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Augustin Cochin, une légende oubliée

« Si un historien fut longtemps ignoré, et pour de mauvaises raisons, c’est bien Augustin Cochin. On peut même dire que l’homme et l’œuvre seraient tombés dans un oubli complet si François Furet ne les avait tirés du sépulcre où l’historiographie révolutionnaire de la Révolution les avait ensevelis. À l’heure où l’on se gargarise de mots, à l’heure où le despotisme de “l’opinion”, ou de ce qui en tient lieu, se fait plus sentir que jamais, à l’heure où la démocratie partout célébrée est davantage un mantra qu’une réalité, en ces temps de disette et de médiocrité de la pensée, le retour aux grandes œuvres, originales et puissantes, est toujours comme un bain de Jouvence. »


Voilà ce qu’écrit Patrice Gueniffey, docteur en histoire et directeur du Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron, un centre de recherche du EHESS et du CNRS. S’il vous plait.


Alors, on y va ? Prêts pour le grand saut ?


Pour ma part, je n’ai pas hésité. Ce n’est pas monsieur Gueniffey qui m’a fait connaitre Augustin Cochin. En fait je parcourais une liste de livres quand je suis tombé sur le titre d’une de ses œuvres : Abstraction révolutionnaire et réalisme catholique. Mon sang n’a fait qu’un tour, et depuis j’ai cherché partout cette précieuse perle. Figurez-vous que je l’ai commandé deux fois de suite, aux deux seules annonces que j’avais trouvé, et qu’à chaque fois le vendeur ne l’avait plus. Dans mon incommensurable frustration je me suis rabattu sur un autre livre de Cochin, les sociétés de pensée et la démocratie moderne.


Si le titre est moins palpitant, le contenu vaut largement le détour. L’auteur aborde le sujet de la révolution de façon tout à fait passionnante : il se sert d’un duel entre deux historiens de la Révolution, Taine et Aulard.


Taine a effectué un travail titanesque de recueil d’informations sur cette période historique si riche. Il a sciemment choisi d’éviter les sources officielles d’alors (la propagande politique, les discours officiels) et s’est concentré sur les correspondances privées, sur les miettes populaires, tout ce qui n’avait pas vocation initialement à être lu par la postérité. Il a cherché à comprendre concrètement ce qui s’est passé à travers les faits avérés. Seulement, s’il a donné un tableau assez précis du quoi, il a échoué à expliquer le pourquoi de ces événements. Zut.


Aulard, autre historien illustre, a accusé Taine par la suite d’avoir bâclé son travail, d’avoir falsifié ses sources, etc… De son côté, lui-même a rédigé une histoire de la révolution plus cohérente, plus complète, qui explique en tous points le pourquoi. Par contre il s’est contenté d’étudier les documents officiels.


Augustin Cochin prouve alors, de façon assez plaisante, que les accusations qu’Aulard porte contre Taine sont elles-mêmes erronées, un vrai travail de gougnafier. Et non seulement ces accusations sont infondées, mais il remarque que la critique d’Aulard pourrait tout à fait s’appliquer à lui-même, qui a négligé beaucoup de sources dans son travail. Bref, c’est l’arroseur arrosé.


Seulement monsieur Cochin ne s’arrête pas là, il va chercher la raison de ces postures si différentes : pourquoi Taine a-t-il échoué à comprendre le sens des événements qu’il décrivait si bien ? Et pourquoi Aulard s’est-il acharné gratuitement contre Taine, tout en proposant une histoire de la Révolution si étriquée, si dogmatique ?


La réponse, puisque la question est bien posée, vient toute seule : Taine a par inadvertance donné du pied dans une immense fourmilière, qu’Aulard s’empresse de rafistoler. La révolution est un sujet épineux qu’il ne faut pas observer de trop près, sinon les gardiens de la république s’empresseront de vous repousser pour protéger leur patrimoine. Quels sont ces gardiens ? Cochin dénonce les sociétés de pensée, et évoque en filigrane le Grand Orient, l’assimilant avec les Jacobins.


Mais tout l’intérêt de l’ouvrage de Cochin, c’est qu’il n’admet pas la fantaisie d’hypothèses savoureuses. Son livre est bien écrit, mais il n’est pas romancé. Ici, aucune aventure à la Joseph Balsamo : uniquement des faits, des faits et rien que des faits. C’est la grande qualité de cet auteur que d’avoir eu la patience extraordinaire d’éplucher les cartons d’archives, de façon encore plus minutieuse que Taine.


Nous suivons donc au fil des pages cet aventurier oublié, minuscule fourmi se faufilant courageusement dans cette sombre et gigantesque fourmilière, avec sa petite lanterne qui éclaire un document à la fois. Au fur et à mesure que la vérité se fait jour, une sueur froide ruisselle dans le dos du lecteur. Parce qu’encore une fois il ne s’agit pas de suspens, de l’excitation frissonnante d’un polar. Il s’agit d’un événement, le plus important de notre histoire. Certainement le plus important de l’histoire moderne.


Et nous ignorons tout de ce qui s’est passé.






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