convertir son quotidien
La psychologie, c'est l'étude des épaisseurs qui recouvrent nos cœurs. Un squelette en fin de compte plutôt simple, mais entouré de tissus poisseux, mélange de crasses que saint Ignace appelle notre "humanerie" qui s'agglutinent au fil des ans si on n'a pas appris à ordonner tout ça aux battements de notre cœur.
Je vais tenter ici d'éviter la psychologie qu'on trouve dans psychologie magazine, celle qu'on avale comme trois paquets de marshmallow pour se forcer à mettre son nombril au centre du monde. Le but va être de parler de l'homme, mais en ayant toujours pour azimut l'Homme Nouveau.
C'est parti.
08/01/2023
Bonjour !
Aujourd’hui, accrochez-vous : on va parler de psychanalyse ! Pour ça il nous faut de bons repères. Nous allons donc nous appuyer de tout notre poids sur le travail capital du philosophe thomiste Roland Dalbiez. Ce monsieur, encouragé par Maritain, a publié en 1947 une thèse en deux tomes unique en son genre : La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne. Dans cet ouvrage, le philosophe effectue une opération chirurgicale digne d’un virtuose, en séparant ce qui tient la route dans la psychanalyse de Freud, et ce qui relève de l’insanité du docteur viennois. Comme la plupart des plus importantes publications du XXème siècle, ce travail a été méticuleusement passé sous silence par le monde scientifique. Pour vous dire, les deux tomes que j’ai reçus étaient encore non coupés.
C’est l’occasion d’un petit aparté : saviez-vous que jusqu’aux années 70 environ, beaucoup de livres étaient vendus non coupés ? Cela veut dire que vous sortez joyeusement le livre de son écrin de carton emberlificoté de chatterton, vous l’ouvrez et vous vous rendez compte que toutes les deux pages environs il est impossible d’accéder au texte parce que les deux feuillets se présentent comme une seule page, pliée à l’envers. En fait il parait qu’avant les livres de poche, les vendeurs partaient du principe que si l’acquéreur achetait un livre broché c’était pour le confier ensuite à un relieur, qui bénéficierait de la marge laissée par l’absence de découpe du livre pour faire sa reliure. C’est d’ailleurs pour ça que les coupe-papiers ont eu autant de succès dans les années 50.
N’étant pas crésus, je n’ai pas sollicité de relieur… J’en ai été quitte pour lire mon livre un cran d’arrêt à la main, et trancher une à une les pages non coupées. Je n’ai jamais été si tranquille dans le train ! D’un autre côté, je me suis rendu compte que le livre avait attendu 75 ans avant d’être lu par quelqu’un. Ça donne un côté un peu solennel que n’effaçait pas totalement le cran d’arrêt…
Bref, revenons à nos moutons. Pour commencer, je vous propose d’essayer de cerner la raison pour laquelle la psychanalyse a une place si particulière parmi les autres courants de la psychologie. Ensuite, on verra les risques que ça implique, puis l’intérêt de cette science. Enfin, on parlera de l’utilité du travail de monsieur Dalbiez pour la psychanalyse.
On ne va pas y aller par quatre chemins : la psychanalyse, c’est bizarre. Il y a quelque chose à la fois d’étrange, peut-être fascinant, et de certainement dangereux dans ce domaine. D’aucuns diraient même que cette science a tendance à corrompre les esprits, comme si elle contenait quelque chose de corrosif... D’ailleurs on peut lire dans l’ouvrage de monsieur Dalbiez que « La thérapie freudienne […] n’a d’autre ambition que de détruire. »[1]
Voilà qui donne le ton. Pour savoir ce que l’auteur veut dire par là, il faut bien comprendre le rôle de la psychanalyse. Monsieur Dalbiez propose, dans ce but, de diviser en deux grands groupes les façons de venir en aide aux personnes qui souffrent : d’un côté les méthodes qui construisent (qui procèdent par synthèse), et de l’autre les méthodes qui détruisent (qui procèdent par analyse).
Pour aider quelqu’un qui est atteint d’un trouble, on a en effet deux possibilités : soit on développe les tendances utiles, tournées vers la construction de l’avenir, soit on cherche à dissoudre les causes de trouble, en liquidant le passé. Pas tout le passé, hein ! Je vous rassure : juste certains complexes qui enferment l’esprit dans des automatismes embêtants.
Synthèse
Dans la catégorie « synthèse », on trouve trois leviers d’action :
1. La volonté
La volonté, bien sûr, est le niveau d’action le plus évident. En suivant volontairement les principes de la morale naturelle, l’esprit de l’homme grandit en force et en équilibre. La logothérapie de Viktor Frankle, qui amène le patient à découvrir le sens de sa vie pour dépasser ses difficultés, est un exemple thérapeutique s’appuyant sur ce levier. De façon plus vaste, toute forme d’influence éducative et morale entre dans ce domaine. Ici l’homme est plutôt libre (en tous cas il est volontaire), et c’est par la raison qu’il déploie sa liberté. Pour Roland Dalbiez, ce domaine ne relève pas de la psychothérapie car le thérapeute, comme un mécanicien qui répare une machine, ne doit pas se soucier de savoir où se rendra la machine en question - son rôle est juste de la réparer. Autrement dit, il aurait refusé de considérer la logothérapie comme une thérapie. Il l’aurait plutôt considéré comme une philosophie pratique.[2]
2. L’affectivité
L’affectivité est un puissant moteur d’amélioration psychique. Certains patients guérissent de leurs petits troubles uniquement grâce à la présence bienveillante et à la disponibilité du thérapeute. Ça fait le gagne-pain des calinothérapies, ou de la psychologie positive. C’est l’avantage de la psycho : le thérapeute a beau être nul, s’il est gentil ça peut suffire à soigner certains patients. C’est l’occasion de remarquer qu’il arrive parfois que la personne connaisse ses difficultés et ce qu’elle doit faire pour se sortir de là, mais se trouve empêchée parce qu’elle n’a pas suffisamment de ressources affectives, d’énergie pour franchir le pas. L’homme est un animal social, faut pas l’oublier. Un peu besoin d’amour dans ce monde de brutes, ça fait pas de mal.
3. La suggestion
La suggestion, c’est ce qui arrive quand l’attention d’un individu est captée par quelque chose d’extérieur, au point que cet individu n’a presque plus conscience de lui-même. Lorsque l’individu en question est dans un tel état il n’a quasiment plus de contenance, il est désinhibé et baisse ses remparts, il est influençable au maximum. C’est un peu l’état mental dans lequel se trouvent certaines personnes qui sont sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, ou encore les personnes qui sont dans un demi-sommeil. Le terme d’emprise est révélateur ici, car on peut être tout aussi bien sous l’emprise de quelqu’un que sous l’emprise de l’alcool, au point de n’avoir plus de volonté propre. Maurice Leblanc connait bien ce mécanisme psychique, que son héros Arsène Lupin ne cesse d’utiliser sur toutes sortes de personnes.
Concrètement, la suggestion désigne le fait que dans certaines situations on peut amener un individu à faire sans qu’il s’en aperçoive et sans qu’il le veuille spécialement quelque chose qu’il avait en tête, comme d’arrêter de fumer. C’est un levier beaucoup utilisé par Freud à ses débuts en thérapie, mais qui pose l’inconvénient de ne s’adresser qu’à une partie de l’esprit du malade. Or, on ne peut soigner complètement l’esprit d’un homme en mettant de côté sa conscience. Petite remarque : dans la vie courante les femmes semblent davantage sujettes à la suggestion que les hommes. Cela est probablement dû à leur affectivité, naturellement plus sophistiquée que celle de l’homme. Cela dit, si la suggestion est plus facile chez la femme, il semble que lorsqu’elle fonctionne avec l’homme ce ne soit pas à moitié.
Voilà pour la catégorie « synthèse », celle où on cherche à développer dans la personne des tendances utiles. Passons maintenant à la catégorie « analyse », qui pour le coup n’a qu’un levier[3] : la psychanalyse.
La psychanalyse
La psychanalyse consiste à trouver les résistances affectives qui sont à l’origine des difficultés rencontrées par le patient dans sa vie quotidienne, et à les détruire par la prise de conscience. D’où « l’ambition unique » de la psychanalyse, qui est de « détruire ». Au passage, remarquez que cette thérapie repose sur une idée capitale : il suffit au patient de se rendre compte du problème pour que celui-ci se désintègre. Autrement dit, lorsque que le patient a fait consciemment le lien entre ses problèmes et les épisodes de son histoire personnelle qui en sont à l’origine, ses symptômes ont toutes les chances de s’évaporer, un peu comme une plaie qui ne peut cicatriser correctement parce qu’elle n’a pas été bien lavée : après avoir été soignée, c’est le corps lui-même qui se répare tout seul. Attention : il faut avoir pris conscience du problème en tant que problème à l’origine des troubles actuels pour que ce problème s’efface. Certains patients ont parfois conscience d’un événement traumatique, mais le lien entre cet événement et leur symptôme ne s’impose pas à eux. Tant qu’ils n’ont pas réalisé ce lien, ils ne peuvent guérir. Ou bien ils guériront superficiellement. Parfois le thérapeute tente vainement de faire une relecture au patient, et ce n’est qu’après un certain temps que celui-ci finit par l’admettre. Il y a aussi des patients qui ne semblent pas capables de se rendre compte du problème : ce sont les patients psychotiques. Voilà pourquoi la cure psychanalytique ne peut pas aider ce genre de patient.
Le patient va donc être amené à livrer ses pensées au psychanalyste. Mais il ne s’agit pas d’une recherche consciente et volontaire, d’une sorte de brainstorming animé par l’analyste, parce que le monde des émotions et des pulsions n’est pas un monde rationnel, c’est un monde qui obéit à la logique du désir. Il faut donc que le patient se laisse guider par ses émotions. Pour l’aider à faire ça, Freud a trouvé la technique idéale : l’association-libre.
L’association-libre, c’est le train de la pensée du côté de l’affect : le train des émotions. Nous avons deux façons d’associer les informations entre elles : par un biais rationnel, ou par un biais émotionnel. Le lien rationnel est nécessairement volontaire, c’est un travail d’interconnexion logique, de classement et de catégorisation grâce auquel l’individu développe sa connaissance et sa compréhension des choses et de lui-même. Le lien émotionnel est spontané, instinctif, parfois absurde. Il n’est pas dénué de toute logique – ce qui serait impossible – mais il s’agit d’une logique subjective, un peu comme la logique d’un enfant qui n’a aucun mal à mettre dans le même panier une chaussure et une voiture, sous prétexte que les deux objets sont rouges.
Le danger de la psychanalyse
Pourquoi entrer dans ce monde imaginaire peuplé de symboles et d’émotions ? C’est ici l’une des principales objections contre la psychanalyse : le jardin secret du patient est un royaume de subjectivité. Si l’on prétend en franchir le seuil avec lui on risque de perdre tout repère. Plus encore, ce jardin est un domaine intime, nourri par le cœur du patient. Celui qui y pénètre risque de violer un territoire sacré, dont la frontière avec la vie intérieure est rarement claire. Pour ces raisons, l’analyse thérapeutique est un acte grave et périlleux où le patient remet son esprit entre les mains de l’analyste.
Très tôt, Bernanos a senti la menace que représente cette science. Dans son roman la joie dont on a déjà parlé ici, il provoque la rencontre entre son héroïne, Chantal, une âme limpide, alliage édifiant de maturité et de simplicité, et le célèbre docteur Lapérouse, intellectuel tortueux et féru de psychanalyse. Quand Chantal constate que le docteur fait mine de l’analyser, elle braque sa lumière sur les stratagèmes du médecin :
« Aujourd’hui, vous en êtes encore à tâcher de surprendre un fait caractéristique, n’importe quoi qui vous permette de me classer. Je vous vois tendre de ces pauvres petits pièges innocents, avec la candeur du bonhomme entomologiste qui mettra vingt fois de suite sur le dos un malheureux scarabée. Il s’agit de savoir d’où je viens, où je vais... […] Supposez qu’il me plaise de rester là, moi, et de n’aller nulle part ? Je suis née pour vivre au jour le jour, comme un vieux corbeau sous la neige, qui lisse ses plumes et attend le printemps. Oui, un vieux corbeau ! Ne me croyez pas tellement jeune... Je voudrais que vous ne vous affoliez pas plus que moi ; je perds rarement la tête, j’appartiens à une espèce très commune, très résistante, mûre avant l’âge, qui prend le bon de l’air en toute saison. […] Il y a très peu de choses dans ma vie, entendez-vous ! Elle ressemble à une chambre d’étudiante, – le lit, la table, les deux chaises, – je puis la tenir propre et claire... De quel droit en ferait-on un bric-à-brac, un de ces magasins de curiosités que je déteste ? Hé bien, je fermerai ma porte, voilà tout... On devra dire son nom, son vrai nom, montrer son visage... Désormais, n’entrera pas qui voudra. »[4].
La réponse de Chantal aux avances du médecin est particulièrement édifiante. Elle clame son droit de n’être pas décortiquée, elle exprime l’importance de la simplicité. C’est véritablement, semble-t-il, la réponse du pauvre et du petit aux sages et aux savants (Mt 11, 25-27). Mais qui défendra la sobriété des humbles ? A l’heure où l’on provoque sans cesse la curiosité des gens, où l’on sature jusqu’à la nausée l’attention jusqu’à créer des hordes d’hyperactifs incapables de supporter le moindre silence ? Le pape Pie XII nous avait averti sur les dangers de la curiosité, en particulier du côté des complexes sexuels. Voici l’extrait de l’un de ses discours, adressé aux savants de son temps :
«…Pour se délivrer de refoulements, d'inhibitions, de complexes psychiques, l'homme n'est pas libre de réveiller en lui, à des fins thérapeutiques, tous et chacun de ces appétits de la sphère sexuelle, qui s'agitent ou se sont agités en son être, et roulent leurs flots impurs dans son inconscient ou son subconscient. Il ne peut en faire l'objet de ses représentations et de ses désirs pleinement conscients, avec tous les ébranlements et les répercussions qu'entraîne un tel procédé. Pour l'homme et le chrétien existe une loi d'intégrité et de pureté personnelle, d'estime personnelle de soi, qui interdit de se plonger aussi totalement dans le monde des représentations et des tendances sexuelles. L'« intérêt médical et psychothérapeutique du patient » trouve ici une limite morale. Il n'est pas prouvé, il est même inexact, que la méthode pansexuelle d'une certaine école de psychanalyse soit une partie intégrante indispensable de toute psychothérapie sérieuse et digne de ce nom ; que le fait d'avoir dans le passé négligé cette méthode ait causé de graves dommages psychiques, des erreurs dans la doctrine et dans les applications en éducation, en psychothérapie et non moins encore dans la pastorale; qu'il soit urgent de combler cette lacune, et d'initier tous ceux, qui s'occupent de questions psychiques, aux idées directrices, et même, s'il le faut, au maniement pratique de cette technique de la sexualité. »[5]
On pourrait faire le lien ici avec la réflexion suivante du cardinal Antoniano, dans son traité d’éducation :
« Notre misère est si grande, nous avons une telle inclination au péché, que les discours même destinés à le combattre n'ont souvent d'autre résultat que de le faire naître ou de l'exciter. En traitant avec ses enfants d'un sujet si scabreux [la chasteté, ndlr], le père de famille aura le plus grand soin de ne pas entrer dans trop de détails, et de ne pas montrer comment l'hydre infernale de l'impureté communique son venin à la plupart des hommes. Les prédicateurs, les confesseurs, ne sauraient non plus être trop circonspects sur ce point. »[6]
Roland Dalbiez, pour sa part, réfute le pan-sexualisme de la psychanalyse, la thèse selon laquelle Freud rapporterait tout au sexuel. Ceci étant, à partir du moment où Freud affirme qu’il peut y avoir des « émotions sexuelles » distinctes des sensations génitales[7], il généralise la sexualité à une grande majorité de liens sociaux et apporte tout de même une sacré confusion, ce qui n’est pas pour encourager la préservation de la pudeur en psychanalyse.
Au-delà de la question de l’impudicité sexuelle, et il me semble que Bernanos avait bien vu ce point, la psychanalyse excite ce que saint Jean appelait la convoitise des yeux : l’« appétit déréglé et sans frein de la possession des choses extérieures »[8] ; ce que Chantal critique si bien chez le docteur Lapérouse. L’attitude de certains psychanalystes se rapproche en effet dangereusement d’un voyeurisme maquillé par les atours abscons d’une technique érigée en art hermétique.
Dès lors, pourquoi s’intéresser à la psychanalyse ?
L’intérêt de la psychanalyse
Parce que, comme on l’a dit, la psychanalyse est une science unique, qui permet lorsqu’elle est bien menée – ce qui, j’en conviens, est assez rare – de comprendre et de venir en aide à des patients qui sans ça seraient condamnés, relégués au rang de débiles mentaux incurables. Dans beaucoup de situations, la psychanalyse permet d’échapper à des diagnostics médicaux qui semblaient de prime abord sans appel. Quand on voit le poids colossal de la médecine « classique » et de la science rationnelle dans le traitement de la souffrance en général, on se dit qu’une petite soupape d’humanité est toujours bonne à prendre.
