncièrement mêlé au plaisir sexuel, qu’il peut – et doit - être recherché quel que soit l’état de vie de la personne. D’ailleurs, ignorer ce besoin affectif est particulièrement préjudiciable pour la personne : « D’authentiques formateurs savent qu’il n’est pas bon de témoigner trop de complaisance vis-à-vis de ceux qui agissent de façon excessivement chaste ou sérieuse, avec ceux qui sont rigides ou froids, mais aussi avec ceux qui ont déjà réglés leurs problèmes, qui n’ont aucune difficulté et qui pensent pouvoir lire tout, entendre tout, et voir tout. […] Ceux-ci sont les moins fiables. La présomption est un autre très mauvais signe »[12].

 

Seulement voilà : puisque la décharge de cette pulsion sexuelle est encore le moyen le plus facile pour apaiser la tension, le fait de sublimer cette pulsion va demander de la part de l’homme un renoncement. Le conférencier distingue ici de façon très judicieuse le renoncement de la frustration : alors que dans la frustration l’homme lutte contre les événements extérieurs qui l’empêchent d’atteindre son plaisir, dans le renoncement l’homme lutte contre lui-même. Dans le cas de la frustration il y a violence et destruction, tandis que dans le cas du renoncement il y a force et édification. 

 

Cette distinction est extrêmement importante pour le parent ou l’éducateur, et il semble qu’une bonne partie de ce dilemme entre frustration et renoncement dépende de la confiance en Dieu : c’est parce que l’homme croit que son combat est possible et qu'il l’amènera à davantage de fécondité qu’il peut tenir. Malheureusement, trop d’hommes se retrouvent seuls dans ce combat. A ce sujet il est important de rappeler aux mères que ce domaine de lutte est un territoire d’hommes, et il arrive qu’en voulant bien faire elles se montrent maladroites avec leur ado et augmentent son sentiment de solitude. Ce n’est pas tout à fait la même chose avec les épouses, car celles-ci sont directement concernées par la sexualité de leur mari. Quoiqu’il en soit, il est important que les hommes s’épaulent dans ce combat. En l’occurrence, le témoignage d’un père peut parfois sauver la confiance du fils.

 

Conclusion partie 2

Pour résumer, l’accès à internet contribue à amplifier la tendance au cloisonnement de l’homme ainsi que la perte de ses repères dans la réalité. Ce combat pour le réalisme et l’intégrité de la personne est vital, il s’agit d’un combat pour sa stabilité et pour sa fécondité.

 

Un homme mûr doit être capable d’entrer en relation et de supporter la solitude, il doit être capable de se remettre en question et de s’engager au-delà de ses intérêts immédiats. Il doit être capable de dépasser la frustration et de renoncer à la satisfaction de ses besoins lorsque le bien l’exige. Et il ne peut pas y arriver sans un accompagnement attentif, affectueux et encourageant. 

 

Y a du boulot.

 

3)     La réponse philosophique

Essayons maintenant de prendre un peu de recul sur la situation actuelle. Nous avons vu l’état de la situation au niveau de la consommation de pornographie, qui ne représente rien d’autre qu’une fuite du réel. Nous avons vu ce qu’il faut pour ramener sur terre la personne, et en faire un homme libre. Penchons-nous à présent sur cet outil, internet. Si vous avez pris le temps de visionner la vidéo de Michel Desmurget, vous savez qu’un enfant de maternelle passe en moyenne 3 heures par jour sur les écrans, un enfant de primaire 5 heures et un adolescent 7 heures. 

 

Qu’est-ce que cela signifie ? La question d’internet n’est en réalité que la question de notre rapport au réel. Selon Jacques Ellul, ce qui nous gêne dans le « réel » c’est qu’il n’est plus humain. Selon le philosophe, nous avons été privés de notre humanité par la technique – qui, soit dit en passant, ne se résume pas à la machine. Un étrange phénomène s’est répandu aux alentours de la révolution industrielle, une sorte de volonté de rationalisation de l’existence que nous n’avions pas vu depuis l’empire romain s’est réveillée, un Léviathan monstrueux qui vomit sans cesse des lois, des normes, des décrets qui écrasent les coutumes, les traditions, les relations.

 

Nous avons déjà parlé de cette prévalence systématique des chiffres, cette science mathématique qui a détrôné la métaphysique et qui prétend tout réduire à des données quantitatives. Le fait est que dorénavant nous ne nous demandons plus si quelque chose est juste lorsque nous créons, nous nous posons seulement la question de l’intérêt. Voilà pourquoi nous perdons la mesure de l’homme au milieu de ces organisations gigantesques, voilà pourquoi nous ne nous retrouvons plus dans notre système administratif rempli de technocrates, voilà pourquoi nous ne nous savons plus nous retrouver autour de la table familiale, chacun gardant le nez dans son écran. Nous ne nous retrouvons plus.

 

Il y aura toujours des personnes pour dire que l’outil n’est que ce que l’on en fait. Vous avez donc le choix entre consulter la vidéo du professeur Desmurget, la conférence de Mgr Wong ou le livre La technique ou l’enjeu du siècle de Jacques Ellul, en accès libre ici. A choisir, autant cantonner son usage au strict nécessaire. Si je peux me permettre un conseil, l’expérience de mettre internet à la porte vaut le détour.

 

Bonne lecture, et bonne semaine !


[1] étude Ofcom Online nation 2021 report, 9 juin 2021 - disponible ici
[2] Rapport d'information de Mmes Annick BILLON, Alexandra BORCHIO FONTIMP, Laurence COHEN et Laurence ROSSIGNOL, fait au nom de la délégation aux droits des femmes n° 900 tome I (2021-2022) - 27 septembre 2022 - disponible ici
[3] Accessible via ce lien (cliquer sur le bouton « télécharger ») : Statistiques sur le porno chez les catholiques - EN SORTIR attention il n’y a pas de source ni de date pour l’étude citée.
[4] Audience du pape François aux séminaristes et aux prêtres du 24 octobre 2022, disponible ici.
[5] cf étude ofcom citée plus haut.
[6] Extrait du document pornographie et violence dans le média : une réponse pastorale, du conseil pontifical pour les communications sociales, le 7 mai 1989. Accessible ici.
[7] Conférence « The internet and pornography » présentée par l’équipe VIRTUS lors du Gregorian symposium sur les abus sexuels en février 2012, accessible ici (la traduction et le surlignage sont de bibi)
[8] Ibid.
[9] Conférence de Jorge Carlos Patron Wong, évêque auxiliaire de Papantla (Mexique), Candidates for the Priesthood and Religious Life. Selection, Screening and Formation, lors du Gregorian symposium de février 2012, accessible  ici
[10] Ibid.
[11] Étude citée ici par l’auteur : « W. Masters, V. Johnson, La respuesta sexual humana, Buenos Aires, Intemédica, 1978. »
[12] L’auteur cite ici « A. Cencini, Nel amore. Libertá e maturitá affettiva nel celibato consacrato, Bologna, EDB, 1995. »

Colère et concupiscence, les deux forces de l’âme

26/06/2022

Bonjour !

