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Souveraineté, mondialisation et immigration (Présidentielle 1/4)

Bonjour !


Aujourd’hui, nous allons aborder le premier des quatre thèmes qui vont jalonner les quatre prochaines semaines : la souveraineté à l’heure de la mondialisation. L’idée est de vous aider à réfléchir avant l’élection présidentielle des 10 et 24 avril prochains.


Puisque cet article est un peu long, voici un sommaire:



Le vote des chrétiens

Tout d’abord, petit rappel d’usage à propos du rapport entre chrétiens et politique. Commençons par un passage de l'article "Quelle parole d’Eglise en politique ?" édité par la conférence des évêques de France :


« Comme institution, l’Eglise garde une certaine distance à l’égard de l’action politique. Reconnaissant qu’elle n’a pas de compétence particulière en la matière, elle s’interdit d’intervenir directement dans les affaires politiques mais se réserve le droit de « porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » (Gaudium et spes, 76-5).


« L’Eglise invite en revanche les chrétiens, comme tout citoyen, à s’engager. Elle y voit une manière exigeante de vivre l’engagement chrétien au service des autres (Paul VI) et plus encore, une exigence de la foi (Jean Paul II). C’est le droit et le devoir de chacun de participer à la vie politique. Et aucun motif – pas même les accusations de corruption, luttes de pouvoir, compromission – ne saurait justifier le désintérêt des chrétiens à l’égard de la politique (Jean Paul II). C’est un appel à la responsabilité qui leur est lancé pour, non seulement dénoncer les problèmes, mais s’engager avec d’autres à analyser les situations, discerner les enjeux, proposer des pistes d’action concrètes. »[1]


On peut aussi lire dans l’ouvrage Principes catholiques d’action civique (ouvrage approuvé par l’assemblée des évêques et cardinaux de France) :


« Les catholiques, en ne votant pas, ou en votant pour des candidats hostiles à la religion ou qui méconnaissent la nécessité de son rôle dans la société, manquent à leurs devoirs à l'égard de Dieu, de l'Église et de l'âme de leur prochain […]


« L'abstention donne un sujet de scandale. Si vous vous croyez le droit de vous abstenir, votre voisin estimera l'avoir de même. Au contraire, la présence d'un seul homme peut en entrainer d'autres, qui étaient tentés de ne pas accomplir leur devoir. "on fera bien sans moi" est toujours un pitoyable raisonnement, opposé à l'esprit d'entr'aide fraternelle et de collaboration. [...] L'abstention est particulièrement grave dans les moments de grande difficulté pour l'Église et pour le pays. »[2]


Enfin, voici un passage de la lettre inter catholicos de Pie X :


« Les divisions des catholiques aux élections sont un mal très grave. Elles ont été souvent, pour l'Église, la cause de cruelles vexations et persécutions; elles peuvent être de même très nuisibles au bien de l'ordre dans le pays. Il y a donc, dans tous les cas où l'élection est disputée de telle manière qu'elle mette en cause les intérêts de la religion et les plus graves intérêts du pays, obligation de choisir un candidat capable de réunir autour de lui la majorité des catholiques et des autres citoyens de bonne volonté, et de faire taire toute ambition privée, toute rivalité de parti. »[3]


Voilà qui est clair. Notre objectif va donc être d’analyser les situations, de discerner les enjeux, et de proposer des pistes d’action concrètes pour que la décision que nous allons prendre les 10 et 24 avril prochains soit réellement éclairée par notre foi.


Ceci étant, rappelez-vous que je ne suis qu’un amateur au volant de cette Lamborghini qu’est la doctrine sociale de l’Eglise. Je n’ai pas la science infuse, donc n’hésitez pas à me dire en commentaire ou en direct (option.gkc@gmail.com) si votre avis diffère, et surtout en quoi. Dans le respect des conventions de Genève bien sûr.