De fait, la psychanalyse s’est érigée dès son origine en butte à l’excessive rationalité du domaine médical. Le concept d’inconscient représente à cet égard un refus de limiter l’esprit humain. Cette posture est à double tranchant, car si elle permet de pointer les limites de la rationalisation abusive de l’homme en montrant qu’il y a plus en lui que de la chair et des os, elle relègue néanmoins la vie intérieure à une lubie superficielle, n’offrant pour tout horizon à l’âme qu’un territoire sauvage, peuplé d’ombres et de pulsions. Pour reprendre la citation du père Marie-Dominique Molinié que nous avons mentionné dans l’article Le psychique et le spirituel : « En psychanalyse, on ne contredit jamais rien, on explique tout, et on l'explique par des mécanismes inconscients : que voulez-vous répondre à cela ? »[9]
La psychanalyse a donc réponse à tout. Il suffit de fréquenter des psychanalystes purs et durs, vous comprendrez vite de quoi je parle. Impossible de les faire taire, et si leur verve fait parfois mouche, reconnaissons que souvent elle ressemble davantage à de la poésie ou de la philosophie de bas étage qu’à autre chose. Mais c’est là que Roland Dalbiez entre en scène. Et son exposé est tout simplement un chef d’œuvre de clarté, de discernement et de raison.
L’intérêt de l’ouvrage La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne
Bon, je ne vais pas vous cacher qu’il s’agit d’un ouvrage spécialisé. Je me permets tout de même de le mentionner parce qu’il m’a été très utile, et qu’il serait vraiment dommage de le laisser tomber dans l’oubli. Si vous avez affaire à la psychanalyse, si vous êtes en formation ou si le sujet vous passionne, il faut absolument que vous vous penchiez sur ce travail.
Dans son ouvrage, monsieur Dalbiez présente la psychanalyse de Freud. Mais attention, il ne la présente pas à la façon d’un écolier ou d’un bloggeur, en répétant sans réfléchir les élucubrations du maître. La présentation de la psychanalyse qu’il propose est objective, plus objective que Freud lui-même. C’est l’un des apports les plus importants de l’auteur que de distinguer la psychanalyse de la doctrine freudienne. Il faut entendre ici doctrine dans un sens péjoratif, c’est-à-dire que la doctrine freudienne désigne pour l’auteur tout cet imbroglio sulfureux de pseudo-philosophie qui environne et pollue l’apport que représente la psychanalyse pour la science.
De fait, Freud se targuait de n’avoir jamais fait de philosophie. Se croyant très malin et au-dessus de tout ça, il n’a en réalité, à cause de son manque de formation dans le domaine, fait que contaminer ses trouvailles de valeur avec des élucubrations prétentieuses et farfelues. Patiemment, minutieusement, Roland Dalbiez s’efforce de rattacher la psychanalyse à la réalité. Il s’enfonce dans les théories les plus obscures pour en tirer des perles, et étaye chaque étape de sa présentation par des commentaires de philosophie. Au fil de la lecture, on a l’impression qu’un socle indestructible se forme, que la fumée s’évapore et que tout devient clair. Ça n’a l’air de rien, mais quand vous avez passé six ans à l’université à baigner dans cette ambiance trouble sans parvenir réellement à distinguer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas dans l’enseignement de professeurs dévots au grand Lacan, des professeurs capables de passer quatre heures entières à faire l’exégèse d’une parole que leur maitre a lâché entre la poire et le fromage, je peux vous dire que l’exposé de monsieur Dalbiez fait l’effet d’une révélation. Nous n’étions pas fous, tout compte fait !
L’un des éclairages les plus édifiants que l’auteur jette sur l’empirisme freudien tourne autour de la notion du libre-arbitre : selon Freud, la volonté de l’homme est complètement réduite au désir sensible prédominant[10], ce qui amène Roland Dalbiez à constater : « Il n’est pas de faculté psychique qui soit plus maltraitée dans l’œuvre de Freud que la volonté »[11]. Par une démonstration on ne peut plus claire, l’auteur montre que Freud - et beaucoup de psychanalystes après lui – contourne avec dédain les notions de morale, de volonté, et de religion sans jamais vraiment les considérer en elles-mêmes. Vous noterez au passage que l’on retrouve une nouvelle fois la tendance du sensualisme à travers le refus des définitions au profit de l’expérience sensible immédiate.
En fait, plus on avance dans la lecture de la thèse de monsieur Dalbiez, et plus on réalise que sa critique du freudisme se transpose sans aucune difficulté au relativisme moderne. L’argumentation rigoureuse de l’auteur est un appel au bon sens, à la simplicité et à la sobriété. C’est la réponse exacte aux accusations de Canguilhem que nous avions évoquées dans l’article Le psychique et le spirituel, la bannière que les chrétiens attendaient dans ce domaine si périlleux de la psychologie. Il faut imaginer l’aura invraisemblable des maîtres de la psychanalyse, il faut voir quelle dévotion tant de gens vouent encore à ces gourous pour comprendre à quel point nous avons besoin de remettre les pieds sur terre dans ce domaine.
Mais personne n’a lu monsieur Dalbiez. Selon Agnès Desmazières[12], presque la totalité des catholiques s’intéressant à la psychanalyse vont prendre pour maitre Lacan à partir de 1963. Pourquoi donc ?
Il semble que Dalbiez se soit positionné, pour réaliser sa thèse, au milieu d’un carrefour de courants philosophiques, scientifiques et cliniques et que son refus de suivre le mouvement dans un sens ou dans l’autre l’ait isolé, ce qui a nui à la diffusion de son travail. J’ai déniché un morceau de conférence de Lacan dans laquelle le grand maître évoque la thèse de Dalbiez avec un dédain insupportable, sans même avoir la décence d’expliquer son mépris.
La vanité et la condescendance dont fait preuve Lacan vis-à-vis de Dalbiez sont très exactement la raison pour laquelle il nous faut travailler, fouiller, fouiner sans relâche pour décrotter la vérité du vernis de la mode et des convenances. On retrouve d’une certaine façon la confrontation entre Chantal et le docteur Lapérouse, ce combat de David contre Goliath, le choix courageux de la simplicité et de la vérité contre la gloire mondaine.
Bref, je ne vous en dis pas plus : si le sujet vous intéresse, achetez la thèse ! Faites vivre ces mots qui vous attendent désespérément dans l’obscurité d’un carton, poursuivez l’œuvre méconnue d’un philosophe courageux. Et partagez vos découvertes !
Lisez, méditez, agissez , et bonne année les amis !
[1] R. Dalbiez, La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne, Bibliothèque psychiatrique de langue française, DDB & Cie, tome 1, 1947, p. 247
[2] L’une des seules critiques valables - à mon humble avis – qu’on peut faire à monsieur Dalbiez concerne son refus de mêler la morale avec la thérapie.
[3] A l’époque de monsieur Dalbiez, il n’y avait qu’un levier dans ce domaine. Il serait intéressant de creuser du côté de l’EMDR, de l’ICV et de la « pleine conscience » pour discerner ce qui relève de l’analyse et de la synthèse dans ces méthodes qui se disent « innovantes ». Je ne m’attarde pas sur le sujet parce qu’à priori tout ce qui tient de près ou de loin à l’analyse semble avoir un lien (avoué ou non) avec la psychanalyse.
[4] Georges Bernanos, La joie, pp. 293-295
[5] Discours du pape Pie XII aux participants au congrès international d'histopathologie du système nerveux, dimanche 14 septembre 1952. C’est bibi qui a souligné.
[6] Silvio Antoniano, Traité de l'éducation chrétienne des enfants, éditions Troyes-Guignard, 1856, p.272.
[7] R. Dalbiez, Ibid, tome 1, p 258.
[8] Jean Daujat, psychologie contemporaine et pensée chrétienne, Pierre Téqui, 1996. p. 254
[9] Fr. M-D Molinié, lettre aux amis n°12 (noël 1971) p.4
[10] R. Dalbiez, Ibid, tome 2 p. 67
[11] R. Dalbiez, Ibid, tome 2 p. 334
[12] Agnès Desmazières, L’Inconscient au paradis. Comment les catholiques ont reçu la psychanalyse. Payot, 2011.
18/09/2022
Bonjour !
Aujourd’hui, nous persistons et signons la suite d’articles sur la caractérologie. Nous avions commencé par cet article en décrivant l’articulation de l’émotivité, l’activité et le retentissement des représentations qui forment à eux trois les piliers de l’école de caractérologie classique. Nous avons ensuite parlé ici du nerveux et du sentimental, deux caractères délicats. Ensuite, nous avons abordé dans cet article le colérique et le passionné, les deux caractères les plus intenses. Il y a deux semaine, nous avons évoqué le sanguin et l’amorphe dans cet article, et aujourd’hui c’est le tour du flegmatique et de l’apathique.
Je sais bien qu’à lire deux termes pareils votre curiosité doit vous tomber dans les chaussettes, mais vous risquez d’être surpris…
Le flegmatique
Le flegmatique est Non émotif, Actif, Secondaire. Vous pouvez déjà constater que le terme parait peu approprié : pourquoi appeler un caractère « flegmatique » s’il a une activité supérieure à la moyenne ?
Peut-être que l’absence d’émotivité couplée à la secondarité donne l’impression que ce caractère est paresseux. Un peu comme un hobbit du Seigneur des Anneaux, le flegmatique ne cherche pas le mouvement mais fait ce qui doit être fait. Le couple non émotif/actif est très intéressant, pour reprendre l’image du tracteur il faut voir un bon moteur, bien huilé mais qui a peu de carburant. Ou plutôt un carburant peu réactif.
Si on ajoute à ces ingrédients la secondarité, cela donne une puissance d’action peu ordinaire, parce que sans éruption (à cause de la non émotivité) : l’inertie est monumentale, l’acte est précis et sans effusion, il atteint presque toujours son but. Par contre cela donne au flegmatique une certaine lenteur. Il prend son temps pour faire les choses mais il les fait bien, jusqu’au bout.
Le flegmatique est le caractère le plus objectif de tous, avant même le passionné dont l’émotivité peut affecter le jugement. Aux antipodes du nerveux, le flegmatique ne se laisse pas confondre par les événements. En fait, il n’est presque pas concerné par ceux-ci. Pensons à Kant, dont la régularité dans la promenade quotidienne est légendaire.
D’ailleurs, l’exemple de Kant en tant que flegmatique est intéressant : sa philosophie est un trésor de minutie, un exposé de méthode impressionnant. Mais on s’aperçoit que la méthode, la rigueur, la précision des notions dont il fait preuve sont d’une grande froideur. La Vérité, pour Kant, domine l’Amour et l’écrase. Tout est soumis au principe de causalité, tout doit s’y réduire de gré ou de force et si l’amour existe, c’est forcément pour une raison, il ne peut pas exister pour lui-même. Le mystère de l’aséité divine est, ainsi, particulièrement brutal pour le flegmatique.
On comprend par ce biais que l’objectivité ne fait pas tout dans la recherche de la Vérité. Souvenez-vous des dérives de l’idéalisme, cette idéologie qui néglige le matériel comme s’il s’opposait au spirituel. L’objectivité dont fait naturellement preuve le flegmatique n’est qu’une vérité en négatif, ce qu’on pourrait appeler une vérité mathématique. C’est très froid, il manque quelque chose. Avec une vérité mathématique, on parvient à un classement quantitatif des choses mais on ne peut pas accéder à la qualité. On reste dans un tableau en noir et blanc, sans couleur.
Nous avions parlé à propos du nerveux d’un éclair de lucidité qui apparait de temps à autre, d’une espèce de vision instinctive d’un pan de la réalité. Cet éclair est fugace, c’est celui des poètes et il révèle quelque chose de la réalité que le flegmatique ne parvient pas spontanément à saisir, tout comme le nerveux est incapable d’admettre l’objectivité du flegmatique.
Cet éclair, c’est pourtant la vie elle-même : il contient d’une certaine façon tout ce qu’il y a de fou dans le monde, toute notre humanité. En fait, il semble que l’inactivité et l’émotivité du nerveux éclairent la primarité dans toute sa splendeur, qu’elles lui donnent tout son relief tandis que l’activité et l’inémotivité du flegmatique montrent jusqu’où peut aller la secondarité. Si deux caractères sont incapables de se comprendre spontanément, ce sont bien ces deux-là.
La grande vertu du flegmatique est donc surtout un manque. Qu’on pense à l’introduction du personnage de Claude Batignol dans le film Le Prénom :
« Claude Gatignol, premier Trombone de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Balance ascendant balance, Claude est à l’image de son signe astrologique, d’une douce humeur toujours égale... Un homme discret, donc, à l'humour feutré, qu'on peut plus facilement décrire par soustraction. Claude n'est pas coléreux, il n'est pas fantasque, il n'est pas malhonnête. Il n'est pas, en quelque sorte. »
En tant que secondaire, et contrairement aux primaires, le flegmatique se repose dans le calme et le lien social lui demande un effort. Il a besoin de réfléchir aux choses avant de les vivre, et une fois qu’elles sont passées il a besoin de revenir dessus pour comprendre. Mais l’attachement du flegmatique aux événements ne doit pas être confondu avec la mélancolie du sentimental : le flegmatique n’est pas spécialement inquiet, il n’analyse pas les choses pour se lamenter sur la vanité de l’existence mais pour les classer soigneusement.
Les éducateurs identifient deux sortes de flegmatiques : les flegmatiques qui gardent une certaine curiosité, une certaine souplesse et qui reconnaissent l’importance d’être en relation avec les autres ; et les flegmatiques plus rigides, plus fermés et plus focalisés. La différence entre les deux se perçoit au niveau des marottes. Si les rituels dont est friand le flegmatique n’ont pas d’autre logique que le fait de le rassurer, alors on a un flegmatique rigide. Par exemple, un flegmatique qui lave ses chaussettes toutes les semaines à la même heure, c’est plutôt normal pour un flegmatique. Mais lorsque les chaussettes en question n’ont pas été utilisées de la semaine, qu’elles sont restées dans un placard et non pas servi du tout, si à ce moment-là le flegmatique les prend quand même pour les laver, on peut considérer que le flegmatique est plutôt fermé.
Mais même les flegmatiques les plus fermés ne sont pas des automates, il leur arrive à l’occasion de sortir d’eux-mêmes pour goûter un peu de compagnie, comme s’ils avaient conscience de leur solitude. Dans l’atmosphère d’une soirée entre amis, ils se réchauffent et peuvent montrer une animation qui va surprendre les convives. C’est rare, pour les plus fermés ça peut arriver peut-être trois fois par an, mais cela en dit long.
Voilà pourquoi il est essentiel d’apprendre au flegmatique à se sociabiliser. Le fait de travailler en équipe ne lui sera d’aucun intérêt intellectuel, en revanche l’intérêt moral est incontestable. Ici aussi (décidément…) les auteurs recommandent à l’unanimité le scoutisme, parce que dans ce genre d’activité le lien social est efficace. Dans une patrouille scoute qui se respecte, les scouts ne se regardent pas en chien de faïence mais agissent, ce qui facilite grandement l’intégration.
D’ailleurs, il ne faut pas croire que la famille soit pour le flegmatique un espace de socialisation comme un autre. Le flegmatique est chez lui en famille, le terrain est trop balisé pour qu’il fasse de réels progrès au niveau social.
En revanche, en plus de chercher à favoriser la socialisation du flegmatique à travers des activités concrètes, l’éducateur dispose d’un levier que beaucoup trouveront très satisfaisant : le discours. Contrairement à tous les autres caractères, le flegmatique pourra profiter d’un exposé théorique. Son intelligence est formelle, elle est entièrement calibrée pour le système académique car il aime par-dessus tout l’ordre. Il sera donc sensible aux arguments rationnels que lui proposera l’éducateur.
Apathique
Passons maintenant à l’apathique. Comme on dit, le meilleur pour la fin ! Non-émotif, inactif, secondaire. Avec ce caractère on comprend que la secondarité est un amplificateur, en positif comme en négatif : quand il y a de l’émotivité et de l’activité comme chez le passionné, la secondarité coordonne l’énergie et structure les efforts. Quand il n’y a ni émotivité ni activité, la secondarité paralyse et fragmente la personne, elle le cloue au sol.
Autant, chez l’amorphe, il y avait la primarité : l’amorphe peut jouer dans la cour, et s’il se paralyse lorsqu’on lui demande de faire preuve de volonté dans une tâche particulière, si sa force mentale est nulle, il y a tout de même une certaine vitalité en lui, presque à son insu d’ailleurs ; autant chez l’apathique, il n’y a ni force mentale, ni force affective, ni force vitale. On n’est pas loin de l’encéphalogramme plat.
Pourtant, l’éducateur peut se laisser tromper par l’attitude de l’apathique, et croire que son silence est une méditation. Le problème, c’est que derrière cet air pensif il n’y a rien que du vide. Dès lors, comment faire ? Les éducateurs recommandent d’offrir un régime particulier à l’apathique, un régime qui puisse lui procurer les vitamines qui lui manquent.
Sur un plan éducatif, il faut prendre conscience de la fragmentation que génère la secondarité chez l’apathique. Puisqu’il manque de vie, l’apathique fonctionne en permanence en mode économie d’énergie, d’où le fait qu’il se structure avec des habitudes. La secondarité cherche à systématiser le fonctionnement de l’apathique en automatisant au maximum ses activités quotidiennes. Autant pour d’autres caractères les habitudes et les rituels étaient bénéfiques (car structurants), autant pour l’apathique les habitudes morcellent son identité. Par exemple, l’apathique entre dans sa classe. Il s’assied à sa table, il ouvre son sac, il pose sa trousse sur sa table et il fait mine d’écrire mais aucun de ses gestes n’est vécu comme un acte délibéré, il s’agit simplement de réflexes automatiques.