 

En lisant le traité de l’éducation chrétienne des enfants[1] dont on a déjà parlé dans cet article, j’ai découvert le paragraphe suivant :

 

« La colère et la concupiscence sont deux passions de l'appétit sensible, très - violentes et naturelles à l'homme. En s'en servant comme il convient et suivant la règle de la raison et de la Loi de Dieu, elles sont comme deux utiles instruments pour les actions humaines ; au contraire, elles deviennent la source des plus grands désordres, lorsqu'au lieu de les réprimer, on les laisse courir impétueusement vers leur objet. »[2]

 

Alors je ne sais pas pour vous, mais c’est la première fois que je lis que la colère et la concupiscence sont des passions naturelles et utiles.

 

Quand on lit Yves Semen, une référence dans le domaine de la théologie du corps de Jean Paul II, la concupiscence désigne le désir orgueilleux d’avoir, de pouvoir et de jouissance ; c’est l’ennemi, et l’homme doit lutter de toutes ses forces contre la concupiscence pour pouvoir aimer comme Dieu aime, c’est-à-dire d’un amour oblatif. Quant à la colère, on n’a pas besoin de lire qui que ce soit pour se dire que c’est nul, dangereux et qu’il faut savoir dire non quand la moutarde vous monte au nez.

 

Or, le cardinal Antoniano nous explique que la colère et la concupiscence sont essentielles, car il s’agit des deux forces de l’âme. C’est ce qui nous fait bouger, ce qui nous pousse dans le monde. C’est donc vital. On retrouve chez saint Thomas quelque chose de similaire dans le concept de passions : ce que le cardinal Antoniano appelle la concupiscence et la colère correspondrait dans la philosophie scolastique aux passions concupiscibles et aux passions irascibles. Je vous propose pour simplifier d’employer les termes du cardinal. On va tout de même pouvoir s’appuyer sur ce que nous dit saint Thomas sur ces deux passions pour éclairer notre sujet. Par exemple, le docteur angélique nous explique que lorsque l’homme cherche à obtenir un bien, l’une ou l’autre de ces forces va se mobiliser en fonction de la facilité à atteindre ce bien. Si ce vers quoi on tend est facile à obtenir, c’est la concupiscence qui va se mobiliser. Si ce qu’on désire est difficile à obtenir, s’il y a un obstacle sur notre chemin, alors notre force sera ce que le cardinal Antoniano appelle la colère.

 

Donc notre façon de gérer les deux forces naturelles que sont la concupiscence et la colère va déterminer notre présence au monde. Certains vont plus loin, et expliquent que ces deux passions ne sont jamais complètement égales dans le cœur de l’homme. D’un homme à l’autre, la concupiscence a naturellement plus de poids que la colère, ou bien c’est l’inverse : la colère prend plus de place que la concupiscence.  Ainsi, la prépondérance congénitale de l’une ou l’autre de ces deux passions va déterminer un trait essentiel du tempérament.

 

Quand c’est la concupiscence qui prend plus de place, on aura tendance à dire que l’individu est primaire. Cela signifie que la personne en question est naturellement spontanée, elle vit les choses comme elles viennent et elle ne les retient pas quand ces choses passent : on dit du primaire que c’est quelqu’un qui fait des expériences. Quand, au contraire, c’est la colère qui prend le plus de place, on va considérer qu’il s’agit d’une personne secondaire, naturellement réfléchie, sur qui les événements laissent leur empreinte : on dit du secondaire que c’est quelqu’un qui a de l’expérience. Tandis que le primaire est plus facilement spontané, plus habile dans l’improvisation et dans les relations sociales et se renouvelle dans le présent, le secondaire, lui, doit réfléchir avant d’agir. La nouveauté lui demande plus d’énergie parce qu’elle remet en question ses schémas de pensée, il a plutôt tendance à se renouveler dans le passé. Par exemple, le primaire aura moins de mal à passer le permis voiture tandis que le secondaire va être pollué par son besoin de comprendre ce qui se passe, il aura plus de mal à garder son attention mobile, ce qui bien sûr est indispensable quand on est au volant.

 

Primaire ou secondaire désignent les deux catégories de ce qu’on appelle en caractérologie le « retentissement des représentations ». C’est un critère très important pour cerner le tempérament (ou le caractère, c’est pareil) de quelqu’un. Il y a deux autres critères, l’émotivité et l’activité, et à eux trois (retentissement des représentations, émotivité et activité) ils permettent de situer la personne parmi les 8 caractères dit « classiques » de René Le Senne, dont on discutera une autre fois. 

 

Quand on parle de tempérament, on parle du squelette mental de l’homme, rien de moins. Comme un squelette, le tempérament grandit pendant la période de croissance et se stabilise complètement à l’âge adulte. Cela veut dire que par l’éducation on peut pousser ou tirer le tempérament de l’enfant vers un tempérament voisin, tout comme on peut favoriser la croissance du squelette de l’enfant ou la freiner par un régime spécial et des habitudes particulières. En revanche, les changements obtenus restent mineurs : un tempérament ne peut pas se transformer du tout au tout pour devenir un tempérament opposé. 

 

Cela signifie-t-il que tout adulte est conditionné par son caractère, qu’il n’est pas libre ? Oui et non. Au caractère s’ajoute ce qu’on appelle la personnalité. Le squelette n’est pas tout : il peut porter une chair malade, amorphe, tout comme il peut porter une chair saine et vigoureuse. La personnalité, c’est ce qu’on fait de ses muscles avec le squelette qu’on a. On a toujours une marge de progression.

 

Et justement, la cardinal Antoniano nous explique que la concupiscence et la colère sont comme deux destriers tirant un char dont le conducteur est la raison. Guidés par la raison, ces deux chevaux tirent l’homme vers le bien. Qu’est-ce qui permet à la raison de soumettre ces deux forces sauvages, de les discipliner pour qu’elles nous mènent vers le bien ?

 

Commençons par la colère.

 

Eduquer la colère

 

« Les enfants sont naturellement irascibles ; ils éprouvent mille désirs. Lorsqu'ils ne peuvent les satisfaire et que la faiblesse de leur âge ne leur permet pas de se défendre de beaucoup de choses qui leur déplaisent, ils s'abandonnent à l'emportement et à la colère, et ils se vengent à leur manière par des pleurs. »[3]

 

Je pense qu’on est d’accord là-dessus : les enfants ont ceci de particulier que la frustration semble les submerger pour un rien. On a rarement vu un bébé prendre sur lui et ravaler ses pleurs. La colère est première, il s’agit donc que l’enfant apprenne à réprimer cette colère. Pour cela, il y a deux choses à faire :

 

D’abord, il s’agit de ne pas exaspérer l’enfant. Il faut à celui-ci une ambiance de vie ordonnée et honnête. Il ne sert à rien de demander à l’enfant d’être calme si rien autour de lui n’est paisible, tout comme il ne sert à rien de lui demander d’être sage si personne autour de lui n’est juste. Pour aider l’enfant à réprimer sa colère, il est nécessaire de lui donner l’habitude de la sobriété. C’est par l’excès que la colère s’immisce dans le cœur.

 

Ensuite, il faut travailler la frustration. Apprendre à l’enfant à être juste n’est pas suffisant, parce que nous sommes chrétiens. D’ailleurs, sans dramatiser il est irréaliste de croire que la vie en société répondra à la même justice que l’enfant a pu connaitre dans sa famille. Et même dans celle-ci, on n’est jamais à l’abri d’une injustice. Il faut donc que l’enfant apprenne à dépasser cette justice, il faut qu’il sache pardonner, ne pas compter les injustices qu’il subit parfois. 

