convertir son quotidien
11/08/2021
Aujourd’hui, je vous propose de découvrir un livre publié en 1956 par C. S. Lewis. Il ne s’agit ni du monde de Narnia, ni de l’excellent livre tactique du diable, mais d’un livre un peu moins connu : Un visage pour l’éternité (Till we have faces, en version originale).
Dans ce roman, Lewis reprend un épisode de la mythologie grecque, celui de Psyché. Petit rappel mythologique : Psyché est une jeune fille dont tombe amoureux Eros. Ils filent l’amour parfait, à ceci près qu’Eros interdit à Psyché de le rencontrer à la lumière du jour, et de ne jamais chercher à voir son visage. Seulement Psyché, poussée par ses sœurs qui sont jalouses, choisit de surprendre Eros pour voir son visage. Une nuit, elle allume donc une lampe dont l’huile – pas de bol – se renverse sur Eros qui se réveille et la quitte. Psyché ne retrouve Eros qu’après moult péripéties…
C.S. Lewis choisi de modifier trois choses dans ce mythe : le cadre, l’héroïne et l’élément déclencheur. Trois fois rien, en somme. Donc tout d’abord il choisit de situer l’intrigue dans un royaume barbare visiblement assez éloigné géographiquement de la Grèce antique. Il y a tout de même un esclave grec qui apporte ses lumières à deux princesses, Psyché et Orual. Orual n’est pas une chaîne de montagne, c’est un être humain (on ne choisit pas son prénom). C’est même la grande sœur de Psyché. Eros tombe bien sûr amoureux de Psyché, mais ce n’est pas par jalousie envers sa sœur qu’Orual complote pour mettre fin à sa relation avec Eros, c’est par amour pour Psyché, parce qu’Orual sent que l’amour d’Eros n’est pas bon pour sa sœur.
Bon, ça a l’air légèrement obtus, voire même abscons tout ça, alors laissez-moi vous expliquer pourquoi je vous importune avec ce bouquin-là. Il faut une bonne raison pour vous perdre dans les méandres de la mythologie un lundi matin. Rassurez-vous, j’ai une bonne raison.
Un visage pour l’éternité, c’est un roman qui, l’air de rien, vous emmène avec lui. L’intrigue se déploie sous la plume d’Orual, qui relate ces événements pour accuser le dieu de ses tourments, Eros. Vous reconnaissez ici l’intrigue du nœud de vipère de Mauriac : une personne qui écrit à la fin de sa vie tous les griefs qu’elle a accumulé, et qui vide son âme…
Cependant, contrairement au vieil homme du nœud de vipères, Orual est quelqu’un de bien. Autant le nœud de vipères nous aidait à comprendre comment la lumière peut survivre dans les ténèbres, autant un visage pour l’éternité nous montre comment « visage dévot et pieuses actions servent à enrober de sucre le diable lui-même ». D’un côté on a un vieil homme qui se défend d’aimer, de l’autre on a une vieille femme qui revendique la pureté de son amour.
La finesse psychologique de C.S. Lewis est telle qu’il nous amène à nous questionner sur nos bonnes intentions, sur ces moments où, persuadés d’avoir raison, nous nous fermons à la relation et parfois à la charité elle-même.
Sans cette finesse, on resterait des spectateurs critiques, sûrs que jamais nous ne pourrions tomber dans des pièges aussi grossiers. Malheureusement pour notre amour-propre, et heureusement pour notre cœur, ici ce n’est pas le cas. Il est impossible – à moins d’une mauvaise foi tenace, ce dont nous ne sommes pas à l’abris – de fermer ce livre sans une étape d’introspection propice à la contrition sincère de nos fautes, en particulier de nos fautes d’orgueil.
C’est tout l’intérêt d’une telle lecture : ce livre vous retire le goût de juger votre prochain, il décourage l’intégrisme où la Vérité semble primer sur la Charité. Il restaure le goût de l’avènement du royaume des cieux ici-bas, tel que décrit dans le psaume 84 (verset 11) : « Amour et Vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».
Ne dédaignons pas ces livres qui nous aident à faire tomber les masques pour révéler notre vrai visage. Loin des scrupules ou de la fausse modestie, il s’agit de creuser notre épaisseur d’amour propre pour atteindre la contrition sincère de nos péchés. Il s’agit de désirer le bien, jusque dans notre âme.
Bonne lecture, et bonne semaine !
11/08/2021
Aujourd’hui, je propose de vous parler du premier roman de Georges Bernanos, paru en 1926 : sous le soleil de satan. C’est l’histoire d’un jeune prêtre de campagne, qui cherche à convertir son cœur pour mieux plaire au Christ. Et il y a un détail qui est à la fois très touchant et en même temps terriblement violent, c’est que ce prêtre avance avec une simplicité dévastatrice, il traverse et chamboule toutes les histoires des personnes qu’il rencontre.
Ce qui me plait dans ce roman, c’est la manière qu’à son auteur de préserver son héros de tout esprit mondain par la conscience de sa misère. Il avance un peu à la manière de l’idiot de Dostoïevski, incapable de cynisme ou de duplicité. Quand le Christ nous exhorte à ressembler à de petits enfants, nous avons tendance à croire qu’il nous faut gagner en spontanéité pour accéder à l’innocence. Or, saint Augustin nous dit dans ses confessions qu’en fait les enfants que nous voyons sont capables d’une grande cruauté. La simplification de nos cœurs ne s’obtient donc pas par un retour en arrière, une régression rousseauiste, mais par la purification de l’âme à travers l’exercice des vertus, la pratique des sacrements, de la prière, et des béatitudes.