Le Gall rapporte l’observation d’une institutrice, qui avait dans sa classe une apathique. La maîtresse précédente avait jeté l’éponge, elle qualifiait simplement la petite Thérèse « d’idiote ». Un jour, l’institutrice s’adresse à la classe en employant l’expression « lisse comme les plis du tablier de Thérèse ». Au moment où elle fait ce compliment discret, elle constate une lueur fugace dans les yeux de la petite au fond de la classe. Plus tard, elle s’approche du poêle à charbon qui est à côté de Thérèse, et lui demande d’un air absent de lui tenir la pelle le temps qu’elle bidouille quelque chose. Thérèse prend la pelle, et de fil en aiguille l’institutrice parvient à susciter une relation avec son élève. Avec beaucoup de tact et de délicatesse, elle nourrit le lien et suscite des habitudes plus élaborées… L’institutrice affirme qu’au bout de quatre mois, Thérèse savait presque lire.
Cet exemple montre à quel point il est nécessaire, quand on doit éduquer un apathique, d’avoir un poêle à charbon. Plus sérieusement, on retrouve ici cette posture si particulière recommandée pour l’éducation du nerveux, ce mélange de vigilance et de discrétion. Pour le nerveux il s’agissait de ne pas exciter son besoin de faire sensation, mais ici il s’agit plutôt de ne pas surcharger l’apathique, de ne pas l’effrayer. En agissant ainsi, l’institutrice fait à Thérèse une place évidente dans la classe, une place qui tombe sous le sens au point qu’elle peut lui confier quelque chose sans même y penser, comme tenir une simple pelle à charbon. Par cette approche, l’institutrice annule toute forme de confrontation ou même de vis-à-vis avec la petite apathique. La relation va de soi, elle est déjà complètement assumée par l’adulte et il ne reste plus à l’apathique qu’à se laisser porter. Plus encore, l’intégration est assumée devant la classe entière.
On voit bien que l’éducation de l’apathique relève plus du sauvetage que d’autre chose. Il est intéressant de noter d’ailleurs que ce sauvetage passera par l’affect. De fait, puisque la difficulté principale de l’apathique est dans le morcellement de la personne, c’est l’unité qu’il faudra travailler et la force qui permet l’unité c’est l’affect. L’autre force nécessaire, celle qui permet l’adaptation au milieu, est l’intellect et viendra en second. D’ailleurs, cette deuxième force dispose déjà des fondations nécessaires grâce à la secondarité, elle est donc moins urgente à travailler.
Voilà ce que l’on peut dire au sujet des caractères. Les développements de la caractérologie sont nombreux. Il y a même un religieux, Paul Griéger, qui s’est penché sur la caractérologie ethnique dans les années 50. Le Senne déjà avait joué à ça, en disant que le nerveux vient d’Italie (et plus particulièrement de Venise), le sentimental est espagnol (comme don Quichotte), le colérique est américain ou français, le sanguin est britannique et le flegmatique est allemand.
Tout ce qu’on peut dire c’est qu’il faut de tout pour faire un monde… Encore une fois si vous voulez davantage de précisions sur tel ou tel caractère je vous conseille les ouvrages suivants :
- René le Senne (Traité de caractérologie),
- P. Mesnard (Education Et Caractère) ,
- André le Gall (Caractérologie Des Enfants Et Des Adolescents À L'usage Des Parents Et Des Éducateurs),
J’ai aussi entendu beaucoup de bien du livre de Gaston Berger : Traité pratique d’analyse du caractère, mais pour tout vous dire j’ai fait une petite overdose du sujet ces derniers mois et je ne l’ai pas lu.
Mais j’allais vous laisser sans même vous expliquer comment reconnaitre un caractère ! Où avais-je la tête, à force de manger les épinards en premier on oublie le steak. Sachez qu’il y a deux moyens d’identifier un caractère : un bon moyen et un moyen facile.
Le bon moyen, c’est de se renseigner sur les caractères, de lire des cas pratiques, de comprendre la caractérologie. Ensuite, vous identifierez sans difficulté la plupart des caractères. Le gros avantage de cette méthode c’est qu’elle est vivante et ne dépend pas de réponses faites à un instant t.
Le moyen facile, c’est de remplir le questionnaire et de le dépouiller. Je peux vous l'envoyer par mail si vous le voulez. On risque d’avoir tous les biais liés au remplissage de questionnaire, mais au moins c’est rapide. L’avantage quand même de ce moyen c’est d’offrir un seuil concret pour qualifier l’émotivité, l’activité et le retentissement des représentations d’un individu. Il faut reconnaitre que même avec une bonne connaissance de la caractérologie le questionnaire est utile. Vous allez rire : il y a encore quelques semaines, j’avais un lien URL pour accéder à un questionnaire en ligne, qui s’occupait de dépouiller les réponses automatiquement. Très pratique ! Mais ce lien ne fonctionne plus. Dommage, il va falloir sortir son stylo…
Voilà, nous en avons terminé avec la caractérologie ! J’espère que le sujet n’a pas trop trainé en longueur, et que vous avez appris quelques trucs.
La prochaine fois, il y aura une petite surprise... Un nouveau rédacteur a rejoint l'équipe! Et il va nous faire redécouvrir un super bouquin. J'en dis pas plus, il vous en parlera bien mieux que moi.
Bon questionnaire, et bonne semaine !
04/09/2022
Bonjour !
Aujourd’hui, nous continuons la série sur la caractérologie. Après avoir fait une présentation générale de l’école classique de caractérologie ici, nous avons présenté le caractère du nerveux et du sentimental ici, puis du passionné et du colérique ici. Le moment est venu de parler du sanguin et de l’amorphe.
Le Sanguin
Commençons par le sanguin. Non Emotif Actif Primaire, ce caractère est tout à fait intéressant à étudier. On l’appelle le caractère de la joie, vous allez comprendre pourquoi.
La première chose à savoir c’est qu’en raison de son manque d’émotivité, le sanguin n’a pas grand-chose à l’intérieur. Attention, comme nous avons pu le dire dans l’article d’introduction, l’absence complète d’émotivité n’existe pas, il y a toujours un petit quelque chose. D’ailleurs, il semble que le sanguin soit rarement non-émotif à l’extrême, il est plutôt en dessous de la moyenne.
Cet espèce de vide interne ne tourmente pas le sanguin : on est loin des inquiétudes du nerveux et du sentimental. Puisque l’activité est bonne, la machine fonctionne plutôt bien, mais il y a peu de carburant. Le sanguin ne possède donc pas non plus l’élan qu’on retrouve chez le passionné et le colérique. Le sanguin est l’inverse du sentimental, duquel on pouvait dire qu’il était comme un « corps vivant prisonnier d’un corps mort ». Ici ce serait plutôt un corps vivant abritant un corps mort.
Mais l’émotivité ne fonctionne pas comme l’activité : pour schématiser, l’émotivité c’est l’énergie affective, autrement dit elle trouve son motif à l’extérieur et déclenche quelque chose à l’intérieur. L’activité, en revanche, est l’énergie mentale (la volonté) : elle trouve sa force à l’intérieur et déclenche quelque chose à l’extérieur. Voilà pourquoi on disait dans l’article d’introduction qu’il est plus difficile de susciter l’activité que l’émotion chez l’enfant, car l’activité prend racine dans les profondeurs de l’être.
Donc l’inémotivité ne pèse pas chez le sanguin comme l’inactivité pèse chez le sentimental. Chez ce dernier, c’est bien un poids mort tandis que chez le sanguin, la faible émotivité n’est pas perçue comme un manque. Au contraire, cette absence relative d’émotivité semble « libérer » le sanguin de bien des tracas.
En fait, quand on voit ce qui se passe chez le sanguin, on comprend que l’émotivité est un élément incontournable de la conscience et de la morale. On observe en effet que moins les caractères sont émotifs, moins ils sentent les exigences de la morale : chez le sentimental cela va même trop loin et tourne au scrupule. On objectera peut-être à cette réflexion que le nerveux, caractère poétique et désinvolte, ne parait pas si soucieux de la morale alors qu’il est émotif ; mais il faut rappeler que cette désinvolture est de façade et que les nerveux sont d’abord des poètes maudits. Ce n’est qu’en luttant contre sa conscience que le nerveux prétend être « libre ».
Ici, pas de lutte, et c’est bien déconcertant. La morale, comme tout le reste d’ailleurs, vient de l’extérieur pour le sanguin. Il pourra donc faire suivre un acte de la plus touchante gentillesse par une fourberie des plus inattendues, et ce sans sourciller. On est alors tenté de croire que le fond du sanguin est mauvais, qu’il a quelque chose de pervers et de calculateur. Ce serait une erreur : si le sanguin calcule, c’est uniquement pour s’adapter à son entourage. Car ce que les autres ressentent, il lui faut l’imaginer.
Le sanguin aura donc tendance à être un suiveur, car il n’a pas d’autre choix que de suivre l’exemple des autres pour apprendre à vivre. Ça a de bons côtés : c’est auprès de ce caractère que l’éducation aura le plus d’influence, au contraire du passionné qui est presque trop autonome pour suivre les principes éducatifs venant de l’extérieur. Quand un éducateur affirme que les enfants sont une page blanche, il parle en fait des sanguins.
Etant le caractère le plus disponible de tous, le sanguin sera le plus à même de faire plaisir, car il a compris rapidement que c’était là le meilleur moyen d’obtenir ce qu’il souhaite. Ainsi, s’il cherche à obtenir de bonnes notes à l’école, c’est pour faire plaisir à son professeur. D’ailleurs il pourra tricher, toujours dans le même objectif. Mais il ne faudrait pas en déduire que le sanguin manque de profondeur ou d’intelligence.
A ce sujet Le Gall offre une réflexion très intéressante : il explique que l’intelligence dépend de deux choses : l’analyse (le fait de diviser un tout en plusieurs éléments, de discerner les rouages d’une machine) et la synthèse (le fait d’assembler un tout à partir de plusieurs éléments, de reconstruire la machine à partir de ses rouages).
C’est très intéressant parce que l’un ne va pas sans l’autre : ce n’est pas le tout d’analyser ou de critiquer, il faut aussi savoir construire. Or on a un peu trop souvent tendance à croire que l’intelligence s’arrête à l’analyse, alors que ce n’est que la moitié du travail. Et surtout, sans la synthèse l’analyse est comme débridée, déconnectée du réel. Ce n’est que lorsque la synthèse a lieu que l’on confronte la pensée à la réalité, qu’on la met véritablement à l’épreuve. C’est pour ça aussi que les secondaires, qui sont plus forts en analyse qu’en synthèse, sont souvent perfectionnistes : ils cherchent l’essentiel et peuvent aller très loin mais ne savent pas forcément revenir sur terre, surtout lorsqu’ils sont émotifs.
Les primaires, qui ont davantage de dispositions pour la synthèse, voient l’aspect pragmatique de la question : un bon rouage est un rouage qui est à sa place, dans la machine. Cette finalité a toutefois aussi son excès, car le primaire peut être tenté de rester à la surface des choses, de ne s’intéresser qu’au fait qu’elles fonctionnent et risque de ne pas se poser la question du sens de la machine, de la raison qui la pousse à fonctionner. La synthèse, dans cet esprit, peut être utilisée comme un moyen de défense. On agit pour ne pas penser.
Malgré tout, il y a bien une intelligence de l’action et le sanguin illustre cela à la perfection. C’est pourquoi, au fil des ans et pour peu que l’éducation que reçoit le sanguin lui permette de mettre en place des habitudes constructives, il connaitra une croissance exemplaire.
En somme, l’éducation du sanguin doit être constante, et l’éducateur ne doit pas s’offusquer de cette espèce de vacuité intérieure mais plutôt chercher à la structurer par de bonnes habitudes. Attention, il faut savoir que le sanguin prend ses marques très tard, souvent entre ses 18 et ses 20 ans (d’ailleurs la puberté des sanguins est très tardive). Il risque donc d’être perdu après la scolarité car il n’aura fait que s’adapter au système scolaire sans développer de réelle autonomie. C’est un peu l’inverse du passionné, qui s’adapte mal à l’école parce qu’il sait trop que ce n’est pas la réalité. Cela signifie que la structure qu’on cherche à développer chez le sanguin reste longtemps fragile, qu’il ne faut pas le laisser trop tôt en se disant que tout va bien.
Le sanguin a un levier de développement particulièrement puissant : la curiosité. Ne trouvant rien à l’intérieur de lui-même, il est constamment poussé vers l’extérieur, pour le pire et pour le meilleur. En conséquence, il faudra le surveiller, et plus spécialement vis-à-vis du domaine sexuel. Toutefois, parce qu’au fond le sanguin est détaché, il est moins sujet aux obsessions et se laisse atteindre moins profondément que le sentimental ou le nerveux par exemple. Il faut se dire qu’il n’est pas plus attaché au mal qu’au bien.
Malheureusement, cela concerne aussi la foi. Il faut une grâce toute particulière pour que le sanguin se laisse toucher au cœur, sans quoi sa dévotion risque fort de rester à un niveau mondain. C’est pourquoi bon nombre de sanguins célèbres – comme Voltaire – étaient peu religieux, voire anticléricaux.
Au niveau de son éducation, il est important de ne pas s’arrêter aux apparences avec le sanguin : comme on l’a dit, ce n’est pas parce qu’il fait ce qu’on attend de lui ou qu’il nous dit ce que nous voulons entendre qu’il a compris ce qui est en jeu. Il faut donc avoir l’énergie de dépasser régulièrement les faux-semblants avec lui, et d’user de sa curiosité pour le guider, pour l’aider à dépasser les apparences. Enfin, il est bon de lui proposer de bons exemples à suivre. Ici aussi les scouts seront une excellente école de vie.
L’amorphe
L’amorphe, qu’un auteur plus récent appelle par délicatesse « placide », est un des deux caractères les plus étranges qui soit avec l’apathique, appelé par le même auteur « nonchalant ». Ces deux caractères semblent au point mort, car ils sont tous deux non-émotif et inactifs. Chez les six autres caractères, on a l’un ou l’autre de ces leviers mais ici on n’a aucun des deux.
J’ai l’impression – mais ici je parle en mon nom, les auteurs ne le disent pas clairement – que ces deux caractères, l’amorphe et l’apathique, s’installent suite à des tares éducatives importantes, qui n’ont pas permis d’exprimer une émotivité ou une activité qui était pourtant en germe. Il y a peut-être aussi des facteurs biologiques qui jouent. Cela rejoint l’idée selon laquelle il n’y aurait en réalité que deux distinctions fondamentales entre les caractères (Primaire/Secondaire), dont l’activité ou l’émotivité seraient des variables d’intensité.
L’amorphe est non-émotif inactif primaire. C’est dans ce genre de situation qu’il est bon de répéter que personne n’est vraiment non-émotif et personne n’est vraiment inactif. Il semble juste qu’ici on soit vraiment au ras des pâquerettes.
Pour comprendre l’amorphe, imaginons un sanguin paresseux, dépourvu de curiosité. Puéril, mou, lui aussi fera sa crise d’adolescent très tard, vers 20 ans.
L’amorphe est entouré d’une sorte de bulle de mollesse, une aura de paresse d’ailleurs souvent protégée par la mère. C’est un éternel bébé, qui n’a pas été aidé à grandir. La première chose à faire sera donc de questionner la relation entre l’amorphe et sa mère, d’y introduire la loi du père.
Pour éduquer l’amorphe, il va falloir encore plus d’énergie que pour le sanguin. Ici il ne s’agit pas de guider la curiosité – l’amorphe n’en a pas suffisamment -, mais de mettre l’amorphe dans un tunnel avec d’un côté la punition et de l’autre la récompense, et de maintenir ce tunnel coûte que coûte, en bloquant toute alternative.
Voyons maintenant ce qu’on peut faire pour susciter l’émotivité et entrainer l’enfant à l’activité. Cela permettra de le tirer vers un caractère proche, comme le sanguin ou le colérique.
Susciter l’émotivité
Pour accroître l’émotivité de l’enfant, on pourrait croire qu’il suffit de le bombarder de stimulations sensorielles, qui ne manquent pas autour de nous. Mais ce serait passer à côté du rôle de l’émotivité. L’émotivité n’est pas un simple moteur, elle est en dernier lieu une ouverture à la transcendance. On ne cherche pas simplement à susciter de l’énergie chez l’enfant mais à l’attirer vers ce qui est Bon, ce qui est Beau, ce qui est Parfait.
Nous avons déjà pu dire que notre hyperémotivité moderne s’arrête trop souvent aux portes de notre âme. C’est comme si nous cherchions à jouir du beau en refusant ce vers quoi le beau nous porte. Or, comme le dit Saint Jean-Paul II, « la beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance. Elle est une invitation à savourer la vie et à rêver de l'avenir.»[1]
Pour éduquer l’émotivité ou pour susciter une émotivité digne de ce nom, il va donc falloir mettre l’enfant en contact avec la beauté véritable, celle qui émerveille et qui édifie.