 

L’obéissance

Comment exiger cela de l’enfant ? Comment lui demander de dépasser l’injustice ? On pourrait croire que c’est en l’exhortant à l’amour, en faisant appel à ses bons sentiments. C’est une erreur, parce que tant qu’il n’a pas atteint l’âge de raison, l’enfant n’est pas encore libre. Avant 7 ans environ, il n’est pas capable de lui-même de faire suffisamment appel à la raison pour choisir librement le bien. Il ne s’agit donc pas de lui faire comprendre son intérêt, car il n’est pas en capacité de discerner celui-ci. Il va donc falloir que les parents érigent l’obéissance comme une vertu bonne en soi. 

 

Quand le parent se sent obligé d’expliquer de long en large les motifs de ses décisions vis-à-vis de l’enfant, ce n’est pas de l’obéissance qu’il lui demande. Il lui demande son adhésion alors même que l’enfant n’a pas les moyens d’être éclairé sur le sujet. L’éducateur ne fait que multiplier les occasions de colère chez l’enfant en donnant à celui-ci une place qui n’est pas encore la sienne. De fait, la colère se nourrit de la puissance, et plus l’enfant voit qu’on l’écoute, qu’on répond à ses désirs, plus sa volonté devient tyrannique. Ce peut être un bon tyran, cela reste un tyran.

 

L’auteur du traité déclare : « Il sera bien utile, par conséquent, de rompre la volonté des enfants et de ne pas les laisser devenir obstinés et sujets à l'entêtement. Ils doivent obéir promptement et de bonne grâce, et se prêter à tout ce qu'on leur commande, sans raideur ni ennui, semblables à ces poulains bien domptés qui obéissent au plus léger mouvement de la main du cavalier. »[4]

 

Ce que j’apprécie quand on feuillette de vieux bouquins c’est qu’on tombe sur ce genre de déclarations. « Rompre la volonté des enfants », voilà quelque chose qu’on n’entend plus guère. Même à l’époque, ça a dû faire frissonner beaucoup de mères poule. Certains ne manqueront pas d’évoquer l’expérience de Milgram, l’ « état agentique » et les atrocités de la seconde guerre mondiale, qui n’avaient d’autre origine que l’obéissance aveugle des hommes. D’autres se rabattront sur la psychanalyse de comptoir, affirmant que c’est là le meilleur moyen de fabriquer des complexes, qui resurgiront sous la forme d’une violence encore plus grande à l’âge adulte. 

 

On retrouve ici un nœud central de notre culture moderne : la volonté individuelle est un sanctuaire inviolable qu’il s’agit uniquement de respecter et de protéger. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : pour l’enfant, et plus encore pour l’enfant qui n’a pas atteint l’âge de raison, obéir à ses parents est une chose bonne en soi parce qu’ainsi il atteint son bien au-delà de la vision immature qu’il en a.

 

Demander à l’enfant d’obéir sans lui donner d’explication, c’est donc prendre sur soi le bien de celui-ci. Autrement dit, c’est le soulager d’un poids qu’il n’est pas en mesure de porter pour l’instant. C’est une torture atroce pour l’enfant que d’avoir constamment le choix. Même pour les adultes entre eux c’est souvent une fausse générosité. Il suffit de voir les ravages que peut provoquer dans la vie de couple ces petites phrases : « comme tu veux » ou « c’est toi qui décide ». L’indifférence passe plus sûrement dans l’absence d’opposition que dans le refus, qui souvent implique un engagement. Lorsque le parent demande à son enfant d’obéir sans discuter il lui signifie la route à suivre, il s’engage en éclaireur, fort de sa propre vision du bien et sûr de sa foi en ce bien.

 

L’obéissance est donc un bien pour l’enfant. Le parent doit, bien sûr, rendre des comptes sur l’autorité dont il use à l’égard de ses enfants, mais ces comptes il les rend à Dieu, et non à ses enfants. C’est le mystère des générations humaines : quoique l’on prétende, les parents ne sont pas sur le même plan que leurs enfants. Quel que soit l’intensité de l’amour que se portent les membres d’une famille, la génération est une barrière aussi incorruptible que la différence des sexes. Elle est tout aussi édifiante.

 

La douceur

Pour éduquer les enfants à réprimer leur colère, il va donc falloir non seulement veiller à ce que leur environnement soit le plus régulier possible avec des rituels - qui ne sont rien d’autre que des traditions à l’échelle du foyer, mais il faut aussi les habituer à tolérer certaines injustices sans broncher, tout en leur montrant l’importance d’obéir, de soumettre leur volonté propre à celle de l’adulte. Toutefois, il ne serait pas juste de parler de la colère uniquement comme une force négative. Laissons la parole au cardinal Antoniano pour clôturer ce chapitre :

 

« La colère cependant est une passion naturelle, partant utile, nécessaire même quelquefois pour produire avec une certaine vigueur et une certaine vivacité plusieurs actions vertueuses, pour savoir reprendre nos inférieurs, les châtier quand ils commettent quelque faute et pour s'élever contre le vice. Aussi les philosophes ont-ils comparé la colère à la pierre sur laquelle on aiguise le fer, parce qu'elle sert en quelque sorte à aiguiser la vertu. Il ne faut donc pas éteindre dans les enfants toute vivacité et les rendre comme hébétés et stupides ; mais on doit leur apprendre à modérer la passion de la colère et à la mettre au service de la raison, loin de soumettre la raison à son empire. […] 

 

« Que l'on ne croie donc pas que l'homme ami de la douceur soit incapable, lorsqu'il le faut, de tirer du fourreau le glaive de la colère, tout en lui donnant la raison pour guide. Un fameux sage du monde disait que le vrai brave est ardent et courageux à la bataille, mais que partout ailleurs il est très-doux. Combien de faux braves, au contraire, se montrent terribles dans les rapports ordinaires de la vie, qui ne sont plus au moment du danger que des lâches dignes de mépris ! »[5]

 

Pour résumer, on pourrait dire que l’enfant est spontanément colérique. Sa propension à la colère est déterminée par son caractère, mais quoiqu’il arrive elle devra faire l’objet d’une attention spéciale de la part de ses parents ou de ses éducateurs, au même titre que la concupiscence. Au-delà d’un cadre de vie stable, régulier et sans excès, le premier levier actif pour travailler la colère c’est l’obéissance, et tout particulièrement l’obéissance demandée sans discussion. C’est le seul chemin pour faire comprendre à l’enfant que sa volonté et son intelligence ne sont pas suffisants pour atteindre le bien. Dans un deuxième temps, il est très important que cette obéissance contrainte, acquise à la façon d’un réflexe, laisse la place à une obéissance volontaire plus subtile. La marque de cette obéissance plus mûre, celle qui commence à l’âge de raison et qui dure toute la vie, est la douceur. C’est la douceur qui témoigne le mieux d’un cœur libéré de cette colère anarchique qu’on appelle fureur. Lorsqu’elle équilibre la colère, le fruit de la douceur est la mansuétude, cette générosité du cœur qui dépasse la frustration pour faire gagner l’amour. Ainsi, l’enfant passe de la fureur déclenchée par la moindre frustration à la vigueur de l’amour. C’est beau.

 

Passons maintenant à la concupiscence.