Pour revenir à ce roman, ce que j’apprécie c’est justement que l’auteur ne nous dépeint pas l’itinéraire béat d’un saint pour qui la route est facile dans son ignorance du mal, mais il nous donne accès à la lutte intérieur d’un homme courageux qui se bat à chaque instant pour le bien. D’ailleurs, c’est très intéressant de constater avec quelle complaisance ce pauvre type est traité par le monde, comme si la sainteté était un loisir d’innocent, une fleur miraculeuse qui fleurit en totale indépendance avec les actes des hommes. Fascinés par la beauté spirituelle qui émane de ce prêtre, ils sont à mille lieues d’imaginer combien le quotidien de celui-ci est exempt de raffinement.
Dans la préface du roman, un homme de lettre (dont j’ai oublié le nom) parle de l’œuvre de Bernanos, en expliquant que celui-ci a été bouleversé par les atrocités de la première guerre mondiale, par son caractère industriel et anonyme, où l’homme est réduit à un objet dispensable qu’on envoie au carnage. Ces effroyables engrenages, Bernanos les refuse. Il refuse de « ne pas chercher à comprendre », expression à la source de l’inhumanité, de l’anonymat, de la réification des hommes qui sont privés de toute dignité. Depuis mai 68, on parle de l’éveil des consciences en désignant par là l’excitation à la révolte contre toute forme d’autorité. Pour Bernanos, l’éveil de la conscience c’est reconnaitre la seule autorité qui puisse nous sauver, et s’y cramponner inlassablement. La sainteté n’est plus une lubie poétique, mais une nécessité de chaque instant, pour ceux qui ont soif de Vérité.
Bref, lisez, mais gare à vous : si vous fermez ce livre sans sentir au fond de vos tripes l’urgence de vous convertir, vous avez loupé un chapitre.
Bonne lecture, et bonne semaine !
11/08/2021
Aujourd’hui, je vous propose de découvrir – ou très certainement redécouvrir, pour la plupart – un des romans de François Mauriac paru en 1932, le nœud de vipères.
C’est l’histoire d’un homme, un vieil homme qui est au bout de sa vie. Il semble d’ailleurs être au bout de tout, cet homme. Tellement au bout qu’il est l’image même de la solitude, malgré la présence de sa femme, de ses enfants et de ses petits-enfants autour de lui. Ce vieillard se sent menacé par toutes ces personnes, au point qu’il élabore un plan pour les priver de ses richesses. Alors il leur écrit des lettres, parce qu’il veut que ceux-ci comprennent sa rancœur. Il écrit pour se justifier, et peu à peu on découvre à quel point son aigreur n’est qu’une immense tristesse de ne pas avoir rencontré l’Amour vrai dans sa vie. Son avarice même n’a plus rien à voir avec de l’argent, il est simplement égoïste de générosité. En captant tout ce qui lui appartient, il espère malgré lui déceler la seule chose qui compte vraiment, un acte gratuit d’amour à son égard. Et le voilà qui trépigne et s’enfonce inexorablement dans l’interprétation des moindres faits et gestes de son entourage pour mieux se plaindre de l’échec de l’Amour. Jusqu’à ce que… Mais je vous laisse découvrir ce qui lui arrive.
Ce qui me plait dans ce livre, c’est tout d’abord qu’il est très bien écrit. Il y a une telle finesse dans la manière qu’a Mauriac de décortiquer l’insalubrité des relations familiales qu’il faut admettre que tout cela est, malheureusement, bien réaliste. Et c’est justement la valeur de cet ouvrage, qui nous permet de constater combien dangereuses et corrosives sont la concupiscence, l’envie et surtout la suffisance. J’ai aussi trouvé revigorant de constater, à travers toutes ces accusations, combien le désir de Dieu est fort chez ce vieillard, comme le montre la citation suivante :
« Demain, il se peut que je renie ce que je te confie ici, comme j'ai renié, cette nuit, mes dernières volontés d'il y a trente ans. J'ai paru haïr d'une inexplicable haine tout ce que tu professais, et je n'en continue pas moins de haïr ceux qui se réclament du nom chrétien; mais n'est-ce pas que beaucoup rapetissent une espérance, qu'ils défigurent un visage, ce Visage, cette trace? De quel droit les juger, me diras-tu, moi qui suis abominable? Isa, n'y-a-t-il pas dans ma turpitude je ne sais quoi qui ressemble, plus que ne fait leur vertu, au Signe que tu adores? Ce que j'écris est sans doute, à tes yeux, un absurde blasphème. Il faudrait me le prouver. Pourquoi ne me parles-tu pas? Pourquoi ne m'as-tu jamais parlé? Peut-être existe-t-il une parole de toi qui me fendrait le cœur? Cette nuit, il me semble que ce ne serait pas trop tard pour recommencer notre vie. Si je n'attendais pas ma mort, pour te livrer ces pages? Si je t'adjurais, au nom de ton Dieu, de les lire jusqu'au bout? Si je guettais le moment où tu aurais achevé la lecture? Si je te voyais rentrer dans ma chambre, le visage baigné de larmes? Si tu m'ouvrais les bras? Si je te demandais pardon? Si nous tombions aux genoux l'un de l'autre? »
Si donc vous avez l’occasion de croiser ce roman, n’hésitez pas ! ça vaut le détour…
Bonne semaine !