La souveraineté en question

Pour commencer, je vous propose de définir la notion de souveraineté. Ce n’est pas du luxe, parce que cette notion est mise à toutes les sauces en ce moment…


Prenons la définition communément acceptée aujourd’hui en droit. Elle date de la fin du XIXème et vient de Louis Le Fur :


« La souveraineté est la qualité de l'Etat de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser. » [4]


Ici l’on voit que la notion de souveraineté est intimement liée à la notion d’autorité : si le chef de l’Etat peut n’écouter que sa volonté « dans les limites du principe supérieur du droit », cela signifie qu’il n’a de comptes à rendre à personne à l’extérieur de son domaine, qu’il ne craint aucune autorité supérieure susceptible d’ingérer dans la réalisation de « son but collectif suprême ».


Jacques Maritain, dans son livre L’homme et l’Etat paru en 1951, développe à ce sujet une opinion qui va casser beaucoup de vaisselle… Pour le philosophe, la notion de souveraineté est abusive car elle est en opposition avec l’origine du pouvoir : « Quel que soit le régime de vie politique, l’autorité, c’est-à-dire le droit de diriger et de commander, dérive […] de la volonté ou du consensus du peuple, et de son droit fondamental à se gouverner lui-même ».[5] Selon l’auteur, le droit de se gouverner est « inhérent au peuple et permanent en lui »[6], il ne peut donc pas s’en dépouiller pour la confier totalement au gouvernement. Impossible, en conséquence, pour le chef de l’Etat d’être « souverain ». En fait, parler de souveraineté à l’époque moderne, pour Maritain, c’est concevoir l’autorité telle qu’elle s’exerçait sous la monarchie absolue : comme un abus.


Autant dire que la thèse de Maritain semble en nette contradiction[7] avec la citation suivante :


« Depuis le XVIème siècle surtout, on a entrepris de donner à la société humaine, avec des origines fictives, une base et une constitution arbitraires. Aujourd’hui on va plus loin ; les modernes en grand nombre, marchant sur les traces de ceux qui, au XVIIIème siècle, se donnèrent le nom de philosophes, déclarent que toute puissance vient du peuple, qu’en conséquence ceux qui exercent ce pouvoir dans la société ne l’exercent pas comme leur autorité propre, mais comme une autorité à eux déléguée par le peuple et sous la condition qu’elle puisse être révoquée par la volonté du peuple de qui ils la tiennent. Tout contraire est le sentiment des catholiques, qui font dériver le droit de commander de Dieu comme de son principe naturel et nécessaire. […]


« Si l’autorité ne découle pas de Dieu, elle perd aux yeux des citoyens son caractère le plus auguste et elle dégénère en une souveraineté artificielle qui a des bases instables et changeantes, comme la volonté des hommes dont on la fait dériver. »[8]


Cet extrait, tiré du petit livre oublié Principes catholiques d’action civique, a d’autant plus de force qu’il condense une citation de saint Pie X et de Léon XIII. La souveraineté et l'origine divine de toute autorité sont donc des éléments indispensables à assimiler pour une société vraiment stable. Deux réalités qui seront bringuebalées par les événements du XXème siècle...


Le nouvel ordre mondial

« Dans le chapitre 17 de l’Evangile selon Saint Luc il est écrit : « Le Royaume de Dieu est au dedans de l’homme », pas dans un seul homme ni dans un groupe d’hommes, mais dans tous les hommes ! En vous ! Vous, le peuple, disposez du pouvoir - le pouvoir de créer les machines. Le pouvoir de créer le bonheur. Vous, le peuple, avez le pouvoir de cette vie libre et belle, le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure.


« Alors - au nom de la Démocratie - Choisissons d’utiliser ce pouvoir, choisissons de nous unir. Choisissons de nous battre pour un monde nouveau - un monde décent qui permettra à chacun de participer à cette œuvre - qui donnera l’avenir à la jeunesse et la sécurité à la vieillesse. En promettant ces choses, des brutes ont accédé au pouvoir. Mais ils mentent ! Ils ne tiennent pas ces promesses - jamais ils ne le feront !


« Les dictateurs s’affranchissent mais ils asservissent le peuple ! Alors, battons-nous pour accomplir cette promesse ! Battons-nous pour libérer le monde, pour abolir les frontières nationales - pour abolir la cupidité, la haine et l’intolérance. Battons-nous pour construire un monde de raison, un monde où la science et le progrès mèneront vers le bonheur de tous. Soldats ! Au nom de la Démocratie, unissons-nous ! »


Vous avez peut-être reconnu la fin du discours de Charlie Chaplin, tiré du film The great dictator paru en 1940. Je trouve que cet extrait illustre assez bien l’espoir d’unité mondiale qui enfle depuis l’avènement des régimes démocratiques modernes, et qui a été décuplé par la deuxième guerre mondiale.