 

Concupiscence et chasteté

 

La concupiscence a ceci de particulier qu’elle concerne l’intimité de la personne humaine. Autant la colère est un mouvement de soi vers l’extérieur, elle sera donc plus visible et plus simple à travailler – mais pas forcément plus facile, cela dit - autant la concupiscence est un mouvement de l’extérieur vers soi, et sera donc moins visible, aussi bien du point de vue de l’éducateur que de l’enfant lui-même.

 

Ce sujet de l’intimité est extrêmement délicat à accompagner. On pourrait dire qu’il s’agit d’éduquer le désir de l’enfant. Le problème c’est que le désir authentique ne semble pas capable de se déployer autrement qu’en toute liberté. Cette spontanéité du désir est d’une certaine manière un élan de vie, et le risque si l’on contrarie cet élan par des règles ou des principes est de le détruire, de gâcher l’identité de la personne humaine en la forçant à revêtir un masque. Ça donne des individus sans personnalité, fades et amorphes. Voilà pourquoi, à l’instar de la colère, il ne s’agit pas tant de contrer la concupiscence que de la guider.

 

L’examen intérieur

Beaucoup de difficultés dans ce domaine viennent de ce que l’on pourrait appeler le syndrome de twilight, cet espèce d’engouement qu’ont les gens à entrer dans les méandres du psychisme pour élucider les intentions profondes de telle ou telle personne. On se perd rapidement dans des élucubrations farfelues qui dissimulent mal le plaisir de se tripoter le nombril. J’ai mentionné twilight comme un chef d’œuvre du genre, mais si vous regardez bien cela concerne l’immense majorité des intrigues de film, de série et de livre qu’on nous sert chaque jour. Le fait est que pour écrire une histoire il faut que l’intrigue ait un minimum de complexité, et rien de tel que les émois intérieurs du héros pour faire durer le suspense. C’est d’ailleurs ce qui distingue la littérature romantique de la littérature classique : dans la littérature classique le héros est confronté à des événements réellement tragiques, il n’est qu’un participant du vaste monde et doit faire avec les circonstances tandis que dans la littérature romantique le héros est au centre, c’est l’excitation de ses émois intérieurs qui déclenche les péripéties de l’intrigue. Dans un cas la réalité est première et cathartique, dans l’autre c’est l’émotion qui prime la réalité, il n’y a donc plus de limite à l’amour-propre.

 

Pour éduquer le désir, pour guider l’enfant vers la chasteté et l’aider à déployer une saine concupiscence, il est primordial d’opter pour la méthode classique et de refuser en tout temps la déviance romantique. Cela signifie que l’on va s’intéresser au désir tel qu’il se déploie dans telle ou telle circonstance, et on va éviter de parler du désir en tant que tel, hors de tout contexte. Ce sont les circonstances qui donnent corps au désir, et lorsque l’on aborde le désir en lui-même on ne fait que se fasciner pour une puissance imaginaire. C’est un flirt dangereux qui frise l’idolâtrie, parce que l’imagination libérée de tout contexte réel a pour seul point de pivot l’amour-propre.

 

Dans ce domaine, l’examen de conscience est absolument incontournable. Lorsque l’on s’exerce à discerner dans les événements de la journée ce qui constitue une tentation et ce qui relève d’un péché, on aère cette pièce intérieure constamment enfumée par le monde, par le malin et par le vieil homme pour y faire entrer l’air pur et la lumière. Il y a des pensées qui, lorsqu’elles surgissent, ne sont pas de ma responsabilité ; elles sont donc étrangères à mon cœur, et il y a des pensées qui, lorsque je les accueille et que je les cultive, relèvent au contraire de ma responsabilité et peuvent donc constituer un péché.

 

Beaucoup trop de chrétiens vivent dans une forme d’inconscience, sans jamais faire le tri dans les pensées qui viennent de l’extérieur et celles qui naissent dans leur cœur. Quand vient l’heure de prier, ils déblaient comme ils peuvent cette pièce intérieure enfumée et jonchée d’obstacles, restent le temps qu’ils peuvent puis partent en toussant. Faute de n’avoir pas pris l’habitude de faire la part des choses entre la multitude de petites tentations quotidiennes et leurs propres décisions, ils ne sont pas chez eux dans leur propre cœur. C’est de là, il me semble, que vient cette tendance à exagérer les dilemmes intérieurs et cette confusion dans le combat pour la chasteté. Attention, l’examen de conscience n’est pas tout ! Il ne s’agit pas seulement de trier, il faut aussi brûler tous les encombrants et ça, ça ne peut passer que par la confession.

 

En fait, l’examen de conscience ne se fait pas une fois par mois, il ne se fait même pas une fois par jour. C’est un exercice permanent qui nous rend vigilant à ce qui nous arrive. Une fois que la pièce est propre, dès qu’un peu de fumée fait mine de rentrer on le voit. C’est un moment très important où l’on considère ce qui vient de l’extérieur comme étranger à notre cœur. Ainsi, le combat est déjà identifié, à moitié gagné. Il y a dans les cœurs non exercés une forme de lascivité qui sape en amont toute velléité de résistance à la tentation. Dans ces cœurs, le péché est déjà le bienvenu, il est déjà un peu chez lui.

 

Tout cela pour dire que l’on peut – et l’on doit ! - être pragmatique jusque dans le combat intérieur. Attention, la lucidité et la sincérité doivent s’accompagner sans cesse de la confiance en Dieu. Le malin, lui aussi, peut s’amuser à nous rendre lucides sur l’abime de notre misère. Or on ne fait pas de la place pour le vide, à la manière zen, on fait de la place pour accueillir le Maître. Sans quoi le démon rapplique avec tous ses potes et bonjour les dégâts. C’est le sens du combat pour la chasteté, pour l’ouverture du cœur à la juste concupiscence : mettre l’amour en premier, sans partage.

 

La pudeur

L’amour chaste chez l’enfant tout comme chez l’adulte se traduit notamment par l’intégrité du cœur, par son unité. Cette intégrité du cœur se développe très concrètement par la pudeur, par un sens aigu de l’intimité. Ça nous amène à la grande question que se posent de nombreux parents : comment apprendre la pudeur à l’enfant ?

 

C’est une question très profonde, parce qu’elle implique de savoir exactement ce qui empêche l’enfant de se confondre avec l’autre, de ne faire qu’un avec ceux qu’il aime. La pudeur signale une solitude irréductible, un espace où la personne sera toujours seule avec elle-même. Ça a quelque chose de traumatisant pour l’enfant, et beaucoup luttent encore une fois arrivés à l’âge adulte contre cette réalité. Le fait est que certains parents refusent aussi de voir l’importance de cette solitude pour leur enfant, et le privent de cet espace indispensable en refusant toute distance physique ou affective avec lui.