Nous avons parlé dans ce blog des principes éducatifs de Charlotte Mason. Dans cette pédagogie exceptionnelle et méconnue, le beau a une place toute spéciale. Ainsi, au-delà de sensibiliser les enfants aux grands classiques de l’art, les éducateurs sont encouragés à ne leur fournir que des matières « nobles » dans leurs petits travaux : travailler le cuir, manipuler du bois, etc… Car le beau et la nature sont des repères objectifs édifiants, ce que notre société a eu tendance à oublier dernièrement.
Figurez-vous, à ce propos, qu’en 2014 est né un mouvement artistique international qui s’appelle Art Résilience. Ce mouvement se dresse courageusement contre les dérives monumentales des mouvements artistiques depuis plus d’un siècle, et cherche à retrouver les racines objectives de la beauté : « Refonder l'art sur le beau, refonder le beau sur la nature », voilà son credo. Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille les deux livres suivants : L'Hiver de la culture, de Jean Clair chez Flammarion, 2011 (franc mais ampoulé) et Who Says That's Art?: A Commonsense View of the Visual Arts de Michelle Marder Kamhi chez illustrated, 2014 (plus simple, mais anglais. On ne peut pas tout avoir.)
Voilà, c’est en faisant la distinction entre l’émerveillement devant le beau et l’excitation anarchique des sens que l’on va pouvoir sensibiliser l’enfant au langage objectif et édifiant de la beauté. C’est ainsi qu’on pourra augmenter sa réceptivité affective. Mais il ne faut pas oublier l’essentiel : La source et la fin de notre désir et de notre affection, c’est Dieu. Voilà d’ailleurs pourquoi l’art sacré est si riche…
Entraîner à l’activité
Pour encourager un enfant à l’activité, il va falloir l’aider à mettre en place des habitudes. Pour ce faire, l’environnement de l’enfant doit être clairement ritualisé, afin que ses habitudes puissent être intégrées comme quelque chose de nécessaire et naturel. La question du rythme est importante : demander un rythme de vie soutenu à un enfant alors que la famille vivote paresseusement est contradictoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’internat peut être une solution intéressante, notamment pour l’amorphe : le train de vie de l’internat va lui rendre plus facile le fait de suivre le mouvement.
C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les auteurs recommandent sans cesse le scoutisme, car il s’agit d’un excellent levier d’activité. On remarquera d’ailleurs que l’autonomie dont dispose l’enfant a un grand impact sur l’ancrage de l’activité. Or, au scoutisme il y a peu d’adultes et ceux-ci ne sont pas présents en permanence parmi les jeunes. Et rendre des comptes à ses pairs n’a rien à voir avec le fait de rendre des comptes à ses parents…
Tout va dépendre de notre capacité à identifier les limites de l’enfant, pour le pousser au bon endroit au bon moment. Cette lucidité est trop souvent mise de côté, et elle distingue un bon éducateur d’un éducateur médiocre. Un mauvais éducateur, par exemple, va demander à l’enfant de dire ses limites, ce qui est une grosse erreur de jugement car nos capacités d’action sont intimement mêlées à notre contenance mentale (notre détermination, notre résolution).
Lorsque nous poursuivons un objectif, c’est notre capacité à focaliser notre énergie vers le but à atteindre qui va nous aider à agir. Cela ne concerne pas seulement le discernement de notre objectif, mais aussi l’acte en lui-même. Tout au long de notre effort, notre mental fédère notre énergie un peu comme un lien qui rassemble des fagots de bois. Dès que cet effort mental se relâche, l’acte se disperse et s’arrête.
Or la détermination semble ne pouvoir se développer que face à une limite. C’est parce que le mental se trouve devant une limite qu’il se contraint à l’effort. Il faut beaucoup de force pour savoir s’imposer une limite au-delà de sa zone de confort. Cela demande de la maturité, c’est pourquoi il est rare qu’un enfant soit en mesure de fixer la limite qui lui faut pour progresser. En fait, quand on y pense, les limites qui nous font vraiment progresser viennent de l’extérieur. Nous avons parlé de cela dans l’article L’apocalypse cognitive, quand nous réfléchissions autour de l’expression « nécessité fait loi ». Si ça vous intéresse, jetez-y un coup d’œil !
Reprenons. Contrairement au sentimental ou au nerveux, il ne faut pas craindre d’être sévère avec l’amorphe. En fait, il n’y a pas tellement d’alternative pour percer ce donut de mollesse. C’est ici qu’il faut appliquer ce passage du livre des proverbes (13, 24) : « Qui ménage sa trique n’aime pas son fils, qui l’aime vraiment veille à le corriger. »
Pour ne rien vous cacher je n’ai pas vu beaucoup d’autres conseils éducatifs concernant l’amorphe. Il faut juste beaucoup d’énergie pour le bouger, à priori on n’a pas besoin de la même subtilité que pour le nerveux par exemple.
Si vous souhaitez en savoir plus sur la façon d’éduquer les caractères, n’hésitez pas à lire le livre d’André le Gall dont je vous ai parlé : Caractérologie Des Enfants Et Des Adolescents À L'usage Des Parents Et Des Éducateurs.
Bonne semaine, et à bientôt !
[1] Saint Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999, §16.
21/08/2022
Bonjour !
Après avoir parlé des rouages de l’école classique de caractérologie dans cet article-ci, nous avons commencé à parler des caractères avec le nerveux et le sentimental dans cet article-là. Aujourd’hui, nous aborderons les deux caractères les plus intenses de tous : le colérique et le passionné.
Vous l’aurez compris, s’ils sont les plus intenses c’est que ce sont les deux seuls caractères à cumuler une émotivité forte et une puissante activité. Puisque l’émotivité est l’énergie affective et l’activité est l’énergie mentale, nous voici face à deux moteurs de Rolls Royce remplis de carburant haut de gamme. Ça va donner.
L’intensité de l’émotivité, chez ces deux caractères, ne produit pas les complexes que l’on observe chez le nerveux et le sentimental, parce que cette émotivité est canalisée par l’activité. Prenons l’exemple d’une corde. Lorsque l’émotivité est tendue par l’effort, la corde présente moins de risque de faire des nœuds. En revanche lorsque l’effort est faible ou intermittent (en cas d’inactivité), la corde s’emmêle et des nœuds affectifs se forment. Comme on l’a dit, chez le colérique comme chez le passionné la corde est tendue, ce qui explique que malgré leur émotivité ces deux caractères sont moins sujets aux complexes.
Commençons par le colérique. Attention, il faut préciser que le nom de ce caractère est, somme toute, peu représentatif. Ce caractère n’est pas plus sujet à la colère qu’un autre. D’ailleurs, son combat sera plutôt la concupiscence que la colère... Au point que le Gall préférera appeler ce caractère « actif exubérant » que colérique. On verra d’ailleurs que la colère « véritable » se retrouve davantage du côté du passionné, qui a un côté plus violent.
Le colérique
Emotif, Actif et Primaire, le colérique est le caractère le plus envié de tous, et celui qui envie le moins les autres. C’est un enfant casse-cou, difficilement tenable, avide d’explorations plus audacieuses les unes que les autres. A 6 ans, c’est le fier-à-bras, batailleur et insolent, et à 11 ans, on observe chez les garçons une poussée massive de l’ossature et le déploiement de la carrure. La jeune fille colérique deviendra un garçon manqué, à l’instar de George Sand. La puberté est une vraie révolution qui travaille le colérique pendant des mois, et il risque de se laisser entièrement guider par son instinct sexuel.
Long à éduquer, ce caractère a des prétentions exorbitantes qui ne le lâcheront jamais. Pour vous donner une idée, Surcouf était colérique. Le 29 janvier 1796, à 22 ans, alors qu’il est équipé d’un petit bâtiment de 4 canons et qu’ils sont 19 à bord, il attaque le Triton, un vaisseau de 150 hommes et 26 canons. Et ils le prennent d’assaut. Voilà voilà. Churchill aussi était colérique.
Exubérant, brouillon, le colérique est à la recherche de résultats tangibles et immédiats. Il veut secrètement posséder le monde, mais il est moins égoïste qu’égocentrique : il prend toutes les ressources possibles pour se mettre toujours en avant et faire de toutes choses, de tous les êtres qui l’entourent autant de comparses introduits de gré ou de force dans cette comédie universelle où il s’est arrogé le premier rôle. Il y a quelque chose d’irrésistible chez le colérique, qui fait que ceux qu’il embarque dans ses aventures le suivent avec joie. Le colérique suscite une adhésion bien différente du nerveux par exemple, qui a tendance à fasciner et à faire souffrir ceux qui s’approchent trop près de lui à cause de sa jalousie. En fait, le colérique ne capte pas les autres mais il les entraine, il les pousse à l’action.
Au départ, le colérique a la côte dans sa famille. Il est vorace et joyeux, conquérant plutôt que séducteur. Les adultes – et surtout la mère – ont donc tendance à l’encourager dans ses penchants.
Toutefois, très vite, son côté casse-cou devient envahissant, et déclenche des sanctions qui n’ont pour tout résultat que de générer une tension entre le colérique et sa famille, tension qui l’oppose et lui fait désirer l’indépendance (idée qui se concrétisera au moment de l’adolescence). Pour autant, le colérique ne déteste pas sa famille - au contraire, son affection pour les siens est souvent manifeste, bien qu’il quitte souvent sa famille sur des périodes prolongées. Par exemple, si on prête trop de complaisance aux histoires d’injustices que le colérique prétend avoir subies dans sa famille, il pourrait se retourner contre nous : nul ne ressent plus nettement l’offense faite aux siens.
Dans son foyer, l’enfant colérique aura de brusque poussées d’affection, typique des hommes qui prétendent avoir le droit d’être aimés et sur le champ. Le risque ici c’est que la mère assimile - plus fortement et plus précisément qu’elle ne le croit - l’enfant colérique à son conjoint, et qu’elle adopte à son égard une attitude équivoque qui renforce le complexe d’œdipe, depuis la fixation amoureuse sur la mère jusqu’à l’opposition haineuse envers le père.
Et la mère n’est pas la seule à agir de la sorte : toutes les femmes de la maison subiront l’ascendant du colérique, et par leur docilité complice, orienteront inconsciemment le colérique dans la direction des succès féminins. D’autre part, le colérique a besoin d’un confident pour épancher son besoin de confidence et de protection, et aura toujours tendance à élire un membre de la famille pour ce rôle si flatteur… et si subalterne. Souvent c’est la grande sœur.
La puberté est une épreuve déterminante dans l’éducation du colérique, qui tire son immense énergie de la concupiscence. Il ne faut surtout pas chercher à contrecarrer le colérique (sinon c’est la scission nette et définitive), il faut lui proposer un équilibre à la fois dynamique et profond. Cet équilibre se prépare très tôt. Il faut proposer au colérique un espace à lui où il puisse exercer un empire à sa mesure sans être inquiété par les adultes. Que ce soit une pièce ou un débarras, l’important c’est qu’il soit le seul à gérer cet espace, dans le but de le faire passer de lui-même de l’opposition revendicatrice à l’autonomie constructive.
De la même façon, le scoutisme est extrêmement salutaire pour ce caractère, et lui correspond tellement qu’il peut même relever vers ce caractère les tempéraments moins puissants (comme le nerveux et l’amorphe).
Ces ventilations prudentes et opportunes, ces soupapes de sécurité, permettront aux parents (et tout spécialement au père) d’établir un cadre net et précis pour le colérique. Cela requiert des têtes à têtes sérieux avec l’enfant - et plus encore avec l’adolescent - pour lui faire comprendre que son désir d’indépendance est bien compris, mais ne se réalisera pas au détriment de l’équilibre familial. Le colérique a besoin de réaliser que l’autorité de son père n’est pas oppressive ou arbitraire, mais qu’elle préserve une vie plus forte et plus riche pour chacun des membres de la famille.
En somme, le colérique est généreux car il déborde d’énergie. Sa primarité le maintien dans l’instant et le pousse à accomplir des exploits, juste pour le plaisir. Qu’on pense à l’exclamation de Cyrano de Bergerac : « Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! Non, non c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! »
La générosité du colérique se retrouve aussi dans son rapport à la vérité. Nous avons vu que le nerveux est le caractère le moins objectif, celui qui supporte le moins la vérité crue et qui ment presque avec sincérité, par dédain pour elle ; nous avons aussi évoqué l’anxiété du sentimental face à la réalité et son besoin de dissimuler pour se protéger d’elle ; et nous constatons que le colérique n’a pas peur de la vérité, mais dans son enthousiasme il la dépasse et tombe souvent dans l’exagération et la vantardise.
Le colérique est un maitre de l’improvisation, il nage comme un poisson dans l’eau lors des périodes de tourment politique et de révolution et apprécie tout particulièrement la démocratie, cette tribune où chacun (et surtout lui) peut s’exprimer théâtralement pour emmener les foules. Le nerveux est un poète, le sentimental un philosophe, et le colérique est un politicien hors pair, surtout en régime démocratique.
Passons au passionné maintenant.
Le passionné
Le caractère passionné est Emotif, Actif, Secondaire (EAS).
A la différence du nerveux et du sentimental, le passionné est actif. Cela signifie concrètement qu’il est tendu vers le réel, naturellement disposé à agir pour le transformer. La tension décrit le mieux ce caractère : de fait, l’énergie de l’émotion est mobilisée à fond par l’activité comme chez le colérique, mais ici cette énergie est engrangée par la secondarité qui ne perd rien des expériences, ce qui permet de focaliser une masse d’énergie colossale dans l’acte.
Cette intensité si caractéristique du passionné en fait le caractère le plus efficace de tous. Le passionné ne reste pas à la surface des choses, il va au fond pour comprendre et maîtriser son environnement. Son côté impérieux ne doit pas être confondu avec la vanité puérile du nerveux ; en fait le passionné est simplement entièrement absorbé par son objectif. Cela signifie qu’il est capable, lui aussi, de se soumettre à l’autorité - tant que celle-ci est juste : il voit plus loin que son propre bien, il voit l’intérêt de l’ordre. C’est le caractère le plus sensible au bien commun et à la morale, par exemple.
Le passionné se distingue du colérique par sa rigueur et sa violence. Chez ce dernier, l’intensité est atténuée par la primarité : dès que l’énergie vient le colérique la laisse s’exprimer. Le passionné, lui, va réfléchir au meilleur moyen d’employer cette énergie. D’ailleurs ce qui intéresse le colérique c’est d’être au centre, de commander, alors que le passionné est davantage soucieux que son objectif soit atteint. Au final c’est le dévouement du passionné à son propre idéal qui attire les gens (eux-mêmes séduits par cet idéal), tandis que c’est le charisme du colérique qui explique la quantité de ses compagnons. Il y a quelque chose d’assez austère chez le passionné.
Le caractère passionné est le caractère le plus autonome, ce qui signifie qu’il nécessite peu de cadrage éducatif. Par son intelligence vive, son excellente mémoire et ses dons d’observation, il sait tirer de son expérience des principes d’action durables. Il est peu influençable et les chahuteurs, alors qu’ils font des misères aux timides, respectent sa fermeté. De son côté, il a tendance à les mépriser pour leur côté superficiel.
Cela dit, il faut que l’entourage du passionné le surveille pour éviter que son amour de l’ordre ne tourne au rigorisme : il faut lui fixer une limite à ne pas franchir dans ce domaine. D’autre part, il faut inculquer au passionné le sens de la communauté car il a tendance à « se la jouer perso ». Deux objectifs : lutter contre l’introversion et contre l’abstraction. Ça peut passer par le sport. Le sport permet aussi de développer le courage physique : le passionné tergiverse tellement qu’il peut parfois se montrer lâche dans l’action. Vous le voyez déjà, le scoutisme ne fait pas de mal au passionné non plus !
La lutte contre le rationalisme du passionné passe aussi par une éducation aux arts, à la musique, etc… En fait, le passionné doit être amené à une certaine souplesse, sans quoi il va finir par se fermer dans une attitude proche du fanatisme. Ceci étant, il gardera toujours une forme de magnanimité pour ses inférieurs - et une grande affection à l’égard des enfants et des animaux.
En raison de son intensité, le passionné a parfois le sentiment d’être différent du reste des hommes, c’est pourquoi on dit que son premier combat est l’orgueil. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel orgueil : l’orgueil du passionné a quelque chose d’aussi pur que diabolique. Son sens de la stratégie peut se rapprocher de l’opportunisme, et s’il ment pour le coup c’est en toute connaissance de cause, parce que cela sert son objectif.
Paradoxalement, il est capable d’abnégation si cela peut servir sa cause, mais il aura beaucoup, beaucoup de mal à se laisser faire, à s’immerger lui-même dans le temps présent, à se mettre au même niveau que les autres. Or c’est là le cœur de la sainteté : accepter une bonne fois pour toutes d’être désarçonné. C’est ce qui est arrivé à saint Paul. Passionné qu’il était, il a eu besoin de tomber littéralement de cheval. Mais qu’on compare saint Paul à un autre passionné célèbre, Hitler, et on comprend à quels désastres peut mener cette redoutable intelligence si elle n’est pas convertie.