En 1963, le pape saint Jean XXIII donnera au monde une encyclique claire et concrète à ce sujet, Pacem in Terris. En voici un passage :


« Les récents progrès de la science et de la technique ont exercé une profonde influence sur les hommes et ont déterminé chez eux, sur toute la surface de la terre, un mouvement tendant à intensifier leur collaboration et à renforcer leur union. De nos jours, les échanges de biens et d'idées, ainsi que les mouvements de populations se sont beaucoup développés. On voit se multiplier les rapports entre les citoyens, les familles et les corps intermédiaires des divers pays, ainsi que les contacts entre les gouvernants des divers Etats. De même la situation économique d'un pays se trouve de plus en plus dépendante de celle des autres pays. Les économies nationales se trouvent peu à peu tellement liées ensemble qu'elles finissent par constituer chacune une partie intégrante d'une unique économie mondiale. Enfin, le progrès social, l'ordre, la sécurité et la tranquillité de chaque communauté politique sont nécessairement solidaires de ceux des autres.


« On voit par là qu'un pays pris isolément n'est absolument plus en mesure de subvenir convenablement à ses besoins, ni d'atteindre son développement normal. Le progrès et la prospérité de chaque nation sont à la fois cause et effet de la prospérité et du progrès de toutes les autres. »[9]


Ici, l’on découvre que la notion de souveraineté nationale se heurte à une évidence concrète : par la force des choses, l’indépendance absolue de l’Etat n’est dorénavant plus une réalité matérielle car chaque Etat dépend de près ou de loin des autres pays pour sa subsistance. Cela signifie qu’il est nécessairement pris dans un réseau d’influence sur le plan mondial. Jean XXIII poursuit en évoquant une deuxième conséquence du nouvel ordre mondial, la nécessaire poursuite du bien commun universel :


« Autrefois, les gouvernements passaient pour être suffisamment à même d'assurer le bien commun universel. Ils s'efforçaient d'y pourvoir par la voie des relations diplomatiques normales ou par des rencontres à un niveau plus élevé, à l'aide des instruments juridiques que sont les conventions et les traités : procédés et moyens que fournissent le droit naturel, le droit des gens et le droit international.


« De nos jours, de profonds changements sont intervenus dans les rapports entre les Etats. D'une part, le bien commun universel soulève des problèmes extrêmement graves, difficiles, et qui exigent une solution rapide, surtout quand il s’agit de la défense de la sécurité et de la paix mondiales. D'autre part, au regard du droit, les pouvoirs publics des diverses communautés politiques se trouvent sur un pied d'égalité les uns à l'égard des autres ; ils ont beau multiplier les Congrès et les recherches en vue d'établir de meilleurs instruments juridiques, ils ne parviennent plus à affronter et à résoudre efficacement ces problèmes. Non pas qu'eux-mêmes manquent de bonne volonté et d'initiative, mais c'est l'autorité dont ils sont investis qui est insuffisante.


« Dans les conditions actuelles de la communauté humaine, l'organisation et le fonctionnement des Etats aussi bien que l'autorité conférée à tous les gouvernements ne permettent pas, il faut l'avouer, de promouvoir comme il faut le bien commun universel. »[10]


Le pape semble dire, en somme, que cet ordre mondial ne peut trouver équilibre ou efficacité sans arbitre. De fait, le rapport de force entre les puissances est tellement inégal qu’il est illusoire d’espérer que le bien commun universel soit assuré tant que l’on ne dispose pas d’une autorité supérieure. Dans cet esprit, il préconise la création d’une « Autorité publique mondiale ». Cette nécessité a été portée par l’Eglise depuis, comme on peut le voir dans ce passage de la note du Conseil Pontifical Justice et Paix du 24 octobre 2011 :