 

C’est le genre d’apprentissage qui nécessite un tiers, quelqu’un pour rompre la relation à deux. Vous l’aurez compris c’est ici le rôle du père, qui aide la mère à prendre une distance raisonnable avec son enfant. Mais il ne suffit pas de donner à l’enfant un espace d’intimité pour lui apprendre la pudeur. Il faut lui montrer l’importance de cet espace par l’exemple. Attention, l’exemple qui aura le plus d’importance pour l’enfant, celui qui le marquera le plus c’est l’exemple donné par mégarde, spontanément. Il ne faut pas croire que l’enfant soit attentif uniquement à ce qu’on lui désigne. Très tôt, il a appris à faire la différence entre l’émotion naturelle, spontanément exprimée par l’adulte et une émotion démonstrative, affichée volontairement par celui-ci. Très tôt il a compris que la vraie leçon est à chercher dans l’émotion authentique, que c’est elle qui donne le plus d’information sur les hommes, sur les relations humaines et sur la vie. Cela veut dire qu’on ne donne pas l’exemple volontairement avec de beaux principes et de beaux discours, mais on le donne par nos habitudes quotidiennes de vie. Par exemple, des parents qui veulent que leur enfant se mette à la lecture et qui passent leur temps sur les écrans n’ont que très peu de chance de sensibiliser leur enfant aux joies de la lecture : ils donnent plus d’exemples à leur insu de ce qu’il ne faut pas faire (ou faire avec modération) que de ce qu’il faudrait faire.

 

Pour apprendre la pudeur, l’enfant doit donc être témoin des relations respectueuses qu’ont les membres de la famille entre eux, et en particulier il doit être témoin de la pudeur de chacun, de ce secret de l’intimité protégé par chacun. Il ne doit pas être témoin du contenu de ce secret, mais il doit être témoin du fait qu’il y a un secret. Ainsi, chaque mouvement de gêne face à l’impudicité, chaque geste posé pour protéger cette intimité va être un message aidant l’enfant à comprendre que le corps est sacré. Attention : pour ne pas verser dans la pudibonderie, la pudeur doit se manifester de façon naturelle, subtile et délicate. La pudibonderie est une sorte d’excès inverse de l’impudicité, elle marque tout autant l’absence d’harmonie dans la façon d’habiter son corps.

 

La curiosité de l’enfant

Qui dit secret dit curiosité, et c’est là aussi toute la difficulté de la situation. Dans l’article sur les Beltrame, nous évoquions cette charité si particulière de l’épouse envers l’époux qui la conduit à prévenir les occasions de chute chez l’autre en surveillant notamment sa façon de se vêtir. De la même façon, il incombe aux parents de se garder « en présence de leurs enfants de tout acte, de tout geste, de toute parole qui serait capable d'exciter en eux quelque mauvaise curiosité. »[6] Cela ne concerne pas uniquement les parents mais aussi tout l’environnement de vie des enfants, qui doit être exempt de tentations malsaines. Concrètement, le cardinal Antoniano encourage les parents - et tout particulièrement le père – à connaitre tout ce qui se passe dans la maison, pour protéger l’ambiance du foyer. 

 

Aujourd’hui, ce genre de disposition provoquerait les sarcasmes de l’entourage, et des réflexions du genre « vous ne pourrez pas protéger vos enfants indéfiniment de la réalité ». C’est vrai qu’entre internet, les programmes scolaires et les philosophies éducatives actuelles, on peut avoir l’impression de ramer à contre-courant, voire de pédaler dans la semoule. Pourtant l’énergie que peut mettre le père à censurer les films, les livres et à interdire toute forme de vulgarité sous son toit est un témoignage édifiant de sa foi en un amour vrai, intégral, plus fort que tous ces plaisirs au rabais. Plus qu’ailleurs, il s’agit de montrer qu’on est dans le monde sans être du monde, et cela justifie la vigilance la plus complète :

 

« Le père de famille, gardien vigilant et soigneux du dépôt que Dieu lui a confié, c'est-à-dire de l'âme et de la pureté de ses enfants, éloignera toutes les occasions qui pourraient se présenter dans sa maison ou au dehors. Il ne se fiera pas aveuglément aux serviteurs, aux nourrices, pas même à ses propres parents, parce que les ruses du démon sont nombreuses, et qu'il tend ses filets précisément là où les soupçons paraissent le moins fondés. […]

 

« Il ne faudrait pas d'ailleurs que sa vigilance dégénérât en une inquiétude fâcheuse, et qu'il grondât toujours sans nécessité ; elle doit consister à établir le bon ordre dans sa maison, à prévenir et à éloigner les occasions et les personnes dangereuses, et à employer ces moyens que nous savons si bien trouver dans les affaires qui nous intéressent. Qu'il soit adroit autant que possible, modéré et discret, parce que les extrêmes ne valent rien. Quelquefois des soupçons excessifs produiraient un effet tout contraire au but qu'on se propose d'atteindre, et ils pourraient faire naître la tentation de choses auxquelles, sans eux, on n'eût peut- être jamais songé. 

 

« Avant tout le père de famille se recommandera à Dieu, lui demandant de suivre sa volonté sainte dans l'éducation de ses enfants. Qu'il aie bon courage. Il se sentira grandement fortifié par le secours divin dont il éprouvera les heureux effets ; et l'Esprit-Saint, cet excellent maître, ce guide sûr des actions, lui enseignera, pour conduire heureusement sa nacelle au port, mille moyens que ni la langue ni la plume d'un homme ne sauraient jamais rencontrer. »[7]

 

Parler d’amour

Il faudra quand même, tôt ou tard, aborder concrètement le sujet avec les enfants. Là aussi c’est délicat de savoir que dire et comment le dire. Le cardinal recommande à ce sujet de ne pas trop entrer dans les détails avec les jeunes enfants, et d’attendre le bon moment :

 

« Quand les années auront apporté plus de maturité dans le jugement, et quand la bonne éducation aura si bien armé le jeune homme qu'il y aura moins de danger à lui découvrir en partie les ruses et la tactique de son terrible adversaire, alors seulement le père de famille pourra traiter avec lui plus à fond de la chasteté, afin de l'enflammer d'amour pour une vertu si belle, et de lui faire prendre en haine et en dégoût les plaisirs honteux. C'est surtout lorsqu'approchera le temps du mariage qu'il conviendra de l'exhorter vivement à garder avec fidélité la foi conjugale. »[8]

 

Par ailleurs, il ne faudrait pas passer à côté d’une discussion sur l’amour avec les enfants. Souvent on entre dans les détails « techniques » tandis que l’enfant espérait simplement comprendre un peu plus le mystère de l’amour humain, et surtout comprendre comment nous vivons l’amour, comment nous l’avons apprivoisé dans notre vie. Rien de scabreux, au contraire : ce genre de discussion est une opportunité d’aborder le fond des choses, de témoigner de sa foi vivante.

 

Encore une fois il s’agit de parler du désir de façon concrète, du désir tel qu’il s’exprime dans notre histoire humaine et non du désir éthéré, potentiel, fantasmé. On touche ici au cœur du réalisme chrétien, au cœur du mystère de l’incarnation lui-même : l’amour universel n’existe pas, il n’y a que l’amour de Gustave, de Jacqueline et de Gertrude. L’amour, le véritable amour, est viscéralement adressé. Il n’a rien à voir avec cet espèce d’élan frénétique qui se complait en lui-même, cet espèce d’aveuglement éperdu qui n’est qu’une fuite hors du réel. 

 

L’érotisme et la sensualité dont la société moderne est imbibée n’ont pas d’autre effet que de faire passer le rêve avant la réalité, d’exalter celui-ci pour dénigrer celle-là. C’est un crime très grave qui nous fait désespérer de l’amour, parce que pendant que nous rêvons la relation idéale nous n’apprenons pas à rencontrer l’autre. Et rencontrer l’autre, lui faire confiance et le respecter demande un véritable apprentissage.