Il est donc important de veiller à ne pas détruire l’idéal du passionné simplement par peur de sa puissance, mais au contraire de lui montrer le vrai idéal, le seul qui vaut la peine d’être poursuivi : la vie en Dieu. Étant secondaire, le passionné est plus cassant que le colérique ; il aura plus de mal à maintenir son unité intérieure, surtout si elle est constamment agressée. Voilà pourquoi il est si important de le guider plus que de chercher à le contraindre ou le rebuter. Et surtout, il ne faut pas sous-estimer son intelligence. Il peut arriver que certains éducateurs cherchent à prouver aux enfants qu’ils ont tort juste pour travailler leur souplesse. Ce jeu est risqué avec le passionné, car il a souvent raison, et si on le prive de son intelligence on lui enlève le seul moyen qu’il a de se construire. De fait, l’affectivité vient après la raison dans le développement du passionné. Il faut donc lui apprendre à suivre les consignes pour le principe, parce que l’obéissance est une chose bonne en soi. Etonnamment, le passionné pourra être sensible à ce genre d’argument, car son truc c’est la morale.
Les motivations du passionné vont plus loin que celle du colérique, plus haut que celles du sentimental, elles sont plus fantastiques que celles du nerveux, elles sont tout cela à la fois : elles sont métaphysiques. Dans sa puissance de pensée, le passionné ne peut s’empêcher de comprendre ce qui dépasse la réalité, ce qui fait que la vie jaillit du néant. Nous avions parlé de la philosophie du sentimental, qui a tendance à s’offrir comme une alternative ou une fuite de la réalité. Ici, c’est plus que cela. Il faut comprendre, mais sans éviter la réalité. Vous l’aurez deviné, saint Thomas était passionné.
Voilà pour ces deux caractères. Ils incarnent en quelque sorte la quintessence de tous les autres. En fait, on pourrait dire qu’il n’y a qu’une réelle distinction entre les personnes, et c’est le retentissement des représentation (primaire/secondaire). L’émotivité et l’activité semblent être des critères plus variables - et peut-être davantage sujets aux influences extérieures. Le nerveux et le sentimental n’ont pas assez d’activité, le sanguin et le flegmatique on trop peu d’émotion, et l’amorphe et l’apathique ont trop peu des deux mais à bien y réfléchir on dirait que la vraie charpente du caractère c’est la distinction primaire/secondaire, qui n’est jamais aussi visible qu’entre le colérique et le passionné…
Toutefois, on imagine mal un monde peuplé uniquement de Churchills, de Surcoufs et de Cyranos donnant la réplique à César, Napoléon et à de Gaulle. Chaque caractère a ses qualités, et il faut de tout pour faire un monde !
Bonne semaine les amis !
07/08/2022
Bonjour !
Aujourd’hui, nous poursuivons la série caractérologie débutée il y a deux semaines avec cet article. Comme prévu, nous allons maintenant aborder deux des huit caractères de l’école de caractérologie classique de René le Senne.
Peut-être avez-vous déjà écouté les excellentes conférences du révérend John Brucciani sur les quatre tempéraments, disponibles ici. C’est une approche passionnante du sujet, et comme il s’agit de conférences audio vous pouvez les écouter avec vos proches. L’expérience vaut le détour !
En fait, les quatre tempéraments dont parle le révérend Brucciani forment les prémices des huit caractères identifiés par René le Senne et dont nous allons parler. Ces quatre tempéraments sont une espèce de transposition en psychologie de la théorie des humeurs d’Hippocrate, selon laquelle le corps est constitué des quatre éléments fondamentaux : l’air qui correspond au sang (le sanguin, chaud et humide) ; l’eau qui correspond au phlegme (le flegmatique, froid et sec) ; le feu qui correspond à la bile jaune (le bilieux, chaud et sec) ; et la terre qui correspond à l’atrabile (le mélancolique, froid et humide).
Ce système repose donc sur deux critères, la température (introversion/extraversion) et l’hygrométrie (primaire/secondaire). Quand René le Senne propose de substituer au critère « température » les deux autres critères, « l’émotivité » et « l’activité » dont on a parlé la dernière fois, il affine considérablement la grille d’analyse, ce qui permet d’approfondir certains caractères : le mélancolique se divise en nerveux et sentimental ; le bilieux se divise en colérique et passionné ; le flegmatique se divise en flegmatique, amorphe et apathique et le sanguin… Reste le sanguin.
Petit rappel avant de commencer : nous parlons de caractères. Il s’agit donc de dispositions spontanées. Ce n’est pas parce que vous avez réussi à ne pas vous émouvoir dans une situation émouvante que vous n’êtes pas émotif, et ce n’est pas parce que vous avez réussi à vous retrousser les manches dans une situation donnée que vous êtes actif. Il faut vraiment s’intéresser à l’endroit d’où vous partez et non de l’endroit où vous êtes. Cela dit, la frontière entre inné et acquis est vraiment floue… Il semble qu’il serait plus adapté de parler d’habitudes ou d’apprentissages plus ou moins profonds que de structure congénitale fixe, car on constate que l’éducation fait de vraies merveilles ! Et ce que l’éducation ne rectifie pas, la grâce le peut de toute façon donc autant ne pas jeter l’éponge trop tôt.
Nous allons donc nous intéresser aujourd’hui au nerveux, puis au sentimental. Tous deux sont émotifs et inactifs, mais le nerveux est primaire tandis que le sentimental est secondaire.
L’association émotivité-inactivité
Si vous vous souvenez bien ce qu’on s’est dit la dernière fois, l’émotivité constitue l’énergie affective et l’activité est l’énergie mentale, la force de volonté. L’émotivité représente le carburant : la jauge du non émotif est à sec, celle de l’hyperémotif est à ras bord. L’activité, elle, représente la machine : l’inactif a une machine grippée, l’actif a une machine huilée.
Lorsque l’activité est facile, l’émotion fait simplement avancer la machine. Il y a du mouvement, c’est l’action. Lorsque l’activité est difficile, l’énergie s’attarde dans la machine, le mouvement est contrarié, la pression augmente et se traduit en émotion. Et plus l’écart émotivité/inactivité est important, plus ce phénomène s’intensifie pour devenir un complexe, un joli nœud affectif où l’émotion est emberlificotée autour d’elle-même jusqu’à entraver le fonctionnement affectif.
Puisqu’il faut bien fonctionner malgré tout, certaines zones de la vie affective se bloquent dans des automatismes, des protocoles rigides : faute de pouvoir s’adapter, on se met sur pilote automatique. Plus le temps passe, plus ces automatismes se diffusent pour atteindre l’ensemble des sphères affectives, et paralysent de plus en plus la personne. Si celle-ci ne travaille pas sur elle-même, elle risque de s’isoler de plus en plus parce que le lien social est la première compétence de l’affectivité de la personne, ce qui lui permet de se nourrir et d’adapter son fonctionnement. Plus elle est isolée, et moins elle s’en sort.
Ce qui nous intéresse ici, c’est le rapport entre l’émotivité et l’activité. Ce rapport nous montre une piste éducative très importante : chez une personne émotive, moins il y a d’activité, plus le risque de développer des complexes augmente. D’ailleurs ce lien de cause à effet est instinctivement connu chez beaucoup de parents qui comprennent l’importance de pousser les enfants à « faire quelque chose ». Ce qui est intéressant ici c’est que l’activité ne combat pas seulement la mollesse, mais aide à développer la joie et la simplicité.
La joie et la simplicité, voilà l’objectif à poursuivre avec le nerveux et le sentimental. D’aucuns disent – et l’observation me parait plutôt juste – que les complexes psychiques ne concernent, en fait, que ces deux caractères. Ce sont les caractères les plus fragiles, les plus délicat à éduquer et il semble que ce soient les caractères les plus répandus aujourd’hui, si l’on considère l’augmentation de l’émotivité et de l’inactivité de la population occidentale depuis le siècle dernier.
Commençons par le nerveux.
Le nerveux
Emotif, inactif, Primaire. On a la pression interne liée à l’émotivité qui ne peut pas sortir convenablement à cause de l’inactivité, mais le côté primaire permet de ne pas cumuler cette pression dans le temps, ce qui limite l’ancrage des complexes. Concrètement cela donne au nerveux une grande impulsivité, une précipitation qui ressemble fort à de la fuite.
Le nerveux est sensible, souvent vaniteux. Il cherche sans cesse les preuves de l’affection de son entourage, mais son inquiétude pousse cette quête du côté de la jalousie et du contrôle, c’est pourquoi il faut faire attention à ne pas lui montrer trop d’attention. Tant que son inquiétude vis-à-vis du lien n’est pas rassurée avec calme et pondération, il engloutira les marques d’attachement en alternant entre la fusion et la répulsion.
La bête noire du nerveux mal éduqué est la raison froide, distante et impersonnelle. Elle le renvoie à son inquiétude intérieure, et si la confrontation avec elle est trop brutale il va se perdre en fuyant son ennemi. Sa douleur et son inquiétude le rendent capable d’une lucidité fulgurante, typique de la vision poétique. Il cherche à fasciner comme par une revanche sur le monde. C’est le caractère des plus célèbres poètes : enflammé et éphémère.
Il y a quelque chose d’extrêmement volatile chez le nerveux, et le moindre événement est susceptible de le confondre intérieurement, un peu comme un léger coup de vent ferait voler dans toute la pièce un tas de plumes. Il ne manque pas de sincérité dans ses extravagances, il ignore simplement lesquelles de ses émotions sont authentiques et lesquelles sont superficielles. Tant que le nerveux ne comprend pas que c’est sa personne elle-même qui a de la valeur et non ce qu’il déclenche ou ce qu’il génère, il ne se développera pas harmonieusement.
Voilà pourquoi il faut être vigilant à ses propres réactions à proximité d’un nerveux. Ses excès ne doivent déclencher aucune effervescence, juste une réponse calme et presque désintéressée. Si l’on réagit de façon trop perceptible, il va amplifier l’écho pour créer du sensationnel autour de lui. On risque alors de tomber dans le panneau et de prendre des vessies pour des lanternes, d’accorder de la gravité à la fatuité et d’ignorer l’essentiel. Il faut en tout temps avoir comme premier réflexe l’impassibilité, l’analyse discrète pour réagir de façon pondérée et préserver le côté sobre et calme que doit avoir l’environnement du nerveux.
Tant que le nerveux réussi à fasciner, il maintient une diversion qui masque son inquiétude profonde de ne pas être aimé. En fait, il s’agit pour l’éducateur de baigner le nerveux dans une ambiance normale, simple, où il est identifié sans avoir besoin de jouer des coudes. Le nerveux a besoin d’un environnement calme, stable et dépourvu de stimulations excessives (telles qu’écrans, jeux, fêtes, disputes). Il faut lui assurer une place précise dans le groupe, sans que celle-ci soit privilégiée d’une façon ou d’une autre. Ainsi, il s’agit de le rassurer sur sa place, sans l’autoriser à en user abusivement sur les autres, ce qui sera son premier réflexe. Le lien avec ses proches doit être fiable et dépourvu d’effusion, l’adulte doit constamment réajuster la distance en entourant le nerveux d’une ambiance affectueuse discrète, sans aucune déclaration visible d’affection.
Vous le voyez, l’éducation du nerveux est la plus délicate de toutes : il s’agit d’être vigilant en permanence (car il est inconscient et peut faire de grosses bêtises), sans toutefois lui montrer notre vigilance (ce qui ne ferait que l’attiser). Ce caractère, s'il n'est pas éduqué, peut devenir misérable (souffre-douleur qui ne retrouve sa vanité qu'en exagérant sur sa bêtise) ou fantaisiste (papillonne sans cesse, incapable d'achever son travail ou ses projets).
Éducation du nerveux
Premier principe: Réfréner son émotivité abusive, sans la contrarier complètement.
Cadre éducatif
Cela signifie être attentif à ce que l'enfant ne prenne pas goût à s'exciter de façon excessive, en particulier dans le domaine de l’exploration sexuelle (sans quoi le nerveux risque de se dérégler sérieusement, n'étant pas en mesure de se maitriser lui-même).
Ainsi la mère doit habituer l'enfant nerveux à accomplir toutes ses fonctions naturelles sans y attacher aucune attention excessive, en agissant avec un automatisme aussi complet que possible.
L'enfant devra être entraîné à des jeux nettement tournés vers le dehors, pour lui donner le sentiment d'un monde extérieur indépendant de son caprice et possédant ses valeurs intrinsèques.
Il faut l'encourager à l'action dans tout ce qui flatte ses dons naturels, en étant très attentif à ce qu'aucune des obligations enfantines ne soit omise (lui donner le sens du devoir), au besoin en misant sur la vanité puérile de ce caractère pour le pousser à l'action.
Il faut lui faire comprendre ce qu'il gagne à être bien lavé, bien soigné de sa personne; le complimenter sur ses livres et cahiers bien tenus; stimuler son amour de l'ordre et de la discipline en lui facilitant les petites collections dont les enfants sont toujours friands (figurines, cartes à jouer, poupées au trousseau bien fourni).
L'éducateur exigera une grande régularité dans les heures de détente et de travail, et une obéissance immédiate, ne donnant jamais un ordre sans en exiger l'exécution joyeuse et sans commentaire. De fait, un formalisme excessif pousse le nerveux à voir la règle comme un moyen de calcul et de pouvoir plutôt que comme un guide pour se dépasser.
Concernant les devoirs scolaires :
Le parent devra veiller à l’accomplissement des devoirs, et n’attachera pas une importance excessive aux résultats très inégaux du nerveux à l’école. Il valorisera les bons résultats plus qu’il ne sanctionnera les échecs car la vanité du nerveux se charge déjà de cet office (c’est déjà assez humiliant comme ça).
L’éducateur favorisera le penchant naturel du nerveux pour l’histoire, la musique et les arts plastiques pour ramener avec adresse son attention sur les mathématiques, l’orthographe et la grammaire, matières plus laborieuses.
Extra-scolaire :
L’éducateur stimulera l’activité du nerveux en dehors de l’école en lui confiant quelques missions de confiance, pas trop surveillées : courses, commissions, petits travaux où la plus grande part est laissée à sa fantaisie.
Familial :
Il faut veiller à ce que le nerveux s’intègre parmi ses frères et sœurs sans les déranger par ce mélange de taquinerie agressive et d’affection tyrannique qui est le propre du nerveux. Mais il faut veiller aussi à ce que l’espace vital du nerveux soit énergiquement défendu contre tout empiétement de la part des aînés dont les études et les distractions ont vite fait de casser le rythme de la maison, et de la part des cadets qui accaparent volontiers l’attention des parents. Il faut se souvenir que le nerveux réclame sa vie durant l’affection la plus manifeste.
L’objectif sera pour les parents non pas seulement d’être attentif à cela, mais de faire en sorte que chaque membre de la famille le soit aussi afin d’entourer le nerveux d’une sorte de complicité d’affection dans laquelle il se sentira délicieusement investi. Ce sera alors l’occasion de le mobiliser : l’imitation des plus grands encouragera ses capacités naturelles à créer et à inventer, et la protection des plus jeunes sublimera son besoin de vanité et d’affirmation de soi.
Les progrès sociaux du nerveux se remarqueront par l’arrêt de la bouderie (due à son manque réel ou à priori d’attention de la part de son entourage).
L’école :
Avec le nerveux, la sévérité qui ne porte que sur l’instant et qui accroît la tension des rapports sociaux est contreproductive.
Il faut intéresser le nerveux, lui montrer de l’estime et de l’affection, l’impressionner par son savoir et au besoin par des réactions de calme et de force face à des explosions passagères. Il faut surtout s’efforcer de l’intégrer dans la communauté scolaire plutôt que de l’ostraciser.
Voilà pour le nerveux. Si vous souhaitez davantage de détails, reportez-vous au livre d’André le Gall dont nous avons déjà parlé Caractérologie Des Enfants Et Des Adolescents À L'usage Des Parents Et Des Éducateurs.
Le sentimental
Souvent confondu avec le nerveux par ceux qui sous-estiment leur commune émotivité et leur manque d’activité, le sentimental se distingue – voire s’oppose - au nerveux comme le plus décidé des secondaires face au plus léger des primaires.
De fait, le sentimental est très facile à exciter et à énerver, il est d’humeur extrêmement variable au point de ressentir dans son affectivité les changements météorologiques. Mais l’impulsivité extrême du nerveux a disparu, matée par le coup de frein de la secondarité. L’émotivité du sentimental est comme prisonnière dans son corps, à la façon d’un indien paralysé par le curare, corps vivant prisonnier d’un corps mort (Claude Bernard). Cela donne un excès de pression avec un défaut d’expression.
Le type sentimental semble définir bon nombre d’adolescents, comme un passage psychologique obligé dans le développement psychique, mais il est vite balayé par la vie quand il ne s’agit pas du caractère réel de l’individu. Puisque ce caractère est difficile à identifier, il faudra se concentrer sur l’attitude générale de l’enfant et non sur tel ou tel détail. En particulier, le comportement social sera déterminant. Notamment, le repli sur lui-même du sentimental sera d’autant plus profond qu’il a été choqué violemment. Ce choc sera visible à travers sa réaction à la réprimande, qui déclenchera la retraite générale de toute sa personne.