« Dans le sillage de Pacem in terris, Benoît XVI aussi a exprimé la nécessité de constituer une Autorité politique mondiale. Du reste, cette nécessité apparaît avec évidence si l’on pense au fait que le programme des questions devant être traitées au niveau mondial devient toujours plus dense. Il suffit de penser, par exemple, à la paix et à la sécurité, au désarmement et au contrôle des armements, à la promotion et à la sauvegarde des droits fondamentaux de l’homme, au gouvernement de l’économie et aux politiques de développement, à la gestion des flux migratoires et à la sécurité alimentaire, à la sauvegarde de l’environnement. Dans tous ces domaines, apparaissent toujours plus évidentes l’indépendance croissante entre les Etats et les régions du monde, et la nécessité d’avoir des réponses, non seulement sectorielles et isolées, mais aussi systématiques et intégrées, s’inspirant de la solidarité et de la subsidiarité et orientées vers le bien commun universel.


« Comme le rappelle Benoît XVI, si ce n’est pas ce chemin qui est entrepris, "le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants" ». » [11]


Souveraineté ou mondialisation ?

Dans cette situation, on pourrait se demander quelle est la légitimité de la notion de souveraineté à l’heure de la mondialisation. Voici un autre passage du livre principes catholiques d’action civique, dans lequel l’auteur aborde cette question :


« Un Etat, formé pour assurer l'ensemble du bien commun des familles qu'il réunit, est, de par sa nature, une société complète et parfaite qui doit avoir en elle-même tous les principaux moyens pour atteindre sa fin, et qui a la responsabilité de tout le bien commun humain temporel à assurer dans son sein.


« Il résulte ainsi de la notion même de l'Etat qu'il est une société souveraine, indépendante.


« Il ne s'ensuit pas que cette souveraineté et cette indépendance soient absolues. Non seulement elles sont limitées par le droit divin et le droit naturel, mais la suffisance de la vie qu'un Etat peut assurer par lui-même, étant, comme toutes choses humaines, relatives, cet Etat doit avoir des rapports avec les autres. Les fédérations, dans le but, par exemple, d'organiser en commun les rapports des Etats confédérés avec de puissants voisins, ou pour l'aménagement de certains services communs, ne sont pas, de soi, contraires à la souveraineté politique de chacun des Etats. De même un Etat particulier devant, pour son propre bien et pour le bien général de l'humanité, entrer en relations avec les autres nations, sa liberté d'action peut se trouver limitée sur quelques points, sans qu'il perde pour cela l'indépendance de son être politique, parce qu'il garde la responsabilité d'assurer, dans le corps social qu'il constitue, l'organisation d'ensemble de la vie vraiment humaine et qu'il a le droit de faire des lois qui ne peuvent être révoquées par aucune autorité terrestre. (Cf. Taparelli, Essai théorique de droit naturel nn 498 à 503).


« Les Etats doivent avoir entre eux des relations de justice et de charité. Leurs rapports sont à régler selon les convenances du vrai bien humain. De ce point de vue, les échanges matériels et les bienfaisants contacts entre cultures diverses, pour larges qu'ils devraient être, différeraient notablement des déracinements, des mélanges, des brassements de population et de l'uniformité de civilisation que produit la fièvre des affaires. Toutes les institutions qui tendent à aménager dans la justice et la paix les rapports entre nations, doivent être regardées comme un fruit normal et précieux de la sociabilité humaine. Mais c'est seulement "le jour où les Etats et gouvernements se feront un devoir sacré de se régler dans leur vie politique sur les enseignements et les préceptes de jésus christ, qu'ils entretiendront des rapports de mutuelle confiance et résoudront pacifiquement les conflits qui pourraient surgir." (Pie XI, Ubi Arcano, 160) c'est grâce au nouvel Adam, qui est le christ, qu'il peut exister une union vraiment fraternelle des hommes et des peuples entre eux »[12]


En somme, le bien commun universel à rechercher ne doit pas s’assimiler à « un brassage de population », à un « déracinement » ou à « l’uniformité de civilisation ». Afin de protéger la nation de ces dérives, il est souhaitable d’attendre que celle-ci parvienne d’abord à maturité par la mise en pratique d’un ordre social chrétien, d’un Etat guidé par les principes de la doctrine sociale chrétienne.