 

Conclusion

 

Après avoir expliqué que la colère et la concupiscence sont les deux forces de l’âme et que ces forces doivent être disciplinées et ramenées à l’obéissance par la raison, l’auteur du Traité explique que ce dressage demande « de la diligence, de l’étude et de la fatigue ». Autrement dit cela demande d’être soigneux, réactif, averti et d’avoir le goût de l’effort.

 

Nous avons pu voir que la colère est une bonne chose car elle donne la vigueur nécessaire pour dépasser les obstacles, c’est la force de la volonté. Toutefois, lorsque la frustration n’a pas été suffisamment travaillée la colère se déforme et devient de la fureur. Au contraire, lorsque la colère a été systématiquement étouffée l’enfant devient mol, fat, veule. Une vraie larve.

 

Pour équilibrer la colère, il va falloir dans un premier temps rompre la volonté de l’enfant en lui imposant une obéissance complète, sans discussion. Dans un second temps, il faudra montrer à l’enfant l’intérêt de l’autorité sur soi-même et, au-delà de la justice humaine, lui faire désirer la mansuétude. Il s’agit de lui faire comprendre que la première, la seule compétition qui vaille est celle de la charité.

 

D’un autre côté, nous avons constaté l’importance de la concupiscence, qui n’est autre chose que le désir du cœur. Ici aussi on a d’un côté la vulnérabilité complète de la personne à ses sens, à ses envies et de l’autre le rejet total et orgueilleux du corps à travers la pudibonderie.

 

L’éducation du désir est délicate, et commence par la distinction très nette entre ce qui entre dans le cœur de l’enfant et ce qui en sort, entre la tentation et l’acte libre grâce à l’examen de conscience régulier. Cette éducation passe aussi par la maitrise complète de l’environnement de l’enfant pour lui épargner les occasions de chute dans la vulgarité, et surtout par l’apprentissage de relations saines, édifiantes et respectueuses de l’intimité de chacun. Encore une fois, il est nécessaire de donner à l’enfant le modèle d’un amour authentique, concret, enraciné dans la réalité.

 

Cet article ne serait pas complet si nous passions à côté de l’importance vitale des sacrements - notamment de l’eucharistie -, de la prière - notamment de la dévotion à Marie -, des mortifications de l’orgueil et de la chair – notamment du jeûne -, de la formation personnelle, de l’accompagnement spirituel et de relations sociales édifiantes. 

 

Et surtout ne tombons pas dans le panneau, la responsabilité que nous pouvons avoir au niveau de l’éducation des plus jeunes ne nous dispense en rien de poursuivre notre propre éducation dans ces domaines. Entre la colère et la concupiscence, à priori tout le monde à quelque chose à travailler. Si vous souhaitez des conseils pour grandir en chasteté en couple, je vous joins une liste dans l'annexe ci-dessous, c’est toujours bon à prendre.

 

Bonne semaine, et à dans quinze jours !


[1] Qui est, rappelez-vous, recommandé aux parents par le pape Pie XI dans son encyclique divini illius magistri.
[2] Cardinal Silvio Antoniano, Traité de l’éducation chrétienne des enfants, éd. A. Guignard, Troyes, 1856, p.266
[3] Ibid, p. 245
[4] Ibid, p. 245
[5] Ibid, p. 248
[6] Ibid, p.278
[7] Ibid, pp. 289-291
[8] Ibid, p. 272

République et Education (Présidentielle 2/4)

13/03/2022

Bonjour !

 

La semaine dernière, nous nous sommes intéressés à la question de la souveraineté, et de la pérennité de cette notion à l’heure de la mondialisation. J’avais choisi d’aborder ce thème avant les élections présidentielles, parce qu’il suscite beaucoup d’émotions contradictoires, au sein même des chrétiens. Puisque ce n’est pas une raison pour ne pas se positionner, au contraire, il semblait nécessaire de faire le point à l’aide de la doctrine sociale de l’Eglise pour déblayer ce terrain vague.

 

D’ailleurs si vous ne savez pas encore si vous allez voter en avril prochain, relisez le début de l’article de la semaine dernière sur le rapport entre les chrétiens et la politique. Ça ne fait pas de mal.

 

Aujourd’hui, je vous propose de discuter d’un autre sujet délicat : l’éducation et la République. Nous allons suivre une fois encore l’excellent ouvrage principes catholiques d’action civique, qui a été rédigé par l'abbé Lallement à la demande de l’assemblée des évêques et cardinaux de France. Nous allons aborder successivement les relations entre les trois acteurs de l’éducation : l’Eglise, la famille et l’Etat.

 

L’Eglise et l’Etat

 

Dans l’esprit du plus grand nombre, l’objectif de l’éducation est l’adaptation de l’enfant à la vie en société et son accès à l’autonomie. L'abbé Lallement s’oppose à cela, en rappelant que la fin de la personne humaine n’est pas à chercher dans le monde mais dans l’union à Dieu. Cela donne à l’Eglise un rôle privilégié dans l’éducation, ainsi qu’une indépendance totale vis-à-vis de tout pouvoir terrestre dans ce domaine. Ainsi, lorsque la religion est enseignée à l’école, il incombe à l'évêque de valider le choix des enseignants et des manuels. En principe.

 

De même, l'Eglise est censée veiller sur tous les discours et enseignements tenus à l'école, qu’elle soit publique ou privée "pour qu'il n'y soit porté aucune atteinte à la religion ou à la morale"[1]. En effet, tout l’enseignement doit être "mis en rapport avec la formation morale et religieuse", même le sport. D’ailleurs, cela ne porte pas préjudice à l'Etat parce que l'Eglise enseigne l'amour et le service de la patrie.[2]

 

La famille et l’Eglise

Concernant l'éducation familiale, l'Eglise nous explique que l'éducation des enfants est intimement liée à la fécondité conjugale, qu’elle est le prolongement du principe vital que Dieu communique à la famille. Plus encore, le respect par les parents de leur mission éducative va être le signe de l'honnêteté morale, et carrément de la dignité humaine, de leur union conjugale. 

 

Dans le code de droit canonique, on peut lire en effet que "Les parents ont la très grave obligation de veiller, selon tout leur pouvoir, à l'éducation tant religieuse et morale que physique et civique de leurs enfants."[3] et Pie XI en conclue : "Le premier milieu naturel et nécessaire de l'éducation est la famille, précisément destinée à cette fin par le Créateur. De règle donc, l'éducation la plus efficace et la plus durable sera celle qui sera reçue dans une famille chrétienne et bien ordonnée et bien disciplinée, et son efficacité sera d'autant plus grande qu'y brilleront plus clairement et plus constamment les bons exemples, surtout des parents, puis des autres membres de la famille."[4]

 

La famille et l’Etat

Maintenant, nous allons nous demander quel équilibre il convient d’atteindre dans l’éducation des enfants entre la famille et la société. Paul VI clarifie la question dans son encyclique gravissimum educationis :

 

« Les droit et devoir, premiers et inaliénables, d’éduquer leurs enfants reviennent aux parents. Ils doivent donc jouir d’une liberté véritable dans le choix de l’école. Les pouvoirs publics, dont le rôle est de protéger et de défendre les libertés des citoyens, doivent veiller à la justice distributive en répartissant l’aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d’une authentique liberté dans le choix de l’école de leurs enfants selon leur conscience.