Tout comme pour le nerveux, l’émotivité du sentimental est pressurisée par l’inactivité, ce qui génère de l’impulsivité et des complexes. Cependant, la primarité du nerveux limite l’ampleur de celle-ci et la profondeur de ceux-là, ce qui n’est pas le cas pour le sentimental. On a donc une impulsivité qui n’est pas spontanée mais différée, ce qui lui donne un côté aussi disproportionné qu’inattendu, et des complexes particulièrement ancrés. Ainsi, l’objectif éducatif principal doit porter sur l’introversion du sentimental car plus l’introversion est forte chez ce caractère, plus les troubles sont importants.
La secondarité du sentimental, si elle donne plus de prise aux habitudes, reste un danger pour ce caractère dans le sens où elle l’emprisonne dans le passé, lui faisant sempiternellement manquer le train du présent. Du coup, l’avenir concret est dissuasif pour ce caractère : il lui préfère un idéal de perfection, qui a d’ailleurs le grand avantage d’être abstrait. Le sentimental, à cause de sa grande sensibilité, est constamment blessé par le réel, d’où son pessimisme et sa tendance au repli sur soi.
L’idée est donc de l’encourager en permanence à entrer en contact avec le réel des relations à travers le sport, des projets, etc… Sans pour autant confronter le sentimental directement avec ses difficultés, car alors on lui donne l’occasion de déployer toute sa rhétorique du découragement. C’est pourquoi il faut faire preuve d’une grande patience avec lui, et accepter son côté fleur bleue. D’ailleurs, sa tendance naturelle à se flageller n’a pas besoin d’être excitée par des sanctions.
Dans son livre cité plus haut (p.167), André le Gall explique qu’il faut « entourer l’enfant et l’adolescent sentimental de beaucoup d’indulgence, ne jamais souligner ses défaillances, mais préciser devant lui un but auquel il doit tendre, puis un autre, puis un autre encore. Le premier but atteint, il faut que l’attention s’en détache bientôt pour se porter en avant. On confiera donc le résultat acquis aux bons soins de la répétition et de l’habitude. » La force de l’habitude, si puissante chez le sentimental, le conduira à l’autonomie. « Il faut amener le sentimental à oublier, à accepter le passé, à adopter le « ce qui est fait est fait » et par-dessus tout, ne lever ses scrupules que pour l’en libérer gaiement. »
Le sentimental est sérieux, doué de cœur et de sensibilité, attentif, d’une bonne volonté extrême : parce qu’il se dénigre spontanément, l’influence extérieure ne peut qu’être meilleure que lui (à ses yeux du moins). Une fois gagnée son estime, rien de ce qu’on lui dit n’est perdu. Mais le grand défi est de s’ouvrir au monde extérieur, notamment à l’école - qui pourtant lui correspond si bien qu’une fois intégré il a bien du mal à en sortir et cumule les diplômes, doctorats, etc...
Il faut préserver à la maison son goût de la dignité et de l’ordre collectif, et lui laisser toujours la possibilité de s’évader. Ainsi on veillera à lui laisser un espace strictement réservé, son « empire » (chambre ou débarras) et surtout il faut fermer les yeux sur ses explorations dans le grenier, à la cave, dans un jardin abandonné, bref partout où le conduit son besoin de mystère et de poésie. Ce sera pour lui l’occasion de jouer à l’ordre ou à la fantaisie, ces deux dimensions de son répertoire.
Malgré sa délicatesse et son goût de l’idéal, le sentimental est loin d’être un ange et peut s’enfermer dans une paresse d’autant plus entêtée qu’elle semble justifiée aux yeux de l’intéressé. D’abord il se replie parce que telle ou telle discipline ne l’intéresse pas, et ensuite parce que son sens de la justice (qui réclame toujours une compréhension particulière à son endroit) a été heurté d’une façon ou d’une autre.
Si la mélancolie qui l’attire constamment s’installe, le sentimental risque de couper les amarres avec ce monde si rustre pour s’enfoncer à la moindre occasion dans des névroses d’opposition, de persécution ou de surcompensation.
Le but de l’éducation du sentimental sera de s’opposer autant que possible au développement de cette mélancolie morbide, en favorisant tout ce qui peut susciter dans l’enfant une action joyeuse et un accord avec la réalité.
Cet accord avec la réalité sera compromis si l’environnement du sentimental manque de stabilité, de calme, et si son entourage n’est pas suffisamment compréhensif. Cela signifie pas de distraction brutale, pas d’apparition ou de disparition brusque d’un proche ou d’un objet sans transition, pas de scène de famille (sinon il risque de fuguer). Il faut le préparer spécialement à chaque changement (déménagement, départ d’un aîné, etc…) voire lui faire jouer un rôle dans ces événements de vie.
Et surtout, surtout, il faut montrer au sentimental que nous, les adultes, nous avons confiance en la réalité comme en ce qui surplombe tous les rêves. En tant que parents, il ne faut pas perdre une occasion de valoriser un acte concret (jeu, service rendu, réalisation artistique ou autre) par rapport à un discours, une pensée généreuse, un film... Le sentimental c’est de la graine de philosophe, tout comme le nerveux c’est de la graine de poète.
Le bonheur et l’évasion du sentimental réside dans son art de spéculer, c’est pourquoi il faut toujours le ramener sur terre et l’encourager à passer de la pensée à l’action. Typiquement, le sentimental est celui qui croit avoir fait ou dit quelque parce qu’il l’a pensé très fort. Il faut donc lui apprendre le pragmatisme comme la meilleure des philosophies. Bien sûr j’exagère, le pragmatisme est un rejet de l’esprit comme réalité et en soi ce n’est donc pas une philosophie vraiment réaliste. Mais vu que le sentimental a tendance à se cloîtrer dans son esprit, en ne valorisant que les actes on va l’aider à atteindre un juste milieu, entre l’inné et l’acquis.
Une dernière chose au sujet de ce caractère : autant chez le nerveux la bouderie, la jalousie et le côté un peu pervers de la personne montre qu’il faut encore travailler son impulsivité, autant chez le nerveux dont l’éducation n’est pas assez contenante on rencontre souvent trois difficultés particulières qui se suivent : l’énurésie, l’onanisme et la fugue. Ces trois difficultés sont liées, elles ne sont bien sûr pas systématiques mais il faut les prendre pour ce qu’elles signifient chez le sentimental : une difficulté à sortir de soi, à quitter le monde fascinant de l’imagination.
Si vous avez bien suivi les derniers articles de l’option GKC, vous remarquerez que la tentation du sentimental n’est autre que l’idéalisme, tout comme la tentation du nerveux n’est autre chose que le sensualisme. Le sentimental conçoit la vérité comme une chose éthérée, inaccessible et au-delà du réel (celui-ci n'ayant, au fond, que peu d’importance) ; et le nerveux confond la vérité et la sincérité, repoussant toute objectivité au profit de l’instant, de la sensation. Il semble aussi, en forçant le trait, que le combat du nerveux est, à l’origine, un combat plutôt féminin tandis que le combat du sentimental est un combat plutôt masculin. Mais ce n’est qu’une hypothèse à creuser…
Voilà pour ces deux caractères, encore une fois pour plus de précisions lisez le livre d’André le Gall, qui est très bien fait.
Bonne semaine !
24/07/2022
Bonjour !
Aujourd’hui, je vous propose de parler de caractérologie. Cet article est une introduction du sujet, si je calcule pas trop mal on devrait avoir cinq articles en tout sur la question.
Comme nous avions pu le voir dans l’article sur les deux forces de l’âme, le caractère est considéré comme le squelette mental de l’homme. Etudier les différents types de squelette qui existent permet de faire un joli pied de nez à tous ceux qui affirment sans rougir que l’homme n’est qu’un produit social, déterminé par les circonstances et dénué de volonté propre, entièrement soumis aux influences extérieures, et blablabla. Avec la caractérologie, nous passons d’un tableau statistique de l’humanité en noir et blanc à un tableau plein de couleurs, bien plus vivant.
Au-delà des frontières naturelles que sont le sexe et les générations, explorer les différents caractères permet de comprendre une chose essentielle : nous ne fonctionnons pas tous de la même façon. Nous n’avons pas besoin des mêmes choses, et laissés à nous-mêmes nous ne retombons pas tous dans les mêmes travers. Rappelons quand même avant de commencer que le caractère ne détermine bien sûr pas toute l’identité de la personne humaine. Outre l’éducation que nous avons reçue, outre tout ce qui nous est arrivé dans notre histoire il y a l’exercice de notre libre arbitre, qui va - avec les habitudes que nous prenons - déterminer notre personnalité.
Le modèle de caractérologie dont nous allons parler ici est tiré du travail de René le Senne (Traité de caractérologie), de P. Mesnard (Education Et Caractère) et surtout d’André le Gall (Caractérologie Des Enfants Et Des Adolescents À L'usage Des Parents Et Des Éducateurs).
Il s’agit d’ouvrages parus dans les années 50. Les auteurs sont de la bonne vieille école et n’étaient pas encore contaminés par l’irruption des valeurs démocratiques (ou socialistes, la nuance entre ces deux termes est parfois subtile) dans le domaine de la pédagogie. A l’époque, les adultes n’étaient pas aussi empressés de prendre la place des enfants et de donner à ces derniers leur propre place. On assumait encore son rôle d’éducateur. Bref.
Ce qui m’intéresse tout particulièrement dans cette méthode de caractérologie, c’est qu’elle ne cache pas ses rouages. Pour René le Senne, le fondateur de cette école, l’esprit humain est un équilibre de trois dimensions : l’émotivité, l’activité et le retentissement des représentations. C’est l’équilibre de ces trois dimensions qui va permettre de déterminer le caractère. Par la suite, les auteurs ont ajouté d’autres dimensions mais je pense qu’il est bon de s’en tenir à ces trois-là, parce que la recherche de l’exhaustivité complète n’est pas souhaitable. La caractérologie est un outil pratique, il vaut mieux ne pas en faire une clé de lecture universelle. Ce qui est une tentation énorme, vous en conviendrez.
S’il est bon de s’intéresser à la caractérologie pour comprendre certaines différences entre les personnes, il ne faut pas que cette science nous enivre au point de nous faire refuser le mystère de l’autre, de la rencontre avec notre prochain. « Seul vit vraiment celui qui vit sa vie comme un mystère ». Sachons rester sobres, et admettre que la vie de chacun est un mystère qui ne concerne, au fond, qu'elle et Dieu. Veillons à ne pas enfermer l’autre dans une boite sous prétexte que nous avons lu quelque élucubration alambiquée dans un blog obscur.
L’émotivité
Commençons. L’émotivité est le critère le plus parlant. C’est en général plutôt facile de savoir si quelqu’un est émotif ou non. Mais attention : pour mesurer l’émotivité de quelqu’un, il faut d’abord faire la part des choses. Si vous prenez le caniche adoré d’une pauvre vieille dame et que vous le piquez sous les yeux de la pauvre vieille dame, il risque d’y avoir de l’émotion chez cette pauvre vieille dame. Toutefois, cette émotion ne vous donnera pas beaucoup d’information. Ça marche dans l’autre sens : si l’événement n’intéresse en rien la personne, vous aurez peu d’indice sur son niveau d’émotivité. Il faut donc s’assurer que la personne soit un minimum concernée par la survenue d’un événement habituel et objectivement minime. Si la personne est ébranlée, alors on va considérer qu’elle est émotive.
L’émotivité se mesure sur une échelle de 1 à 10, au-dessus de 5 la personne est dite émotive (noté E) et en-dessous elle est considérée comme non émotive (noté nE).
L’émotivité est considérée comme l’énergie affective. Il est impossible d’être complètement dépourvu d’émotivité. Un individu qualifié de « non-émotif » est, en fait, un individu faiblement émotif par rapport à ses congénères. Emotif ou non émotif, ce qui nous intéresse c'est le niveau d'excitation nécessaire pour libérer cette énergie affective. En fait, pour être précis l’énergie en question n’est ni complètement dans la personne, ni complètement dans l’environnement ; elle naitrait plutôt de l’interaction des deux. Ainsi, la personne hyperémotive présente une sensibilité globale telle que la moindre stimulation suffit à ébranler sa contenance affective, elle suffit à l’émouvoir.
Il faudrait aller plus loin, et s’intéresser au développement de l’émotivité. Outre les prédispositions congénitales, l’émotivité s’amplifie ou s’atténue en fonction des stimulations externes et internes (en particulier dans le domaine de l’imagination). On peut donc en quelque sorte l’éduquer, de l’extérieur comme de l’intérieur. Il suffit de voir l’impact de la société de divertissement sur l’émotivité globale de la population : depuis au moins un siècle on constate un accroissement vertigineux de la proportion d’émotifs dans la population.
A ce sujet Peter Weir, réalisateur australien, fait une observation très intéressante dans l’une de ses interviews. Il explique avoir été marqué par l’expression des jeunes gens lorsque le mur de Berlin est tombé en 89. Selon lui, ces individus n’avaient pas été élevés avec des caméras, ils ne savaient pas ce que c’est que d’être filmé. Ils ont grandi dans l’inconscience de leur image, et cela se voyait dans leur regard. Pour notre génération, nous n’avons jamais connu autre chose, nous avons grandi en parallèle de notre image photographiée ou filmée, nous avons appris à ressentir et à montrer de l’émotion. Nous avons atteint un niveau de raffinement dans l’émotion sans précédent dans l’histoire.
Il s’agit en l’occurrence d’une éducation passive, d’une éducation par l’environnement, la plus puissante qui soit. Ce raffinement dans l’émotion suit la norme sociale, portée notamment par la culture audiovisuelle actuelle. Et cette culture n’est pas neutre. Par exemple, nous sommes capables de visionner des images d’une violence invraisemblable sans sourciller, et de nous émouvoir devant une scène romantique quelques instants après. Sans rabâcher sur la culture de mort ou l’idéologie woke - d’autres sites font ça très bien -, il suffit de dire que cette culture n’est pas celle du Royaume des Cieux. Mais là aussi c’est pas un scoop, nous savions dès le départ que le Royaume de notre Maître n’est pas de ce monde.
Toujours est-il qu’il est intéressant de comparer notre émotivité à celle du curé d’Ars, par exemple. Saint Jean-Marie Vianney pouvait pleurer quand il voyait quelqu’un passer devant le tabernacle sans s’agenouiller. Notre raffinement ne va pas jusque-là : il s’arrête aux portes de l’âme et ne s’émeut que devant la souffrance ou la mort physique. Nous sommes capables de prodiges d’imagination pour ressentir les émois de telle ou telle personne, mais en revanche nous banalisons bien souvent l’eucharistie, les sacrements, la prière, la miséricorde et le péché. Dans le domaine de la vie de l’âme aussi, il nous arrive de détourner certaines émotions, de passer d’un regard d’adoration à un regard de complaisance émotionnelle. Je pense en particulier à la musique sacrée : c’est un art magnifique, mais dont la beauté risque de conduire les artistes et l’assemblée à rechercher l’émotion pour elle-même et non comme moyen pour s’ouvrir au Seigneur.
Puisque nous sommes aujourd’hui des « champions » de l’émotivité, il serait bon d’user de notre sensibilité pour nous tourner vers Dieu, pour chercher à éprouver le mystère de la relation au Seigneur. Entendons-nous bien : le sentiment religieux n’est absolument pas un guide dans notre vie de foi, mais c’est un bon outil. D’ailleurs, nombre de saints recommandent de s’exciter à désirer la vertu. Une rééducation de notre sensibilité parait donc opportune.
Je suis parti un peu loin. Nous disions donc que l’émotivité est l’énergie affective de la personne. Avant de passer à l’activité, il faut préciser une chose importante : l’émotivité peut s’exprimer de deux manières différentes. Lorsque l’action est possible, l’énergie affective devient une tendance active. Lorsque l’action est empêchée, cette énergie affective devient une émotion ressentie. C’est très important de comprendre ça, parce que cela concerne l’articulation entre émotivité et activité.
L’activité
Il s’agit de la deuxième dimension, bien moins évidente que la précédente. L’activité, c'est la disposition spontanée d'un individu à agir de lui-même. Il ne s’agit pas simplement de la capacité à agir, mais de la capacité à agir volontairement. On pourrait donc dire que l’activité est l’énergie mentale de la personne, tout comme l’émotivité est son énergie affective. Attention il ne faut pas confondre l’activité dont on parle ici et l’activité dont on parle en général. Un enfant hyperactif n’est pas forcément considéré comme "actif" sur le plan caractérologique, parce que son activité n’est pas volontaire. La volonté, c’est tout ce qui fait la différence entre un actif et un inactif. Par exemple, en cas d'obstacle la détermination de l’actif est renforcée, alors que l’inactif en est découragé.
L’activité se mesure un peu à l’inverse de l’émotivité. Autant il y a toujours un fond d’émotivité en l’homme, autant il y a toujours un fond d’inactivité en lui aussi. On va donc mesurer la capacité de l’homme à secouer le joug de l’inactivité de ses épaules. Si ce joug pèse en général très lourd, on va dire que la personne est inactive (noté nA). Si ce joug pèse peu en général, on va considérer que la personne est plutôt active (noté A).
On remarque que l’émotivité vient de l’extérieur (stimulations externes et imagination), tandis que l’activité dépend plutôt de l’intérieur. En fait, la racine de l’activité parait plus profonde que la racine de l’émotivité, elle a l’air plus proche de la volonté. Mine de rien, passer de la puissance à l’acte volontaire constitue un mystère en lien étroit avec notre libre arbitre. Il est donc bien plus facile de susciter de l’émotivité que d’entrainer à l’activité. Toutefois, une chose est sûre : au-delà des prédispositions congénitales, seule l’habitude peut aider dans ce domaine. Et plus les habitudes sont ancrées, plus l’action volontaire devient facile. Exactement comme pour les vertus.