Trop souvent en effet, on a prétendu que la poursuite du bien commun universel impliquait la destruction du bien commun local, comme si le mépris de ce que nous voyons nous aidait à aimer ce que nous ne voyons pas. Cette façon de considérer les choses est opposée à la vision chrétienne. Elle émane en partie du positivisme, idéologie selon laquelle la société existe avant l'individu. Pour les positivistes, si l'on veut changer les choses, il suffit de changer les institutions et les mentalités suivront. On peut ici penser au fonctionnement de l'Union Européenne et à sa tendance à prendre des décisions sans trop d'égards pour le bien des populations, par exemple. C’est une façon mécanique et artificielle de créer des institutions.


Pour les défenseurs de la doctrine sociale de l'Eglise, en revanche, la personne humaine existe avant la société. Il ne s'agit donc pas de changer les institutions, mais de changer d'abord les mentalités. René de la Tour du Pin, qui s'oppose sur cette question à Charles Maurras, proposera par exemple de donner l'envie et l'opportunité à une famille de métier, par des avantages quelconques, de se solidariser. Une fois que cette solidarité est concrètement née, la Tour du Pin explique que l'Etat doit la protéger en adaptant la législation. Une institution s’est ainsi créée et elle est vivante, il s’agit d’un élément organique de la société.


Voilà pourquoi il est illusoire d'opposer l’ordre mondial à l’ordre national. Ce qui s'oppose, en réalité, c'est l'ordre artificiel qui vient d'en haut et l'ordre naturel qui vient d'en bas. Ici on perçoit des relents fétides, émanations caractéristiques de la libre pensée révolutionnaire dont nous avons parlé la semaine dernière dans cet article. C’est l’idée qui doit gouverner, peu importe qu’elle soit en rapport avec la réalité ou pas. Voire même il vaut mieux qu’elle ne soit pas en rapport avec la réalité, car celle-ci a la fâcheuse tendance d'opprimer la liberté en la contraignant à la raison. Bref.


Un exemple : la question de l’immigration

Concrètement, parler de souveraineté signifie admettre un ordre de grandeur, admettre la nécessité de l’autorité. Léon XIII nous parle de cela dans son encyclique diuturnum illud sur la souveraineté politique:


« À toute association, à tout groupe d'hommes, il faut des chefs, c'est une nécessité impérieuse, à peine, pour chaque société, de se dissoudre et de manquer le but en vue duquel elle a été formée. Mais, à défaut d'une destruction totale de l'autorité politique dans les Etats, destruction qui eût été impossible, on s'est appliqué du moins par tous les moyens à en énerver la vigueur, à en amoindrir la majesté. » [13]


Cette autorité nationale n’est plus seulement énervée, amoindrie. Aujourd’hui, elle est directement en péril. Il suffit de relire un petit passage de la tirade de Chaplin, citée plus haut pour comprendre cela : "Battons-nous pour libérer le monde, pour abolir les frontières nationales - pour abolir la cupidité, la haine et l’intolérance."


Les frontières nationales sont ainsi directement associées à la cupidité, la haine et l’intolérance. Il suffit de voir les scrupules que font naître chez les chrétiens la question de l’immigration. Dans ce genre de débat, le simple mot de souveraineté fait naître la question angoissée : "de quel droit refuser la venue des plus pauvres ?"


L’Eglise explique d’ailleurs que c’est « un droit inhérent à la personne humaine que la faculté de se rendre en tel pays où on espère trouver des conditions de vie plus convenables pour soi et sa famille. Il incombe donc aux gouvernements d'accueillir les immigrants et, dans la mesure compatible avec le bien réel de leur peuple, d'encourager ceux qui désirent s'intégrer à la communauté nationale. »[14]


Il s'agit de considérer non seulement les motifs de l’immigration, qui doivent être "objectivement valables"[15], mais aussi la situation du pays qui accueille. Sachant qu’il faut éviter le "brassage de population" tendant à "l’uniformité de la civilisation". Autrement dit, l’immigration doit être appréhendée avec justice, en considération du bien du peuple qui accueille, sans quoi on met la charrue avant les bœufs :


« Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. »[16]


En somme, la France a une vocation, et elle n’est pas de se détruire. Depuis plusieurs générations, elle n’a pas accueilli convenablement les migrants. Elle ne s’est souciée ni de leur assimilation ni du bon respect des devoirs civiques des nouveaux arrivants. En fait, elle ressemble à ces parents qui se défaussent de leur autorité pour mieux aimer leurs enfants, sans voir qu’ainsi ils s'en font mépriser. Sauf qu’ici, les enfants en question appartiennent aux voisins.