 

« C’est encore le rôle de l’État de veiller à ce que tous les citoyens parviennent à participer véritablement à la culture et soient préparés comme il se doit à l’exercice des devoirs et des droits du citoyen. L’État doit donc garantir le droit des enfants à une éducation scolaire adéquate, […] et d’une façon générale développer l’ensemble du système scolaire sans perdre de vue le principe de subsidiarité, donc, en excluant n’importe quel monopole scolaire. Tout monopole de ce genre est, en effet, opposé aux droits innés de la personne humaine, au progrès et à la diffusion de la culture elle-même, à la concorde entre les citoyens, enfin au pluralisme qui est aujourd’hui la règle dans un grand nombre de sociétés. »[5]

 

Pour enfoncer le clou sur la question du monopole scolaire, voici un autre passage:

 

« Est injuste et illicite tout monopole de l'éducation et de l'enseignement qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants dans les écoles de l'Etat, contrairement aux obligations de la conscience chrétienne ou même à leurs légitimes préférences. […] tous ceux qui osent soutenir [...] Que l'Etat, sur l'éducation, a droit absolu, se mettent en contradiction ouverte avec le sens commun.»[6]

 

Autrement dit, la célèbre phrase de Danton: "les enfants appartiennent à la république avant d'appartenir à leurs parents"[7] est contraire au sens commun, au droit naturel et à la morale. Bien qu’on retrouve cette idée volontiers dans la bouche d’individus tels que Luc Ferry et dans l’esprit d’un très grand nombre, nous ne pouvons l’admettre. 

 

Cela signifie donc que "les parents ont le choix de l'école. Les maitres sont, par fonction, leurs délégués et ils doivent agir en collaboration avec eux. L'école ne saurait décharger les parents de toute leur responsabilité."[8] Cela ne signifie pas en revanche que le droit des parents à l'éducation de leurs enfants soit sans limites, car les parents sont tenus de mettre leur instruction et leur éducation en parfait accord avec la foi.[9]

 

Mettre l’éducation et l’instruction des enfants en rapport avec la foi, c’est en réalité éclairer cette éducation et cette instruction par notre foi, l’appuyer sur la sagesse de l’Eglise. Notre foi est un guide formidable, une tutelle pour l’intelligence. Lorsque nous entendons parler d’un programme d’enseignement "neutre" ou "objectif", il s'agit en réalité d’un programme qui s’appuie sur une certaine idéologie que les auteurs n'ont pas encore - ou qu'ils ne souhaitent pas réellement - identifier. Autrement dit, on ne peut considérer l’apprentissage sans implications morales. Le refus même de parler de morale est une morale (rappelez-vous de l'article sur la libre pensée).

 

Nous avons vu dans cet article la pédagogie si riche de Charlotte Mason, qui considère que chaque leçon doit s’appuyer sur la morale de manière explicite. C’est une évidence pour les leçons de philosophie ou d’histoire, mais cela doit aussi l’être pour les arts, la littérature, etc… Très exactement comme le propose Jean Daujat dans son livre La face interne de l’histoire, en fait.

 

Pour aller plus loin, le cardinal Newman explique que ce principe doit être poussé à fonds à travers la prise en compte de la métaphysique. Il donne l'exemple de la théologie, dont le déclin à l’université provoque l’égarement des enseignements de philosophie, et de la raison en général. Pie XI explique cela : 

 

« il n'est que trop clair que l'intention d'un grand nombre est de soustraire l'éducation à toute dépendance de la loi divine. Et ainsi voit-on de nos jours ce cas vraiment étrange d'éducateurs et de philosophes qui se fatiguent à la recherche d'un code moral universel d'éducation, comme si n'existaient ni le Décalogue, ni la loi évangélique, ni même cette loi naturelle que Dieu a gravée dans le cœur de l'homme, qui a été promulguée par la droite raison, et codifiée encore par Dieu lui-même, avec la Révélation positive, dans les dix Commandements. Ce sont encore ces novateurs qui ont coutume de donner par mépris à l'éducation chrétienne les noms de : "hétéronome", "passive", "arriérée", tout simplement parce qu'elle se fonde sur l'autorité et la loi de Dieu. »[10]

 

Je comptais vous proposer quelques exemples concrets comme l’évolutionnisme ou le freudisme, où la raison dévie au profit d’une idéologie qui ne dit pas son nom, mais ça sera pour une prochaine fois. En revanche, si vous souhaitez avoir des pistes pour une éducation authentiquement chrétienne des enfants, je vous propose le livre ci-dessous, rédigé par le cardinal Silvio Antoniano à la demande de saint Charles Borromée. Ce livre est recommandé aux parents directement (s’il vous plait) par le pape Pie XI dans son encyclique. Comme il coûte très cher et est assez rare, je vous propose un lien pour l’accès direct en ligne du livre ci-dessous.

 

Je vous conseille de consulter les chapitre LXXXVI et suivants (pages 268 à 295), qui portent sur l'éducation des enfants à la chasteté, c'est très instructif.

 

Bonne lecture, et à la semaine prochaine ! Nous nous pencherons sur l'économie et la financiarisation avec La Tour du Pin...


[1] D. Lallement, Principes catholiques d'action civique, DDB, 1935, p.142
[2] D. Lallement, op. cit, pp 142-143
[3] Code de droit canonique, 1113
[4] Pie XI, divini illius magistri.
[5] Paul VI, gravissimum educationis, §6
[6] Ibid, pp. 149-150
[7] H. Taine, les origines de la France contemporaine
[8] Ibid, pp. 144-145
[9] Ibid, p.146
[10] Pie XI, op. cit.

Transmettre l'amour

11/08/2021

Bonjour !

 

Aujourd’hui, en ce jour de la fête d’Arsène et de commémoration du casse du siècle de Spaggiari, je propose d’aborder le sujet de… la famille. Voilà. Parce que c’est chouette comme sujet, et puis que c’est quand même d’actualité. Si, si, vous allez voir.

 

Tout d’abord, un livre : transmettre l’amour, de Paul Lemoine. Paul est un pédiatre de compétition, 40 ans d’expérience et quand il parle des enfants, ça reste frais. C’est bon signe, ça quand c’est frais. Son idée est simple comme bonjour : L’objectif de l’éducation est de transmettre l’essentiel aux enfants. Et qu’est-ce qui est essentiel ? L’amour, tout simplement. Je vous l’avais dit, c’est simple.

 

Ce qui l’est moins, c’est la manière de faire. Il y a l’art, et puis il y a la réalité, et justement voilà ce qui est si important dans la famille (et dans la vie communautaire aussi d’ailleurs) : c’est qu’on n’évite pas la réalité, on ne peut pas vivre au gré de ses envies, on va forcément se heurter à l’autre, celui qu’on n’a pas choisi de côtoyer. Dans le bazar qui résulte de ce sac de frustrations, s’il n’y a pas d’ordre, ça va vite être la loi du plus fort. Ceux qui ont le pouvoir vont user de la violence pour contraindre les plus faibles. Comme dans la vie communautaire, sans hiérarchie c’est la foire d’empoigne.