Pour comprendre l’articulation de l’émotivité et de l’activité, on peut considérer que l’activité est une machine - mettons un tracteur - et l’émotivité est le carburant que l’on met dans ce tracteur. Plus la personne est émotive, plus la quantité de carburant mise dans le tracteur est importante. Plus la personne est active, plus les rouages du moteur sont huilés. Si elle est bien huilée, un peu de carburant lui suffit pour aller loin. Au contraire, si la personne est inactive la machine est comme grippée, elle aura besoin de beaucoup de carburant pour avancer.
Qu’en est-il de l’évolution de l’activité au cours du siècle passé ? Là aussi il semble que l’évolution de la société a plutôt favorisé l’inactivité. Pour le coup ce n’est pas tellement en raison de la société de divertissement, mais plutôt de la société de consommation. Si on rajoute l’automatisation des tâches, le fait que la plupart des personnes travaillent sur ordinateur, on ne peut pas dire que l’activité volontaire soit encouragée.
A cela s’ajoutent deux remarques :
1) le virtuel est une activité dissuasive. Mine de rien, les écrans sabotent notre capacité à agir, parce que quand on y réfléchit il ne se passe strictement rien quand on travaille sur ordinateur, qu’on est sur son smartphone ou devant la télé. Rien de physique n’est créé. Quand on écrit sur du papier, une trace matérielle est laissée dans la création. Même quand on lit, on tourne des pages physiquement. Ça n’a l’air de rien mais c’est aussi à travers toutes ces petites choses que nous existons, que nous nous nourrissons. Nous ne sommes pas qu’un esprit, et à force d’oublier que notre âme ne fait qu’un avec notre chair nous négligeons tous ces repères qui nous donnent de la consistance.
2) L’activité, la capacité à agir de façon volontaire, s’appuie en grande partie sur le sens du devoir. Or ce sens du devoir est en voie d’extinction. Aujourd’hui, une partie de nos actes est posée par habitude, et une autre partie par intérêt. Mais l’habitude a besoin d’être nourrie par un moteur, et là aussi on retrouve dans la plupart des cas notre intérêt à travers la satisfaction des besoins élémentaires, le respect de la norme, le ratio pertes/profits, le plaisir etc… C’est comme ça que nous parlons à nos enfants pour justifier tel ou tel acte, c’est comme ça que nous nous parlons à nous-mêmes et c’est comme ça qu’on nous parle. Mais le devoir n’est plus un argument en soi.
Le problème, c’est que seul le sens du devoir peut nous pousser à agir de façon volontaire dans les moments où notre intérêt ne coïncide pas immédiatement avec l’acte juste à poser, seul le sens du devoir nous aide à maintenir le cap lorsque notre intérêt n’est plus concerné par notre activité. Le sens du devoir est ce qui permet à l’individu d’agir à son échelle pour le bien commun. En fait, c’est le moyen privilégié pour exercer les vertus cardinales - qui ne sont rien d’autre que le déploiement de la volonté dans sa plénitude. Comme on a pu le dire dans les derniers articles, le sens du devoir c’est la première voie de mortification, ce qui permet de nous faire comprendre où se trouve notre croix.
Bref, le ratio d’activité est en chute libre.
Le retentissement des représentations
On pourrait dire que les personnes primaires sont plus sensibles à la concupiscence de la chair et à la concupiscence des yeux, et que les personnes secondaires sont plus sensibles à l’orgueil de la vie. Si on reprend le caractère colérique, il est manifestement plus porté à la concupiscence qu’à l’orgueil de la vie. On l’approfondira le mois prochain, vous verrez. Les primaires peuvent se mettre en pétard, mais leur colère est immédiate. Ils pètent une durite, puis continuent leur chemin comme avant. Le secondaire, en revanche, ne va pas se mettre en colère à la première frustration. Mais il n’oublie pas. Il ne va pas se mettre en colère à la deuxième frustration. Mais il n’oublie toujours pas. Et quand vient la troisième frustration, la colère ne survient pas: elle éclate comme le tonnerre, en disproportion totale avec l’événement déclencheur. C’est bien de la colère. Cela ne signifie pas que la colère du primaire n’est pas impressionnante, mais pour celui-ci elle n’est qu’un événement dans sa journée. Pour le secondaire, c’est l’événement de la semaine, du mois, de l’année. Il est en entier dans sa colère.
Nous avions fait le rapprochement entre la primarité et les passions concupiscibles (appelées un peu généreusement concupiscence par le cardinal Antoniano), et entre la secondarité et les passions irascibles (appelées colère, toujours avec la même générosité). Un lecteur m’a fait la remarque très pertinente que le caractère du colérique est primaire, donc que ça ne colle pas : comment peut-on être primaire et colérique ?
Il y a deux niveaux de réponse. Le premier niveau est que cette confusion est en grande partie ma faute (et un peu celle du cardinal quand même). Regrouper sous le nom de colère toutes les passions irascibles, c’est plus lisible mais ça fait reculer le schmilblick. Il y a des colères qui sont plus proches d’une crise de concupiscence que d’une passion irascible. Rappelons que les passions concupiscibles désignent le mouvement de l’homme vers un bien quand il n’y a pas d’obstacle, et les passions irascibles désignent le mouvement vers un bien quand ce mouvement est entravé par un obstacle. On a donc quelque chose de plus centrifuge dans les passions concupiscibles (et dans la primarité), et quelque chose de plus centripète dans les passions irascibles (et la secondarité).
On pourrait dire que les personnes primaires sont plus sensibles à la concupiscence de la chair et à la concupiscence des yeux, et que les personnes secondaires sont plus sensibles à l’orgueil de la vie. Si on reprend le caractère colérique, il est manifestement plus porté à la concupiscence qu’à l’orgueil de la vie. On l’approfondira le mois prochain, vous verrez. Les primaires peuvent se mettre en pétard, mais leur colère est immédiate. Ils pètent une durite, puis continuent leur chemin comme avant. Le secondaire, en revanche, ne va pas se mettre en colère à la première frustration. Mais il n’oublie pas. Il ne va pas se mettre en colère à la deuxième frustration. Mais il n’oublie toujours pas. Et quand vient la troisième frustration, la colère ne survient pas elle éclate comme le tonnerre, en disproportion totale avec l’événement déclencheur. C’est bien de la colère. Cela ne signifie pas que la colère du primaire n’est pas impressionnante, mais pour celui-ci elle n’est qu’un événement dans sa journée. Pour le secondaire, c’est l’événement de la semaine, du mois, de l’année. Il est en entier dans sa colère.
Le deuxième niveau de réponse est que cette confusion est aussi de la faute à René. Le Senne a choisi d’appeler le caractère « colérique » alors que la colère n’est qu’une partie du personnage, d’ailleurs pas vraiment représentative. C’est pourquoi André Legall préfère l’appellation « actif exubérant », un peu plus laborieux mais moins connoté.
Il semble qu’à notre époque, la société favorise la primarité dans le retentissement des représentations. Ce serait une conséquence directe du délitement des liens sociaux, de l’éclatement des familles. Puisque les relations familiales ne sont plus indissolubles, il est plus simple de vivre dans l’instant plutôt que de s’attarder sur les blessures. Force est de constater, en effet, que le primaire s’adapte mieux à court terme que le secondaire. Sur le long terme, en revanche, la stabilité du secondaire prévaudra.
Présentation des caractères
A travers cette introduction, nous avons pu voir que les caractères sont influencés par les circonstances extérieures. Ils peuvent être influencés volontairement par les dispositions éducatives de l’entourage, et ils le sont de toute façon par l’environnement. Cela nous laisse des pistes intéressantes à explorer pour chacun des huit caractères qu’on va étudier dans les prochaines semaines.
Voici ci-dessous chaque caractère avec la faiblesse à travailler, le type de mensonge et le détail de la composition du caractère :
Caractère | Faiblesse | Mensonge (fréquence) | Détail |
Nerveux | Impulsivité | Inconséquent (très fréquent) | Emotif Inactif Primaire (EnAP) |
Sentimental | Introversion | Défensif (fréquent) | Emotif Inactif Secondaire (EnAS) |
Colérique | Fougue | Exagération (fréquent) | Emotif Actif Primaire (EAP) |
Passionné | Orgueil | Technique (fréquent) | Emotif Actif Secondaire (EAS) |
Sanguin | Mobilité | Insouciant (très fréquent) | Non émotif Actif Primaire (nEAP) |
Amorphe | Paresse | Facilité (fréquent) | Non émotif inactif Primaire (nEnAP) |
Flegmatique | Froideur | (très peu fréquent) | Non émotif Actif Secondaire (nEAS) |
Apathique | Routine | Perversité (très fréquent) | Non émotif inactif Secondaire (nEnAS) |
Je vous propose dans les articles qui reprendront ce sujet de nous pencher à chaque fois sur deux caractères : nerveux et sentimental, colérique et passionné, sanguin et amorphe, apathique et flegmatique. Et surtout n’hésitez pas si vous avez des commentaires à faire, des remarques ou des questions. Il n’y a pas de question bête, si ça vous taraude c’est forcément intéressant.
Bonne semaine !
10/10/2021
Aujourd'hui, je vous propose de lire un article paru dans la revue nicodème, que j'ai eu le droit de publier ici aussi. Attention il traite de psychologie, je pense qu'il faut être intéressé par ce domaine pour le lire de bout en bout. à toutes fins utiles, donc!
"La psychologie fait rêver aujourd’hui. En société, quand je me présente comme psychologue, une bulle se crée autour de moi. C’est très flatteur : la plupart des gens me disent qu’ils sont très intéressés par la psychologie, beaucoup affirment même avoir commencé des études de psychologie, ou lu des livres sur le sujet. Les jeunes me demandent de leur révéler des choses sur eux, sur leur caractère, leur fonctionnement. Ils sont hypnotisés par l’analyse qu’ils me prêtent. Les moins jeunes me font souvent part sans détours d’une expérience difficile, parfois même intime, qu’ils vivent ou qu’ils ont vécu. Certains encore se justifient avec anxiété de l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants, d’autres évoquent un proche ou un manager qui « ne tourne pas rond ». Pas de doute : la psychologie parle à tout le monde. Et ce phénomène est général : entre 2010 et 2018, le nombre de psychologues en France a doublé[1].
Remarquez, il n’en a pas toujours été ainsi. Pascal Le Maléfan observe : « La prise en compte de la souffrance psychique est […] aujourd’hui largement attribuée aux psychologues. À titre de comparaison, un ouvrage publié en 1971 sur l’image du psychologue clinicien (Matisson) analysait une enquête faite auprès du public sur les fonctions du psychologue ; il en ressortait que les trois quarts des réponses en faisaient « un homme de science et un spécialiste», le quart restant l’identifiait, mais de manière discrète et floue, à un thérapeute, un sélectionneur, une aide. »[2]
Mais qu’est-ce donc que le psychologue ? L’étude de la psyché se décline aujourd’hui en de multiples domaines. Deux courants majeurs se discernent cependant : le courant expérimental et le courant analytique. Pour résumer, la première approche étudie l’homme depuis l’extérieur, et la seconde l’étudie depuis l’intérieur.
Après nous être penchés sur le courant expérimental, nous verrons le courant analytique, pour ensuite nous intéresser à la place de la foi dans tout ça.
Le courant expérimental
Ce domaine de la psychologie aborde l’homme d’un point de vue qui se veut le plus scientifique possible. Le courant expérimental appréhende l’homme à l’instar de la médecine contemporaine, autrement dit l’homme est une machine complexe qui peut s’enrayer ou se casser et qu’il faut alors réparer. Il s’agit de cataloguer à l’aide de statistiques la normalité de ce fonctionnement humain sous toutes ses coutures. Cela permet de détecter quand le comportement d’une personne s’écarte de la norme, et de proposer des stratégies adéquates permettant à l’individu de retrouver un fonctionnement adapté.
Dans ce domaine, le psychologue se présente comme un expert, un spécialiste qui par sa connaissance de l’homme est en mesure de répondre aux difficultés quotidiennes que rencontrent les individus. Comme chez le médecin, le patient va chez le psychologue pour qu’on lui dise ce qu’il a, et ce qu’il doit faire pour aller mieux.
Malgré les prétentions scientifiques de cette psychologie, le philosophe G. Canguilhem remarque[3] : « La psychologie ne peut pas, pour se définir, préjuger de ce dont elle est appelée à juger. Sans quoi, il est inévitable qu'en se proposant elle-même comme théorie générale de la conduite, la psychologie fasse sienne quelque idée de l'homme. Il faut alors permettre à la philosophie de demander à la psychologie d'où elle tient cette idée et si ce ne serait pas, au fond, de quelque philosophie. »
De fait, en abordant l’individu d’une manière qui se veut objective, le courant expérimental repose sur une certaine vision de l’homme. En premier lieu, toute forme de subjectivité dans l’analyse est écartée, c’est-à-dire que le fonctionnement habituel de l’homme est réduit à une « normalité » statistique. Ainsi, on présuppose que le bien de la personne[4] réside dans l’adaptation à son environnement. De cette manière, le comportement de l’homme est déduit de la synthèse des facteurs environnementaux tels que la classe sociale, l’éducation, etc…
Remarques
Ces considérations s’appuient sur une vision déterministe selon laquelle l’homme n’est pas vraiment libre de ses actions ; il ne ferait qu’agir en réaction aux influences sociales et environnementales qui s’exercent sur lui en permanence. De là à réduire l’homme à un simple objet entre les mains du destin, il n’y a qu’un pas : « A l'utilitarisme, impliquant l'idée de l'utilité pour l'homme, l'idée de l'homme juge de l'utilité, a succédé l'instrumentalisme, impliquant l'idée d'utilité de l'homme, l’idée de l'homme comme moyen d'utilité. L'intelligence n'est plus ce qui fait les organes et s'en sert, mais ce qui sert les organes[5]. […] Pour une psychologie où le mot âme fait fuir et le mot conscience, rire, la vérité de l'homme est donnée dans le fait qu'il n'y a plus d'idée de l'homme, en tant que valeur différente de celle d'un outil.[6] »
En cherchant à aborder l’homme avec un regard dépouillé de tout préjugé, les défenseurs du courant expérimental se sont concentrés uniquement sur la partie visible de l’iceberg, et ont refusé de considérer l’âme ou la conscience autrement que comme des résultats de l’environnement. En privant l’homme de toute forme de transcendance, ils ont transformé le sujet en objet. L’inspiration, la créativité, et toute forme de fécondité sont mortes, réduites aux conséquences logiques des circonstances.
Sur ce point, la forme que prend l’enseignement des promoteurs de ce courant parle de lui-même. Beaucoup s’empressent dans leurs démonstrations magistrales de briser l’idée de liberté individuelle chez les étudiants, soutenant leurs propos par de nombreuses et sensationnelles expériences sociales. Cela conduit G. Canguilhem à s’interroger : « Qu'est-ce qui pousse ou incline les psychologues à se faire, parmi les hommes, les instruments d'une ambition de traiter l'homme comme un instrument? »[7]
En réalité cette ambition, cet empressement, paraissent liés à une forme de zèle idéologique très en vogue aujourd’hui, s’il ne date pourtant pas d’hier. En proclamant que l’homme n’est qu’une chose qui fonctionne, il s’agit de briser l’orgueil des hommes qui, semble-t-il, a tant dévasté l’Histoire de notre planète. En lui refusant toute transcendance, il s’agit de faire la morale à l’Humanité entière. Il s’agit aussi de s’appuyer sur les progrès de la science pour s’arroger une lucidité sans précédent, ce qui permet de critiquer sans réserve le passé: aujourd’hui, nous savons ce qu’il en est de toutes ces croyances surannées, autant de superstitions dont la fatuité a si bien été percée à jour par notre Science. Finalement, cette force que les anciens attribuaient à la foi en Dieu, nous la trouvons maintenant décuplée par l’autorité de la Science, dans les prouesses techniques qu’elle nous présente.
Le grand avantage de cette nouvelle religion - n’ayons pas peur des mots - c’est qu’elle convient apparemment à toutes les idéologies : certains écologistes, dont la vénération de la nature conduit parfois à assimiler toute prévalence de l’Homme sur les espèces animales ou végétales comme une prétention sans fondement ; les marxistes, qui trouvent dans cette réification une égalité parfaite ; et les capitalistes invétérés, pour qui l’homme est finalement plus pratique comme outil de production.
La philosophie qu’induit le courant expérimental exerce une telle séduction sur nos esprits qu’on assiste aujourd’hui à une popularité immense du psychologue, le « prêtre » de cette religion inavouée. Puisque l’on fait désormais l’impasse sur l’âme, l’homme n’a plus rien à cacher, plus rien à protéger. On va donc chez le psychologue pour redevenir fonctionnel, pour parvenir à une meilleure adaptation, voire parfois pour s’optimiser, dans ce dernier cas le psychologue devient « coach ». Cette approche de l'homme comme objet s'assimile alors au transhumanisme. Par ailleurs, la psychologie elle-même se vulgarise : il devient tentant d’analyser soi-même une situation ou une personne à l’aide de théories psychologiques.