Conclusion

En résumé la notion de souveraineté, lorsqu’elle désigne une autorité politique forte capable de protéger le bien commun des citoyens du désordre et des ingérences extérieures, est bonne et nécessaire. L’autorité est indispensable à la justice, sans laquelle la paix est impossible. C’est l’autorité qui permet de modérer les intérêts individuels et de choisir pour guide la raison.


A l’heure de la mondialisation, tandis que nous ne pouvons décemment pas ignorer l’ordre mondial et les défis internationaux, nous devons plus que jamais œuvrer pour une souveraineté politique fondée sur des valeurs chrétiennes, sans quoi notre horizon se limitera à un repli sur soi-même apeuré, autarcique, et condamné à la décrépitude.


Cet ordre social chrétien n’est pas à confondre avec une démocratie chamallow, brassant les bonnes intentions sans égard pour les conséquences concrètes de nos décisions politiques. Par exemple, l’attitude de l’Etat français vis-à-vis de l’immigration ces dernières décennies a été d’une inconséquence flagrante, illustration typique de l’idéologie libertaire que nous avons dénoncé la semaine dernière dans cet article. Notre foi ne nous a jamais appris que la charité se contente de bonnes intentions. Elle ne se paye pas de mots mais se nourrit de la raison, et elle en a besoin pour grandir en fécondité.


En tant que chrétiens, nous ne pouvons cependant pas définir notre ambition politique par la négation ou le rejet de l'autre, mais par le choix positif d'un idéal à suivre. L'objectif n'est pas de rejeter des migrants ou de haïr l’étranger, l'objectif est de restaurer la France, d'œuvrer pour qu’elle retrouve sa fécondité. Cela implique nécessairement le retour d’un certain ordre de priorité, et la priorité absolue d'un Etat ne peut pas être la dilapidation de ses richesses au péril de sa culture et de son identité. Il faut retrouver la mesure grâce à une autorité nationale forte, sans laquelle on ne peut assimiler convenablement les populations qui souhaitent devenir françaises.

[1] Article Quelle parole d’Eglise en politique ? paru sur le site Eglise catholique en France le 21 août 2014 [2] D. Lallement, Principes catholiques d'action civique, DDB, 1935, p.56 (référence à Léon XIII, encyclique immortale dei) [3] Pie X, inter catholicos, II, 150 [4] L. Lefur, Etat Fédéral et Confédération d'Etats, éditions Marchal et Billard, 1896, pp. 442-443 [5] J. Maritain, L’homme et l’Etat, PUF, 1965, p. 118 [6] Maritain, Op. cit, p.123 [7] Maritain ne méconnait toutefois pas l’origine divine de l’autorité. Ceci étant, en ajoutant que cette autorité dérive systématiquement et de façon permanente du peuple, il met beaucoup de confusion dans des questions déjà très délicates. A en croire son fervent disciple Jean Daujat, Maritain aurait été à ce sujet un peu trop influencé par son admiration pour la démocratie à l’américaine… [8] D. Lallement, op. cit, pp 113-114 [9] Jean XXIII, encyclique Pacem in terris, nn 130-131 [10] Jean XXIII, op. cit, nn 133-135 [11] Note du Conseil Pontifical "Justice et Paix", 24 octobre 2011 [12] D. Lallement, op. cit, pp 56-57. [13] Léon XIII, Lettre encyclique Diuturnum illud, 29 juin 1881, AAS XIV (1881-1882) [14] Jean XXIII, op.cit, nn 105-106 [15] D. Lallement, op. cit, p. 25 (Cf. Pie XII, message Radio de Noël, 1952, A. A. S., XLV, 1953, p. 33-46.) [16] Catéchisme de l’Eglise catholique, 2241.



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