 

Et justement je trouve l’approche de Paul Lemoine particulièrement intéressante en ce qui concerne le pouvoir. Dans la famille (au moins au départ), ce sont les parents qui détiennent le pouvoir sur l’enfant. La façon dont ceux-ci usent de leur pouvoir va donc être déterminante pour l’équilibre familial. On a vu dans un article précédent (la noblesse et l'efficacité de la morale chrétienne) avec l’exemple de la CGT que pour le monde, le pouvoir est celui de la lutte. On le reconnait chez celui qui a la capacité manifeste de contrôler à sa guise un événement, un système ou des personnes. Cela rejoint l’illusion liberté = absence de limites, et celui qui a le pouvoir est celui qui a le plus de liberté. 

 

Selon le monde. 

 

Au contraire, le Christ nous intime d’aller au-delà de cette violence, et de voir en l’amour un pouvoir plus grand encore. L’amour est ce qui transforme vraiment le monde, il insuffle la vie et l’unité. La force violente est ce qui rigidifie, paralyse, puis brise en dispersant les hommes. On ne peut pas appeler ça du développement, c’est de la destruction.

 

Vous allez me dire, on est un peu loin de la famille et du rôle des parents, n’est-ce pas ? Et bien le docteur Lemoine nous explique qu’au contraire, nous sommes réellement à l’épicentre du problème. Le pouvoir authentique est celui de faire miséricorde. Et quel meilleur endroit que la famille pour apprendre ça ? On s’empresse d’ajouter « ah oui mais justement, je fais hyper gaffe à ce que les enfants soient gentils ! ». Très bien, mais concrètement ? Il ne faut pas tourner autour du pot, quand on veut être concret il faut commencer par se regarder soi-même. Il faut se demander comment nous usons du pouvoir que nous avons sur nos proches. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de l’objectif, mais aussi et surtout des moyens qu’on emploie pour y arriver.

 

On peut penser que le pouvoir c’est celui de rendre la justice, autrement dit de donner à chacun selon son dû. Mais pouvons-nous vraiment dispenser de notre propre autorité la justice ? Jésus nous pose la question dans saint Jean (8, 1-10), quand face à la femme adultère il nous dit, « ok, son péché est manifeste. Et toi, tu veux l’accuser ? mais au fait, en quel honneur te fais-tu juge ? Quel est ton droit ? » ça calme. Attention, Lemoine ne nous dit pas du tout de mettre de côté la justice, mais au contraire se rappeler que c’est de Dieu que nous tenons cet honneur, ce qui en fait bien plus une responsabilité qu’un privilège. Et ce n’est pas du tout la même chose de juger par nécessité en se sachant indigne, que de s’arroger toute puissance sur ces faibles que sont les enfants. Première sommation à l’amour.

 

Deuxième sommation, qui paraît évidente mais qui ne l’est pas tant que ça : l’enfant doit apprendre à aimer. Ici j’ai redécouvert grâce à l’auteur que l’enfant n’est pas capable d’aimer comme nous. Autrement dit, rien ne sert de fixer la barre au-delà de ses capacités, il va forcément être égoïste jusqu’à un certain stade. Et je découvre alors que la même question revient : si je fixe la barre si haut, est-ce par principe moral ou afin de préserver mon confort, de ne pas m’essouffler à m’abaisser ?

 

Bref, grâce à son expérience de 40 ans de pédiatrie (couplée à celle de père de 11 enfants), Paul Lemoine donne dans ce livre des pistes très concrètes pour aider les adultes à comprendre ce qu’on peut demander à l’enfant et ce qu’on ne peut pas lui demander selon son âge en terme d’alimentation, de besoins affectifs et intellectuels, de propreté etc… La morale c’est que la nature est bien faite, et qu’il faut savoir choisir son combat. La plupart du temps les parents s’inquiètent plus ou moins consciemment de ce que leur enfant ne sera pas dans la moyenne s’ils rabaissent leurs exigences. On a sa dignité tout de même. Que vont dire les autres, que vont-ils penser de nous ?

 

Il leur est rappelé que la seule exigence qui vaille c’est l’amour, qui ordonne tout le reste - pour peu qu’on se donne la peine de comprendre l’enfant. La vraie lutte à mener sera contre les habitudes, les manies et la velléité de puissance de l’éducateur. Cela rejoint ce que dit le cardinal Raniero Cantalamessa dans son excellent livre Aimer autrement: le vrai maître est celui qui est d’abord préoccupé de servir. Enfin ça Jésus nous le dit très bien aussi (Matthieu 23, 11-12). De façon très concrète, il faut mourir à soi-même car nos exigences tiennent bien plus souvent à notre amour-propre qu’à la vraie charité. Le comprendre est troublant, le mettre en pratique est déchirant, mais le jeu en vaut la chandelle.

 

Ceci étant, je suis légèrement mitigé sur la seconde partie du livre du docteur Lemoine dans laquelle il évoque l’éducation affective et sexuelle ainsi que des notions d’éducation religieuse. Il reste de bonne intention mais s’éloigne un peu de son domaine de compétence. Je pense qu’il a tout à fait le droit d’aborder ces domaines, mais il donne davantage l’impression de s’épancher spontanément que de s’appuyer sur le dogme et la sagesse de l’Eglise. Même s’il ne s’en éloigne pas vraiment, son argumentation repose davantage sur le sentiment que sur la raison, ce qui n’est pas prudent. Par exemple, il semble faire du péché originel quelque chose que les parents risquent de transmettre à leur enfant s’ils ne font pas attention. C’est omettre que les enfants n’ont pas l’immaculée conception, et que leur développement normal est forcément faussé puisqu’ils sont atteints du péché originel. Quelle que soit l’éducation, ils auront besoin de la grâce rédemptrice pour grandir en charité, même si la posture des parents favorise grandement l’accueil de la grâce. 

 

En ce qui concerne l’éducation affective et sexuelle, il préconise en général aux parents de faire comme si de rien n’était quand l’enfant « s’explore » pour ne pas mélanger sexualité et culpabilité. Or j’ai découvert avec l’école belge de psychologie combien il est important que le parent s’autorise à être spontané dans ces questions-là et qu’il ne cache pas sa gêne éventuelle, sans quoi l’enfant saisira mal l’intérêt de la pudeur et de l’intimité.

 

Malgré tout, le docteur Lemoine a raison quand il questionne les habitudes éducatives des parents au lieu de les laisser reporter leur inconséquence sur leurs enfants. Qui prétendrait n’avoir jamais confondu autorité et confort personnel face à un plus faible ?

 

Pas de panique, au-delà de tous nos déboires familiaux soyons assurés que la famille, c’est sacré. Tant qu’une famille reste unie le principal est fait, et nous risquons fort d’admirer de plus en plus la manière de faire de nos parents au fur et à mesure que nos propres familles s’agrandissent… D’ailleurs selon Goethe, « on devient adulte quand on a pardonné à ses parents ».

 

Et justement, ce mail n’étant pas assez long à mon goût, cela fait une bonne transition pour vous présenter un projet créé pour protéger les familles, à travers le soutien aux couples: familya. L’idée c’est de montrer qu’en préservant l’unité du couple, on gagne gros. C’est du langage économique, pour mieux s’adresser aux organes politiques. Derrière tout ça, c’est plus joli : l’initiative est en lien avec les maisons des familles, lieux où les parents déboussolés et les couples en difficulté trouvent de l’aide. Elles naissent un peu partout depuis quelques années, vous en avez peut-être même une près de chez vous ! 

 

Bonne semaine, et bonnes vacances pour ceux qui en ont !

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