Il ne s’agit plus de faire confiance à l’expérience humaine, au bon sens de ses proches, mais de s’instruire de la science psychologique, qui surpasse l’expérience. La famille éclate, elle s’ouvre désormais dans son manque de repères à la science pour que le risque de la vie et des relations soit maintenu à un minimum acceptable.
Comme l’explique Pascal Le Maléfan[8], à force de prétendre comprendre les causes on finit par anticiper les conséquences. C’est alors qu’on cherche à prévenir toute forme de souffrance psychique en calibrant les individus par des tests d’intelligence et d’affectivité, pour ensuite adapter l’environnement. L’enfant turbulent devient un enfant souffrant d’hyper activité.
Concluons par une dernière citation de G. Canguilhem :« En fait, de bien des travaux de psychologie, on retire l'impression qu'ils mélangent à une philosophie sans rigueur une éthique sans exigence et une médecine sans contrôle. Philosophie sans rigueur, parce qu'éclectique sous prétexte d'objectivité; éthique sans exigence, parce qu'associant des expériences éthologiques (l'étude scientifique du comportement animal) elles-mêmes sans critique, celle du confesseur, de l'éducateur, du chef, du juge, etc. ; médecine sans contrôle, puisque des trois sortes de maladies les plus inintelligibles et les moins curables, maladies de la peau, maladie des nerfs et maladies mentales, l'étude et le traitement des deux dernières ont fourni de toujours à la psychologie des observations et des hypothèses. »[9]
La psychologie expérimentale aurait donc mis la charrue avant les bœufs. En se penchant sur l’Homme sans admettre la profondeur de son mystère, elle a fini par le considérer comme un simple objet. L’objet en question se rebellant, opiniâtrement réfractaire à tant de dénigrement, il a fallu le forcer dans son rôle par la conviction que la science ne peut avoir tort. Dès lors que la fin est connue, tous les moyens sont permis. La rigueur scientifique s’abîme de voir son objet d’étude aussi récalcitrant, et dévoile des prodiges d’astuce dans son entreprise, avec le concours indispensable des statistiques, outil ambivalent s’il en est.[10] Après tout, la tentation de disséquer l’esprit humain est universelle, aussi qui voudrait que l’entreprise échoue ? La plus impressionnante prestidigitation repose sur le désir secret du public d’être dupé.
Le courant analytique
Tandis que le courant expérimental choisit pour cheval de bataille la science et utilise de préférence les statistiques pour assoir ses hypothèses, le courant analytique aborde l’homme de façon plus personnelle, plus intime. Il ne redoute pas de plonger dans les tréfonds de l’esprit de l’homme, et ce faisant lui accorde un relief tout particulier.
Au siècle dernier, une trouvaille est sortie de cette spéléologie intérieure : l’inconscient. Appréhendé depuis comme la boîte noire de notre identité, l’inconscient permet de mieux comprendre comment l’homme se développe et comment il interagit avec le monde. Antonyme de la conscience, l’inconscient recèle tout ce que l’esprit de l’homme ne peut assumer comme pulsion, tout le potentiel d’agir intolérable pour la société qu’il faut protéger par l’ignorance. Mais ce lieu secret n’est pas stable : il remue, agité par toute ces pulsions et fait parfois irruption dans la vie quotidienne.
De minutieuses observations cliniques ont permis de dessiner peu à peu le schéma intérieur de l’homme. A partir de ces observations émergent des principes thérapeutiques visant à favoriser la décomplexion du sujet (ou du moins l’apaisement de ses complexes), le fait de lui permettre d’accéder à une certaine quiétude intérieure dans sa vie quotidienne.
Contrairement au courant expérimental, la position du thérapeute n’est pas ici celle du sachant. Ainsi, malgré les connaissances et l’expérience du praticien, la situation ne peut évoluer sans l’implication du sujet. On admet donc que rien ne saurait remplacer l’expérience de la relation dans le soin, et encore moins une connaissance théorique. C’est d’ailleurs l’une des principales causes de divergence entre ces deux courants : la psychanalyse accuse le matérialisme des sciences expérimentales, qui reprochent à la psychanalyse un certain mysticisme dans sa vision de l’homme.
De fait, la psychanalyse ne craint pas de s’émanciper du factuel quand elle réfléchit sur l’Homme, ce qui cadre mal avec l’ambition scientifique revendiquée par le courant expérimental. Ces deux écoles de pensée peuvent cohabiter (dans le cursus universitaire par exemple) mais elles sont difficilement compatibles.
Alors que le courant expérimental présente dans sa démarche de recherche elle-même un biais de positionnement, les principes du courant analytique semblent de prime abord cohérents. En revanche, le père Denis Biju-Duval, dans son excellent ouvrage le psychique et le spirituel[11], remarque un défaut : en positionnant l’inconscient à la base de l’identité de la personne, la psychanalyse désigne celui-ci comme ce qu’il y a de plus profond en l’Homme. Autrement dit, le fondement de l’identité humaine reste de façon détournée la société, puisque l’inconscient se nourrit des pulsions inacceptables, décrétées par les normes sociales.
Par notre foi, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette conclusion. Il s’agirait donc de poursuivre notre recherche plus avant, de creuser plus profondément encore dans l’Homme. Car si l’inconscient en est la fondation, où se situe sa dimension spirituelle ? Que faire de l’héritage de l’Eglise à propos de la vie intérieure des fidèles ?
Remarques
Ici, il nous faut préciser un amalgame regrettable de l’époque moderne : d’aucuns ne perçoivent en la foi chrétienne qu’un mécanisme social utile, et font de son utilité l’unique motif justifiant la religion. La foi servirait l'Homme, elle préviendrait l'anarchie en instaurant dans le cœur de chaque citoyen une morale favorisant la soumission à l'autorité. La dimension spirituelle en l’Homme ne serait qu’une projection imaginaire.
Pour beaucoup, la religion serait une source de consolation garantissant la joie du ciel en dépit des vicissitudes de leur temps. Ainsi, tout l'inconfort, toutes les souffrances de la vie de tous les jours serait constamment surpassée par la vision de l'autre monde, le malheureux trouvant le réconfort dans son imagination des délices qui l'attendent au paradis. Un opium pour le peuple, en somme.
Les progrès de la science ont fait disparaitre cette religion. L'Homme trouvant dès ici-bas le confort que les anciens attendaient du ciel, il peut maintenant s'émanciper de ses chimères passées et annoncer avec Nietzsche "Dieu est mort". Aujourd'hui, plus besoin d'attendre pour vivre mieux, plus besoin d'être dupé par quelque superstition. Plus même besoin d'apprendre la vie des anciens, il suffit de se renseigner sur internet.
Puisque l'information est générique, elle est sûrement objective. La vérité est dorénavant dans l'opinion scientifique. Quand un curieux se pose par hasard la question de l'origine de la vie, il se tourne vers Google. Quand il s'interroge sur la conscience, il découvre la théorie de l'émergence, selon laquelle de la complexité et de la profusion des connexions neuronales dans le cerveau nait le phénomène encore difficilement explicable qu'est la conscience de soi.
Autrement dit, pas de panique, la science va trouver l'explication - il suffit de lui faire confiance. En fait, la science, quand on la compare avec la religion sur des critères d'efficacité matérielle, parait loin devant. Trêve de superstition, donc. L'Homme n'a besoin de l'idée de Dieu qu'aux portes de la mort, quand sa faiblesse ne lui permet plus de réfléchir correctement. Pour la vie quotidienne la science pourvoit désormais.
Nous pouvons aujourd'hui sonner le glas de cette religion, construite par l'Homme pour panser ses tourments métaphysiques et ses frustrations quotidiennes. En faisant de l'élan de fraternité humaine la base de la religion chrétienne, on mélange les fruits avec l'arbre qui les porte. On passe à côté de l'essentiel : Dieu s'est révélé à l'Homme.
L'initiative de l'échange, de l'alliance, vient de Dieu, et non de l'Homme. Plus encore, Dieu s'est donné tout entier, jusqu'au bout, pour que l'Homme devienne Dieu. On voit ici que l'Homme ne peut que recevoir Dieu, il ne le devance en rien. Il se voit adressé par Dieu. Cette passivité qui nous est demandée est une violence pour notre orgueil, comme le dit si bien Josef Pieper: "Nous avons tendance à trop travailler: c'est une échappatoire, une façon d'essayer de justifier notre existence. Il n'y a qu'une justification à notre existence: c'est que Dieu nous aime."[12]
La psychanalyse, en faisant de l'homme le principe et la fin de toutes choses, ne saisit que la moitié du mystère de l’Homme. Sans Dieu, la vie est réduite à une constante adaptation à l'environnement. Les civilisations se succèdent mais c'est la même lutte pour le pouvoir.
Dieu ouvre à l'Homme une nouvelle voie qui le libère de son destin. Sans Dieu l'Homme est incapable de connaitre cette voie, qui est pourtant la seule à répondre au vrai désir de son cœur. Il ne s'agit pas d'une sagesse humaine mais de la sagesse divine, souvent incompréhensible pour nous. Ce n'est pas un nouveau style managérial du genre "l'union fait la force", ou encore "tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin". C'est bien plus que tout cela, c'est un dialogue intime qui nous révèle à nous-même et au monde, pour peu qu'on accepte de laisser l'initiative à Dieu. M.D. Molinié[13] explique que les saints sont des personnes ayant accepté pour de bon de se laisser dérouter par Dieu. Voilà le principal, l’illustre fondement de l’Homme.
Et maintenant
Qu'en est-il donc? Que vaut la psychanalyse pour un chrétien, pour celui qui a la foi? Denis Biju-Duval nous éclaire: si la psychanalyse est un bon serviteur parce que très lucide sur l'esprit de l'Homme, elle devient un mauvais maitre lorsqu'elle s'arroge le droit de considérer ce qui relève de l'âme du patient.
Il faut donc refuser à la psychanalyse le pouvoir de s’occuper de ce qui relève de la vie de l’âme. Molinié saisi avec subtilité l’omniscience que peut s’arroger ce courant de pensée par le truchement de l’inconscient : « En psychanalyse, on ne contredit jamais rien, on explique tout, et on l'explique par des mécanismes inconscients : que voulez-vous répondre à cela ? »[14] A cela nous devons répondre par les limites de l’inconscient, qui ne régit en rien le domaine de l’âme.
En effet, l'inconscient, qui se situe à la frontière de l'esprit (l'intelligence, le mental) et de l'âme (la demeure de Dieu en nous), n'est pas le fondement de notre identité. D'ailleurs notre capacité à dire "je" est reçue, non pas d'un Autre, produit de l'immanence des Hommes, mais de Dieu lui-même, dans une adresse intime, permanente et incompréhensible.
Denis Biju-Duval précise un élément capital: la préséance de l'âme sur l'esprit. Autrement dit, le soin premier de l'âme ordonne la vie intérieure et permet de traiter l'esprit avec bien plus d'effet. En revanche, si l'on se focalise sur l'esprit de l'Homme sans égards pour sa vie spirituelle, les frontières avec l'âme seront brisées et les tourments en seront dangereusement mélangées. En somme, comme le dit Jacques Maritain il faut distinguer pour unir. Sans distinction, impossible d’ordonner.
Ces observations sur une clinique qui préserve l'initiative de Dieu permettent aux praticiens de bonne volonté de s'atteler à la construction d'une clinique nouvelle, dont l'objet premier est de rendre l'Homme disponible à Dieu. Dans ce domaine si complexe, il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu. En accueillant la primauté de Dieu en lui, l'Homme se dispose à la contemplation. Cette contemplation ordonne son être et l'ouvre au discernement "en esprit et en vérité".
La sincérité, aussi vitale soit-elle, nécessite la tutelle de la Vérité. C'est par la Vérité que l'Homme reçoit la liberté. Croire que l’Homme sincère avec lui-même est un Homme mûr n’est qu’une demie vérité, correcte selon l’esprit du monde mais insuffisante pour qui a la foi. L’Homme qui se connait doit encore s’offrir au feu de la Vérité pour grandir. Il doit passer par l’épreuve du jeune homme riche, et ce chaque jour que Dieu fait.
Ne nous méprenons pas : La vie spirituelle n’est pas un addendum facultatif, destiné aux plus motivés. Nous avons tendance à croire qu’en remplissant notre rôle, en étant relativement décents à l’égard de notre entourage, Dieu nous laissera tranquilles. Il n’en est rien. La fécondité de notre vie intérieure nous est vitale. Tant que nous n’adressons pas la parole au Verbe, tant que nous ne nous soucions pas de connaitre l’Homme nouveau, nous ne savons rien de l’Homme, nous nous perdons dans une profusion de conjectures ineptes.
En persistant à aborder le patient sans égards pour Dieu, sans faire preuve d’une certaine sobriété vis-à-vis de ce mystère, nous blessons Dieu en lui et nous dénigrons la Vie. L’Homme refusant la sagesse dont il était l’héritier s’est tourné vers des méthodes empiriques. Il s’est construit un Homme « normal », produit de la contingence, référence scientifique. Tournons-nous à présent vers l’Homme nouveau, le Principe et la Fin de toute la création. Admettons qu’Il est ce que nous cherchons, notre seule Voie. Notre choix est vital.
Car il ne faudrait pas oublier que nous sommes en guerre. Une lutte permanente d’une ampleur insoupçonnée a lieu au milieu de nous entre les créatures servant Dieu et celles qui se refusent à Lui. Dans cette lutte, dont l’enjeu est notre âme, nous avons trois ennemis : le monde, le diable, et nous-mêmes. Autrement dit, le vieil homme qui sommeille en nous n’est qu’un des trois adversaires contre lesquels il nous faut nous battre. En lui prêtant toute notre attention, en nous plaçant au centre des choses, nous donnons aux deux autres adversaires un pouvoir immense.
Le fait est qu’en niant au monde invisible sa réalité, nous lui ouvrons grand la porte de notre imagination, et par là de notre âme. Neal Lozano, dans son livre délié[15], évoque cette lutte avec autant de prudence que de perspicacité. Par des conseils avisés il donne des repères fiables sur ce terrain que nous ne soupçonnons que trop rarement.
En tant que psychologue, il est de notre devoir de creuser les limites de notre responsabilité envers le patient. Nous devons heurter nos habitudes cliniques à la réalité de notre foi, afin d’approfondir notre pratique et de la rendre cohérente. Il est absurde d’enterrer notre vie de foi quand nous abordons notre activité professionnelle. Sans elle, nous serons incapables de distinguer ce qui vient d’une blessure spirituelle de ce qui vient d’une blessure psychique, nous serons incapables de faire la part des choses entre l’espace thérapeutique et l’espace de l’accompagnement spirituel.
Le psychologue n’a pas la charge de la direction spirituelle du patient. En identifiant clairement son domaine d’intervention, il montre aussi au patient que sa vie spirituelle doit être appréhendée à un autre niveau, plus profond. De la pudeur du praticien peut naitre chez le patient le respect de sa vie intérieure, le désir d’en prendre soin par la reconnaissance du mystère qui lui est confié, du Dieu qui habite en lui.
« Frères, aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même: si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants. »[16]
Denis Biju-Duval conclue sur la nécessité, aujourd’hui, que des catholiques se penchent sur le monde de la psychologie avec et non pas malgré leur foi, pour convertir les intelligences et toucher les cœurs. Il ne s’agit pas tant de chercher à convertir le patient que de convertir sa propre pratique. Ne nous laissons pas bercer d’illusion, guidés par le courant des mondanités et des modes. Si nous vivons, que ce soit la tête haute, « Enracinés et fondés en Christ, affermis dans la foi »[17]. Voilà notre privilège, voilà notre devoir.
[1]Nombre de psychologues en France de 2010 à 2018, Statista Research Department, 1er mars 2019
[2]P. Le Maléfan, Pourquoi les psychologues ? Revue « connexions » 2004/1 n° 81 p 134
[3]G. Canguilhem, Qu’est-ce que la psychologie ? conférence du 18 décembre 1956 au collège philosophique, publiée dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1958 n°1, 12-25
[4] Depuis que l’OMS a définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, (qui) ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité », il ne s’agit plus uniquement de soigner les blessures, mais de faire du bien. (Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°2, p. 100).
[5]Ibid, p. 87
[6]G. Canguilhem, op. cit., p. 89
[7]Ibid, p. 89
[8]P. Le Maléfan, op. cit. p.126
[9]G. Canguilhem, op. cit. p.77
[10] Voir à ce sujet A. Supiot, la gouvernance par les nombres, Fayard, 2015 ; O. Rey, quand le monde s'est fait nombre, Stock, 2016 ; P-Y. Gomez, Le travail invisible : enquête sur une disparition, Desclée De Brouwer, 2013, et J.Z. Muller, La tyrannie des métriques, Markus Haller, 2020
[11]D. Biju-Duval, le psychique et le spirituel, éditions Emmanuel, décembre 2001
[12] J. Pieper, De la foi, Ad Solem, 2011
[13] M. D. Molinié, le courage d’avoir peur, Points, 2017
[14]Fr. M-D Molinié, lettre aux amis n°12 (noël 1971) p.4
[15] N. Lozano, Délié : guide pratique de la délivrance, éditions des Béatitudes, 2014
[16]Lettre aux Romains 14, 7-9
[17]Lettre aux Colossiens 2, 7"